LE RECYCLAGE DES SOUS-MARINS NUCLEAIRES RUSSES

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MOSCOU, 15 octobre (par notre commentateur militaire Viktor Litovkine). La semaine dernière l'Allemagne et la Russie ont signé à Ekaterinbourg (Oural) un accord en vertu duquel Berlin s'engage à octroyer à Moscou 340 millions d'euros pour financer le recyclage des sous-marins nucléaires désaffectés de la Flotte russe du Nord. Il y a encore quelque temps on en dénombrait 116. Cinquante-quatre ont déjà été livrés au chalumeau et 62 attendent d'être découpés. Le submersible K-159 du projet 627A Kit ou November selon la classification occidentale, qui a sombré le 30 août non loin de l'île Kildine, entraînant neuf marins au fond de la mer de Barents, en était un.

Tous ces sous-marins à propulsion nucléaire ont été laissés en héritage à la Russie par l'Union soviétique. Celle-ci en avait construit 210, soit plus que tous les autres pays du monde pris ensemble. Cependant, à l'époque de la guerre froide personne ne s'était demandé ce que l'on ferait de ces navires une fois arrivés au bout de leurs ressources. En effet, on supposait qu'ils disparaîtraient dans la fournaise de la Troisième Guerre mondiale.

Il n'y a pas eu de conflit, Dieu sois loué, mais la Russie s'est retrouvée face à un problème colossal: que faire de 192 sous-marins nucléaires. Pour leur recyclage le pays ne disposait ni des équipements, ni, chose essentielle, des moyens financiers nécessaires évalués à pas moins d'un milliard et demi de dollars. Le problème était d'autant plus ardu que ces submersibles ne pouvaient pas simplement être découpés et ensuite vendus à l'étranger en qualité de ferraille comme cela se fait couramment avec des navires ordinaires.

Il fallait au préalable débarquer des sous-marins le combustible nucléaire solide (CNS) et aussi recueillir les déchets radioactifs liquides (DRL) produits par les systèmes de refroidissement du réacteur. Les premiers devaient être dirigés vers l'usine Maïak (Oural méridional) pour y être traités, les seconds étant neutralisés sur place. Une fois ces opérations effectuées le compartiment du réacteur pouvait être découpé et laissé à flot pendant de nombreuses années pour le laisser "refroidir", perdre la radiation induite, et ensuite trouver un endroit pour l'enfouir. Une fois ces opérations terminées les autres compartiments "non nucléaires" pouvaient être découpés.

Malheureusement, la Russie ne possède que deux convois ferroviaires de quatre wagons chacun à même de transporter le combustible nucléaire brûlé depuis les lieux de débarquement et de stockage (le Nord et l'Extrême-Orient russe) jusqu'à l'usine Maïak dans la région de Tchéliabinsk. D'autre part, jusqu'à 2000 le pays n'avait disposé que d'une installation de traitement des DRL, qui aujourd'hui encore fonctionne à Atomflot, dans la région de Mourmansk, mais elle est utilisée en priorité pour traiter les déchets des unités de la flotte civile de brise-glace. Au cours des dix dernières années du XXe siècle, 83 submersibles nucléaires seulement ont été recyclés. La centaine d'autres "Tchernobyl potentiels" sont toujours à quai à attendre leur sort.

L'ancien commandant de la Flotte du Nord, l'amiral Viatcheslav Popov, a dit au commentateur militaire de RIA Novosti que chaque année le budget alloue 1,5 milliard de roubles pour le recyclage des sous-marins nucléaires. Depuis trois ans 36 submersibles ont été découpés et 21 sont actuellement en cours de découpage. Les autres attendent leur tour.

Dans cette entreprise la Russie a bénéficié d'une aide substantielle de ses voisins: le Japon, la Norvège et les Etats-Unis. Dans le cadre du Cooperative Reduction Program, autrement appelé Programme Nunn-Lugar, Washington a attribué des fonds pour la construction à l'usine Zvezdotchka de Sévérodvinsk d'une base de déchargement du combustible nucléaire brûlé, pour la réparation et la modernisation de cales sèches et a aussi fourni des équipements ultramodernes pour le découpage des coques des sous-marins. Les 136 millions de dollars versés par les contribuables nippons seront utilisés en Extrême-Orient russe pour le recyclage des sous-marins de la classe Erch du projet 671 (Victor-1 selon la classification de l'OTAN). L'argent en provenance de Tokyo a également servi à créer l'installation flottante "Muguet" de traitement des DRL. Une installation identique a été mise en chantier dans le Nord également grâce à des fonds (deux millions de dollars) versés par les Norvégiens et les Américains.

L'Allemagne vient de ce joindre à ce travail. Les 340 millions d'euros qu'elle a versés pour le retraitement de l'"or radioactif" serviront bien sûr au recyclage des sous-marins, mais encore à la construction à Saïda gouba (presqu'île de Kola) d'une aire de stockage des réacteurs nucléaires débarrassés de leur combustible et déchets radioactifs liquides.

Cet argent est alloué à la Russie conformément à une décision prise par le G8 réuni l'année dernière dans la ville canadienne de Kananaskis. La formule dix+dix=dix est en application. Elle signifie que les Etats-Unis fournissent dix milliards de dollars, que les dix autres sont donnés par les principaux autres pays du monde et que toute cette aide financière et technique sera échelonnée sur dix ans.

Selon l'amiral Viatcheslav Popov, cette aide étrangère est très importante pour la Russie. Grâce à elle beaucoup d'autres problèmes ont pu être réglés. Elle a notamment permis de réparer les dépôts de DRL et de CNS situés dans la baie Andréev, non loin de Zapadnaïa Litsa. A présent plus aucune parcelle de déchets radioactifs n'est déversée dans le ruisseau local tributaire de la mer de Barents. La protection des dépôts a été repensée, désormais elle exclut la réitération des vols de cartouches enregistrés les années précédentes. A Gremikha on achève la réparation d'une cale sèche qui servira au déchargement du combustible des sous-marins. Il s'agit des submersibles des projets 705 et 705K Lira (Alpha selon la classification occidentale) hautement automatisés. La Russie possède six de ces unités. Ils sont en service depuis plus de dix ans et leur recyclage nécessite une méthodologie particulière. Le sort des réacteurs des submersibles déjà recyclés est à l'étude.

53 réacteurs sont actuellement à flot à Saïda gouba. Ils sont à flot dans leur compartiment auquel on a soudé des compartiments étanchés vides de chaque côté. Ils doivent rester ainsi de dix à douze ans au minimum, pour que le niveau de la radiation induite baisse quelque peu. Ensuite ils seront acheminés dans un endroit sec et écologiquement sûr pour un stockage de longue durée (jusqu'à 70 ans). Ce sera probablement dans un des tunnels qui avaient été creusés dans les rochers de Saïda gouba en cas de guerre nucléaire pour y camoufler et réparer les sous-marins. Aujourd'hui il n'est plus question de réparations. Une fois réaménagés, ces tunnels pourraient accueillir les réacteurs "morts". C'est à ce réaménagement qu'une partie de l'argent alloué par Berlin sera utilisée.

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