Courrier des lecteurs LIBRE OPINION, 2003-10-15 21:56

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LA RUSSIE EST PRETE A AIDER AU DIALOGUE DES CIVILISATIONS ISLAMIQUE ET CHRETIENNE

par Dimitri KOSSYREV, vice-président de l'Association pour la politique extérieure

La Russie va participer en tant qu'hôte au prochain sommet de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) en Malaisie. C'est ce qu'a déclaré aujourd'hui le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. Cela dit, le chef de l'Etat russe a souligné: "Nous n'ambitionnons certes pas un rôle particulier, en y étant invités à titre d'hôte. Mais à l'avenir, nous espérons y avoir un statut d'observateur".

Pour la première fois, cette initiative est devenue l'apanage de la presse écrite et électronique l'été dernier, et plus précisément lors de la visite de Vladimir Poutine en Malaisie, pays qui va justement accueillir le sommet de l'OCI. C'est alors que le Président russe a déclaré le désir de la Russie d'être enfin représentée à l'Organisation de la Conférence islamique, tout en soulignant que vingt millions de musulmans russes - à propos, nous en avons même plus qu'en Malaisie - étaient tout à fait en droit de se sentir une partie intégrante du monde islamique.

Or, bien que les faits suivants soient sans doute moins largement connus, Vladimir Poutine avait tenu à peu près les mêmes propos en avril dernier, au cours de son déplacement au Tadjikistan. Bien plus, encore en décembre 2002, l'ambassadeur itinérant du ministère russe des Affaires étrangères chargé des rapports avec l'OCI, Veniamin Popov, avait été spécialement dépêché à Djeddah pour y remettre un message du ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Igor Ivanov, au Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique - Abdel Wahid Belkaziz. Et déjà en janvier 2003, le Secrétaire général de l'OCI est venu en visite à Moscou.

Par conséquent, cette politique de Moscou ne date pas d'hier, mais est plutôt bien réfléchie. Néanmoins, l'interprétation de cette même politique peut varier. On pourrait évidemment lui donner une interprétation restreinte, en disant, par exemple, qu'effectivement, la Russie deviendra un partenaire plus respectable pour l'Amérique ou pour l'Europe si elle a des rapports particuliers avec le monde islamique. Au même titre, de bons rapports de Moscou avec Pékin et New Delhi, et dans certaines situations avec Pyongyang, font de la Russie un partenaire très utile pour les Européens ou pour les Américains et vice-versa. D'autre part, les bonnes relations avec l'Occident et la participation de la Russie au G8 la rendent une acquisition très précieuse pour l'OCI. C'est un schéma plutôt classique pour n'importe quelle diplomatie.

Pourtant, on peut formuler autrement le problème de sorte qu'il déborde le cadre de la "stricte" diplomatie. C'est que la réussite du roman de la Russie avec l'OCI peut bien se répercuter - sans exagération aucune - sur l'avenir de tout notre monde s'il aide notamment au dialogue des civilisations, et plus précisément au dialogue entre l'islam et le christianisme. C'est aujourd'hui une question de vie ou de mort. Malheureusement, ce n'est plus une simple belle phrase et surtout si l'on tient compte des motifs manifestement interconfessionnels des attentats terroristes et des guerres qui ne cessent de secouer notre monde.

C'est que, de toutes les grandes puissances du monde occidentale ou, disons, chrétien, la Russie se trouve sans doute en meilleure position que les autres pour mener un tel dialogue. La Tchétchénie constitue certes un problème, mais, dans le monde musulman, très peu nombreux sont en fait ceux qui interprètent les événements en Tchétchénie comme un conflit religieux ou une confrontation des civilisations. Par contre, tout porte à croire que le monde islamique ne sera pas capable encore longtemps d'écouter les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne (si ceux-ci sont disposées au dialogue) et ce, malgré toutes les idées raisonnables qu'ils pourraient exposer.

C'est que le dialogue doit porter sur des choses aussi délicates que bien des officiels et, en général, tous ceux qui ne cherchent pas de complications dans la vie ont tout simplement peur d'aborder. Qui plus est, dans bien des pays, des conversations à des sujets pareils sont passibles d'une peine prévue par les articles des lois sur l'attisement de l'animosité religieuse. Dans d'autres, il est de mauvais ton de parler à haute voix de ce genre de choses. Somme toute, l'ordre du jour est tout prêt pour un tel dialogue que les musulmans ne pourront mener qu'avec des amis.

