La coopération entre la Russie et l'Inde ne se limite pas à la défense

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Le 19 janvier le ministre russe de la Défense, Serguei Ivanov, entame une visite de trois jours en Inde. La veille de son départ pour New Delhi, il a accordé une interview à l'observateur militaire de RIA Novosti, Viktor Litovkine.

Question : Quel est le but de votre visite ?

Réponse : L'Inde est un partenaire stratégique sérieux. Non seulement dans le domaine militaire et militaro-technique mais aussi dans le domaine politique et économique. L'Inde est la plus grande démocratie du monde pour l'importance de sa population. Nous n'avons pas et ne pouvons pas avoir de divergences avec elle. Nous n'avons jamais été en guerre l'un contre l'autre. Les dirigeants politiques des deux pays ont des vues semblables sur le nouvel ordre mondial multipolaire, sur les problèmes de la sécurité qui sont également fondamentaux. Nous estimons en partageant pleinement l'opinion des autorités indiennes que la sécurité internationale à l'époque actuelle ne saurait être garantie au détriment des intérêts d'un autre pays quel qu'il soit, à plus forte raison d'une grande puissance comme l'Inde. Vous n'ignorez pas que nous sommes favorables à la cooptation de l'Inde au Conseil de sécurité de l'ONU en cas de restructuration de cet organe international.

Au cours de ma visite en Inde il est prévu de signer un contrat très important sur la livraison du croiseur porte-avions "Admiral Gorchkov" à l'Inde. J'espère qu'avant mon arrivée à New Delhi les documents seront définitivement prêts et parafés. Comme il s'agit d'un porte-avions, il ne serait nécessaire ni à l'Inde ni à quelqu' autre pays sans l'aviation embarquée. C'est pourquoi le contrat prévoit naturellement la livraison de chasseurs.

V.L. : Quels sont à votre avis l'état actuel et les perspectives de la coopération militaro-technique entre la Russie et l'Inde ? La Russie fournira-t-elle à l'Inde des sous-marins nucléaires et des bombardiers Tu-22 ?

S.I. : La coopération militaro-technique entre l'Union Soviétique et l'Inde, puis entre la Russie et l'Inde remonte à 1960. Pendant la période écoulée le coût global des contrats passés dans ce domaine s'est chiffré à 33 milliards de dollars US. Si notre coopération était limitée à un seul secteur, par exemple à l'armée de l'air ou aux forces navales, nous n'aurions jamais atteint un chiffre aussi important.

Nos efforts communs de création du missile de croisière, "Bramos", est une autre forme de coopération qui nous apporte entière satisfaction. Autant que je sache, notre partenaire indien est satisfait également. Nous avons créé un missile naval qui n'a pas d'analogue au monde pour de nombreuses caractéristiques. Il va de soi que notre coopération ne s'arrête pas là. Nous travaillons ensemble sur les projets de chars T-72 et T-90 pour les troupes terrestres, sur les avions de chasse Su-30MKI pour l'armée de l'air, l'année dernière la Russie a livré à l'Inde des frégates modernes. Autrement dit, notre coopération est effectivement large et variée.

En perspective, je vois une coopération plus étroite entre nos entreprises dès le début de l'étape de la conception d'armements communs, puis au stade de la recherche-développement et enfin pendant la phase de la fabrication. Beaucoup de matériels de guerre sont fabriqués en Inde sous licence soviétique ou russe et sous contrôle de qualité rigoureux. Ceci atteste le niveau du partenariat et de la confiance entre nos deux Etats et entre nos deux ministères de la Défense.

En ce qui concerne la vente de sous-marins nucléaires, je dirais que quel que soit le pays avec lequel la Russie coopère dans le domaine militaro-technique elle a toujours respecté, respecte et respectera tous ses engagements internationaux. En ce qui concerne l'aviation, nous continuons à travailler avec l'Inde sur un projet de bombardier Tu-22 naval qui n'est pas porteur d'armes nucléaires et ne le sera pas. Autrement, nous n'aurions jamais lancé ce projet.

