La corruption en Russie: la force et l'impuissance du pouvoir

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Par Raïssa Zoubova, commentatrice de RIA Novosti

Depuis la deuxième décade de janvier la vie politique en Russie a repris son cours normal. L'année politique a débuté par une réunion au Kremlin du Conseil de répression de la corruption près le président russe. Par conséquent on est en droit de dire que les dirigeants de la Russie - le Conseil est constitué exclusivement d'hommes d'Etat de haut niveau tels que le premier ministre, les présidents des deux chambres du parlement, les présidents des trois cours supérieures et le premier adjoint du chef de l'administration du président - ont déjà déterminé un des grands volets de la politique de l'Etat en 2004.

Le Conseil anticorruption près le président Poutine avait été créé au mois de novembre 2003 sur proposition du gouvernement. Cet organe consultatif comprend deux commissions: répression de la corruption et étique du service public. Sa mission consiste à élaborer des recommandations, des mesures et des propositions en matière de lutte contre les abus commis dans les structures du pouvoir. Ce Conseil est présidé par le chef du gouvernement, Mikhaïl Kassianov, le travail des deux commissions est dirigé par le vice-premier ministre, Boris Aliochine, et le premier chef-adjoint de l'administration présidentielle, Dmitri Kozak.

Il est de notoriété publique que la corruption freine l'essor économique, affaiblit le pouvoir et démoralise la société. Selon les sondages, la population estime que la corruption est un des plus graves problèmes auxquels la Russie d'aujourd'hui est confrontée. Il est vrai que les avis sont partagés sur ce que l'on peut considérer comme corruption. Pour certaines personnes c'est la "privatisation sauvage" des années 90 et ceux qui l'ont réalisée et que l'on appelle maintenant les oligarques, pour d'autres c'est l'arbitraire des inspecteurs de la police routière, pour d'autres encore ce sont les tracasseries paperassières et les pots-de-vin dans les organes locaux du pouvoir.

Le problème de la corruption préoccupe la société russe depuis de nombreuses années, on en parle depuis le début des réformes et à l'époque déjà le pouvoir avait annoncé une grande opération "mains propres" dans ses rangs. Ainsi, au milieu des années 90, le président Boris Eltsine avait promulgué un décret obligeant les grands commis de l'Etat à faire des déclarations concernant leurs biens et ceux appartenant à leurs proches parents. Pendant un certain temps, pour tous les achats d'un montant supérieur à 3.000 dollars les services fiscaux avaient été tenus d'enquêter sur l'origine des revenus des personnes concernées.

Seulement ces mesures n'avaient rien donné. En ce qui concerne les hauts fonctionnaires, ils s'étaient conformés à la loi et avaient présenté des déclarations attestant qu'ils ne possédaient aucun bien... Quant à rechercher la vérité, le pouvoir n'en avait ni la force, ni les moyens, il ne possédait même pas de mécanisme légal. En ce qui concerne le contrôle des gros achats, le gouvernement y a renoncé voici un an, lui aussi s'étant avéré inefficace. En effet, dans les conditions de la Russie de tels contrôles sont absolument impossibles parce que l'appareil d'Etat n'a ni le système bien rodé que cela implique, ni l'aptitude requise pour mener à bien une tâche de cette envergure.

En toute justice il convient de dire que la corruption est un mal qui n'est pas le lot de la seule Russie pauvre qui ne fait que commencer à construire une économie de marché et un Etat démocratique. La corruption, elle existe aussi même dans les sociétés développées et prospères. De temps à autre de grosses affaires de corruption éclatent en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, etc. Cela montre bien que la corruption est un problème grave, qui a des racines profondes et ramifiées, et que malheureusement il n'existe pas encore de panacée pour la combattre.

Au cours des années 90, la Douma (chambre basse du parlement) n'a adopté ni loi, ni code de conduite des fonctionnaires, alors que plusieurs projets de loi appropriés avaient été déposés au parlement. Quoi qu'il en soit, les autorités russes actuelles n'entendent pas rester les bras croisés.

Prenant la parole lors de la réunion susmentionnée du Conseil anticorruption, le président Poutine a indiqué quelques "axes d'effort principal": amélioration de la législation, suppression des "normes de double interprétation et des contradictions internes"; instauration d'un contrôle permanent - dont social - de l'activité des organes du pouvoir; assainissement de l'appareil d'Etat et formation d'un corps de fonctionnaires hautement qualifiés et rémunérés en conséquence. Il est évident que l'activité du Conseil de répression de la corruption s'inscrit dans le droit fil des efforts entrepris par le Kremlin en vue de réaliser les réformes administrative et judiciaire en Russie ainsi que des mesures visant le démantèlement du type oligarchique de l'économie.

En outre, la lutte contre la corruption prend une toute autre dimension à deux mois de l'élection présidentielle en Russie. A la fin de l'année 2003, plusieurs opérations anticorruptions spectaculaires ont été menées au sein du ministère de l'Intérieur, ce qui a dopé la cote de popularité du ministre Boris Gryzlov et du parti Russie unie qu'il dirige la veille des législatives du 7 décembre. Il s'agit de l'affaire des "loups-garous engalonnés" dans le cadre de laquelle six responsables des ministères de l'Intérieur et des Situations d'urgence ont été arrêtés. Par ailleurs, l'incarcération de l'homme le plus riche de Russie, le magnat pétrolier Mikhaïl Khodorkovski, propriétaire de la compagnie Youkos, est elle aussi considérée par beaucoup en Russie comme une mesure anticorruption.

Bien que, comme le révèlent les sondages, 82 pour cent des Russes ne croient pas que l'on puisse aujourd'hui venir à bout de la corruption, on peut penser qu'ils seront reconnaissants à Vladimir Poutine d'essayer de la mater.

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