Or, le problème est qu'à cause des différences de religion (de civilisation), les personnes les plus ordinaires, mais privées de dons diplomatiques pour s'entendre, ne peuvent tout simplement pas se trouver trop longtemps côte à côte sans éprouver une tension psychologique, ce qui crée à son tour un milieu nutritif pour des conflits aussi innombrables qu'inattendus.

Cela était relativement tolérable jadis où chacun avait son pays et son mode de vie, alors qu'à titre d'invité, on se conformait généralement aux us et coutumes du pays d'accueil. Mais on vit à présent une autre époque, celle de mondialisation où personnes, idées et même virus respectent de moins en moins les frontières. Ce contact explosif de divers modes de vie - et non seulement le problème palestinien ou autre conflit politique - a provoqué dans le monde musulman un réflexe qui part du postulat majeur de la religion - réflexe d'éloignement.

L'islam avec son culte de la pureté morale (et physique) est responsable, du point de vue d'un Occidental "moyen", du fait que de plus en plus de musulmans répugnent à ce monde qui se globalise et qu'ils n'admettent absolument pas. D'où, estime cet Occidental "moyen", sous-développement, misère, faiblesse et acharnement d'une multitude de communautés et de pays musulmans. Comme résultat - la radicalisation de l'islam. Et là, il ne reste qu'un pas à faire jusqu'au terrorisme ou, du moins, jusqu'à son appui tacite.

Il est à savoir à quel point cet "Occidental" imaginaire a tort, et qui dans le monde musulman voudrait dialoguer sur tous ces sujets. C'est qu'un dialogue entend des contacts personnels qui deviennent justement de plus en plus difficiles entre les représentants des deux civilisations.

Une réponse classique d'un musulman dans une telle situation, c'est l'évocation des guerres d'autrefois et d'aujourd'hui, ainsi que d'autres manifestations d'agressivité de toute la civilisation occidentale - chrétienne. Un dialogue qui s'organise selon un tel schéma rappelle bien la question de savoir si c'est la poule qui précède l'œuf ou vice-versa.

Quant à l'Occidental, il puise sa certitude dans l'histoire même de sa propre civilisation. Tout chrétien se rappelle bien qu'un rigide diktat religieux du mode de vie appartient à une époque déjà révolue depuis longtemps. L'Eglise catholique avait anéanti des centaines et des milliers de personnes, y compris en-dehors des pays chrétiens, en faisant accepter sa propre civilisation et son propre mode de vie. Aussi, l'Occidental a-t-il bien l'impression que l'Islam est tout simplement en retard, et qu'il faut l'aider à traverser au plus vite ce stade dangereux. Est-ce vrai ou non? Qui engagera enfin un dialogue sérieux sur ces thèmes précis?

L'OCI est évidemment capable d'aider à une telle conversation. En fait, dans le cadre ou sous l'égide de cette organisation, un entretien sur la religion et le développement économique, sur la religion et la guerre serait parfaitement de mise. Que peuvent gagner ou perdre le monde islamique et le monde en général à l'escalade actuelle des guerres et de la méfiance? Est-ce que les victoires sont en général possibles dans toutes ces guerres? En Irak, par exemple. Est-ce une victoire? Et si c'est effectivement une victoire, à qui revient-elle?

La Russie avec son expérience de la coexistence des communautés orthodoxe et musulmane, avec son capital - qui n'est pas encore trop gaspillé - de bons rapports avec le monde arabe et l'ensemble du monde en développement pourrait, à mon avis, aider à un tel dialogue. Nul doute que la lutte contre le terrorisme est un choix conscient et inévitable pour le pays, mais on peut et on doit même chercher les méthodes les plus raisonnables pour une telle lutte.

Force est de constater qu'au sein même de la société russe, il se trouverait toujours ceux qui voudraient rappeler: certains alliés dans cette lutte s'exposent à un danger en nous faisant aussi courir le risque. Il faut aider ces alliés, eux aussi, à trouver d'autres approches. C'est que seul le schéma "le monde entier contre le terrorisme" a toutes les chances de réussir. Mais si, dès le début, on partage le monde en civilisations qui s'opposent l'une à l'autre, il n'y aura ni succès dans la lutte contre le terrorisme ni dialogue lui-même entre civilisations. Pour ce qui est de Moscou, il a toutes les chances et la volonté nécessaire pour emprunter une voie raisonnable, celle du dialogue.

(L'avis de l'auteur ne coïncide pas obligatoirement avec celui de la rédaction)

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