V.L. : Comment avance la coopération au niveau des départements militaires ? La pratique des exercices communs des forces armées des deux pays sera-t-elle poursuivie ?

S.I. : Des exercices communs seront effectués. Nous allons examiner cette question avec nos collègues indiens. Je ne vais pas anticiper mais je tiens à rappeler qu'au printemps et en été 2003, pour la première fois depuis les dix dernières années, nous avons effectué des manoeuvres bilatérales en mer d'Oman. Deux flottes indiennes, celles de l'Est et de l'Ouest, y ont été engagées de concert avec nos groupes navals des flottes de la mer Noire et du Pacifique. Je pense qu'il est nécessaire de donner suite à cette pratique et de l'étendre à d'autres armées.

V.L. : Quelle importance attachez-vous au partenariat stratégique russo-indien dans le domaine de la défense au niveau global et régional ?

S.I. : J'ai déjà répondu partiellement à cette question. Je voudrais pourtant y ajouter quelque chose en commençant par une sphère inhabituelle pour les militaires, par la culture. On sait quelle influence Léon Tolstoï a exercé sur le Mahatma Gandhi. Mais il ne faut pas oublier non plus que des dizaines de milliers de spécialistes russes ont travaillé en Inde au cours des années écoulées. Tout cela reste gravé dans la mémoire génétique du peuple, je vous assure. Notre société, notre peuple éprouve beaucoup de sympathie pour l'Inde. Nous n'avons pas de contradictions géopolitiques, culturelles ou autres. Nous avons des vues semblables non seulement sur les problèmes de la haute politique, de la défense et de l'organisation du monde, mais aussi sur les problèmes de la vie quotidienne. Vous avez pu remarquer que les Moscovites fréquentent volontiers les restaurants indiens qui sont devenus nombreux dans la capitale russe. La coopération d'affaires ne cesse de s'amplifier, de même que dans le secteur énergétique qui se développe avec succès. A preuve le projet "Sakhaline-2" mis en oeuvre avec une large participation du capital indien.

C'est sur ce canevas très dense que se "tisse" notre partenariat stratégique. La défense n'en est qu'un segment. Je voudrais le souligner une fois de plus pour que personne ne pense que nos relations se limitent aux problèmes militaro-techniques. Loin de là. Nos liens stratégiques multiples et notre confiance réciproque absolue rendent possible notre large coopération militaro-technique.

En ce qui concerne le niveau régional, l'Asie est l'un des continents les moins calmes et il m'est agréable de constater les tendances positives qui se sont esquissées dans les relations indo-pakistanaises. Nous sommes reconnaissants à l'Inde pour sa prise de position sans équivoque envers le récent conflit armé en Tchétchénie, nous sommes maintenant, à mon avis, dans la bonne voie qui mène au règlement, et nous avons beaucoup oeuvré à cette fin depuis ces dernières années. Il y a lieu de noter que la Russie et l'Inde préconisent la même approche du terrorisme global et des doubles standards qu'elles considèrent comme inadmissible. Notre position commune envers la normalisation de la situation en Afghanistan et les efforts communs déployés par nos deux pays au niveau de différents ministères, y compris au niveau des ministères de la Défense, confirment que nos deux Etats occupent les mêmes positions en ce qui concerne le règlement des conflits régionaux et l'activité antiterroriste.

V.L. : Quelles menaces pour la sécurité voyez-vous en Asie du Sud et en Asie centrale ?

S.I. : Ces régions plient sous le poids d'une multitude de problèmes liés à la démographie, à la religion, à l'extrémisme et, qui plus est, à la pauvreté. Ils rendent la situation difficilement prévisible. Une autre menace est celle de la prolifération des armes de destruction massive qui risque de tomber entre les mains soit d'Etats malhonnêtes ou irresponsables, soit de terroristes. La Russie et l'Inde préconisent des approches communes de la solution de ces problèmes et de l'élimination des menaces de ce type par des moyens principalement diplomatiques et économiques, un rôle prépondérant revenant, naturellement, à l'Organisation des Nations unies.

V.L. : L'Inde se montre de plus en plus active en Asie centrale. Pensez-vous que sa présence militaire contribuerait à la stabilité dans cette région ? Une coopération entre nos deux pays est-elle possible dans ce domaine ?

S.I. : Je sais que l'Inde a proposé de moderniser une piste d'atterrissage au Tadjikistan, celle du lieu dit Aïni, pour que son armée de l'air puisse l'utiliser en perspective. Je pense que toute assistance de l'Inde aux pays d'Asie centrale membres de la CEI ou de l'Organisation du Traité de sécurité collective, tout comme, je l'espère, les tentatives de la Russie d'intervenir en médiateur en Asie du Sud, seront les bienvenues. Des consultations en la matière sont en cours par des canaux diplomatiques, inaccessibles au public, c'est pourquoi il est, je pense, prématuré d'en parler aujourd'hui. Cependant, si nous coopérons au niveau global, pourquoi ne pourrions-nous pas coopérer dans cette région aussi?

V.L. : Quel est le rôle de l'Inde dans l'élaboration du chasseur de la cinquième génération ? Est-il possible que la Chine y prenne part ?

S.I. : J'en ai parlé justement au début. C'est ce travail dans lequel nous nous fixons dès le début, avec l'Inde, un objectif commun et mettrons ensemble des fonds ainsi que des ressources techniques, intellectuelles et industrielles pour réaliser un projet sérieux, à savoir pour créer un avion de la cinquième génération. Les négociations sont déjà achevées. Elles ont abouti à des approches communes qui, je l'espère, se matérialiseront en un produit concret.

Si la Chine est prête à se joindre à ce projet, je ne pourrais que le saluer. En général, je pense que cette union tripartite serait très utile. Non seulement pour réaliser ce projet mais également pour de nombreux aspects de la coopération militaro-technique et de la défense. Je crois que cela contribuerait à la stabilité et à la sécurité en Asie. La Russie est aux deux tiers un pays d'Asie.

V.L. : Vous trouvez cela faisable ?

S.I. : J'ai déjà dit plusieurs fois aux journalistes que jamais je ne dis "jamais", à l'instar de James Bond.

V.L. : Que la Russie fait-elle pour améliorer la qualité des chasseurs Su-30MKI et d'autres matériels aéronautiques qu'elle fournit à l'Inde à la lumière des problèmes apparus dernièrement en rapport avec la livraison de pièces de rechange ? Que pouvons-nous et que devons-nous faire pour que nos produits surpassent leurs analogues étrangers sur le marché mondial ?

S.I. : Je ne voudrais pas entrer dans les détails techniques. C'est la prérogative du Comité pour la coopération militaro-technique et de la centrale "Rosoboronexport". Nous avons pris dernièrement une série de mesures sérieuses pour perfectionner cette activité. Elles seront, j'en suis persuadé, favorables à la coopération militaro-technique. En ce qui concerne la livraison de pièces de rechange, la possibilité de les fournir sans retard et la mise en place de centres de service après-vente, toutes les décisions nécessaires sont déjà prises et tous les obstacles se sont aplanis. Les fabriquants peuvent désormais contacter directement leurs partenaires. Il ne s'agit pas seulement des avions mais de tout le matériel que la Russie a livré à l'Inde ou produit en coopération avec elle.

Nous devons produire un matériel meilleur que celui de nos concurrents et à un prix abordable parce que la coopération militaro-technique est un domaine où la concurrence est acharnée à l'échelle mondiale. Nous ne cherchons pas à monopoliser le marché militaire indien. Ce ne serait pas raisonnable. Mais nous devons bien nous rendre compte que tous les moyens, possibles et impossibles, honnêtes et malhonnêtes, sont employés contre nous. En ce qui me concerne personnellement, je pense que nous devons rendre à nos concurrents la monnaie de leur pièce. Y compris par le biais des médias. Vous trouvez ma réponse sincère, je l'espère ?

V.L. : Parfaitement.

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