Pyongyang inciterait-t-il Washington à négocier?

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par Dmitri Kossyrev, commentateur politique de RIA-Novosti.

Le groupe d'experts qui s'est rendu en janvier à Pyongyang où les réalisations du programme nucléaire nord-coréen lui ont été aimablement montrées présentera son rapport le 20 janvier au Comité des affaires internationales du Congrès américain. Des experts importants faisaient partie de la délégation, notamment Siegfried Heckler, ancien directeur du Laboratoire National de Los Alamos, ainsi que les experts de l'Université John Lewis à Stanford.

L'intrigue de toute cette histoire commence par un scandale international lorsque les Coréens du Nord essaient de toutes leurs forces de démontrer aux Américains que, depuis octobre 2002, ils ont effectivement acquis un "potentiel de dissuasion nucléaire": ils ont transformé en plutonium militaire 8 000 barres usagées de la pile de recherches scientifiques de Yongbyon. Pendant cette période, les Américains ne croyaient pas à l'existence de la bombe nucléaire coréenne. A présent, Pyongyang essaie de prouver son existence.

Rappelons que la crise coréenne éclata en octobre 2002, lorsque le sous-Secrétaire d'Etat américain James Kelly avait effectué, après deux ans de stagnation dans les rapports américano-nord-coréens, une visite à Pyongyang et déclaré, après un long silence, que les Coréens du Nord lui avaient avoué qu'ils avaient effectué des recherches nucléaires en violation des accords de 1994. Cela étant, Washington annonça son refus de continuer à mettre en oeuvre l'accord de 1994 ("le programme nucléaire en échange de ressources énergétiques").

Et puis l'extraordinaire se produit: sans déclarer ouvertement qu'il n'avait rien avoué, Pyongyang décida de tirer avantage du scandale et de "vendre" aux Américains le programme mentionné par James Kelly. A cette fin, la mise en oeuvre du programme commença en janvier de l'année suivante, du moins, c'est ce qui fut déclaré. Les autres participants au règlement du problème coréen - la Russie, la Corée du Sud, le Japon et la Chine - s'étaient abstenus alors d'accuser l'administration Bush de mensonge et de provocation. Ils avaient besoin que la crise fût réglée, et non pas d'un scandale avec les Etats-Unis, bien que les experts de tous les pays aient affirmé unanimement que la RDPC ne possédait pas l'arme nucléaire. De plus, si la bombe n'existait pas avant octobre 2002, à présent, si l'on ne persuade pas les deux obstinés - les Etats-Unis et la RDPC - de se mettre d'accord, elle peut certainement faire son apparition.

Autrement dit, le conflit a toujours eu deux versions: une version réelle et une autre, pour le public, selon laquelle le conflit coréen se développe précisément selon le scénario irakien, ce qui signifie que la bombe nucléaire nord-coréenne existe bel et bien, et que par conséquent, il faut désarmer la RDPC. La mission de Siegfrid Heckler mettra, peut-être, fin à cet état de choses.

En fait, c'était aussi le but poursuivi par la diplomatie belliqueuse nord-coréenne en invitant les Américains à se rendre en RDPC pour obliger Bush, d'une manière provocatrice à la fin de son premier mandat présidentiel, à accepter des négociations avec Pyongyang.

Mais qu'est-ce que cela donnera? Le fait est que le deuxième tour des négociations à six qui ne s'est pas tenu en décembre à Pékin pourrait avoir lieu dès demain puisque le sens des ententes qui y interviendraient est clair depuis longtemps. Elles ont à leur base le "plan Lossioukov", légèrement revu et corrigé, qui avait été avancé par le vice-ministre russe des Affaires étrangères en janvier 2003. Ce plan proposait d'assurer l'arrêt des programmes nucléaires militaires de la RDPC en échange de l'assistance américaine et internationale à l'économie de la Corée du Nord. Personne d'autre n'a proposé de schémas fondamentalement différents. La divergence réside dans le fait que les Etats-Unis insistent pour commencer par l'élimination totale des projets nucléaires de la RDPC comme préalable à la poursuite des négociations, mais aucun des autres participants aux négociations ne prend cela au sérieux. La RDPC et les quatre autres pays qui la soutiennent proposent le schéma "une démarche en réponse à une démarche", dans lequel les autres pays interviennent comme garants des actions de chacune des deux parties opposées. Selon certaines sources, surmonter les divergences qui semblent fatales apparaît en réalité "simple comme bonjour".

Aucun des "Six" participants ne pose d'obstacle empêchant d'accéder à un compromis. Il est vrai, le Japon essaie d'inclure dans les documents des futures rencontres un problème n'ayant rien à voir avec l'affaire: le problème des Japonais enlevés jadis par les services secrets nord-coréens. Mais tout le monde comprend que cela n'est pas à prendre au sérieux et ne soucie personne. Même James Kelly, l'élément allergénique de Pyongyang qui avait représenté les Etats-Unis au tour précédent des négociations de Pékin, ne sera plus présent. Bref, tout est prêt pour remporter un succès.

Selon les sources, l'unique problème réel consiste dans le fait que diverses fractions de l'administration Bush n'arrivent pas à s'entendre alors que le mandat du président des USA expire déjà. L'usage de la force pour régler le problème n'aura pas lieu en Corée après l'Irak et c'est clair depuis longtemps. Mais comment parvenir au seul règlement possible, c'est-à-dire comment revenir à la situation de 1994 et reconnaître que tout le scandale est en fait l'échec politique de Bush?

Si une décision est prise avant l'élection présidentielle de novembre aux Etats-Unis, l'accord peut être signé très vite, en le présentant à l'électeur à "n'importe quelle sauce" (les autres participants aux négociations ne créeront pas de difficultés à Bush, car tout le monde est intéressé à sa réélection).

Un rôle important peut être joué par la Chine qui s'est chargée d'une mission importante non seulement en acceptant que les négociations aient lieu à Pékin, mais en jouant le rôle de locomotive principale des négociations. Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi s'est rendu récemment, une nième fois, aux Etats-Unis, et, semble-t-il, pas inutilement. Wang Yi a déjà fait preuve de ses talents, lorsqu'il a terminé le premier round de négociations de Pékin en déclarant que les parties avaient l'intention de se rencontrer de nouveau, ce qui n'a pas suscité d'objections de la part des représentants des Etats-Unis et de la RDPC, bien qu'ils se soient disputés et se soient séparés sans aucune promesse d'autres rencontres.

Si Pékin réussit à pousser les choses vers un accord de façon que Bush puisse le faire passer pour une victoire personnelle, les rapports entre les deux grandes puissances du monde actuel, déjà bons, seront encore plus chaleureux.

Si l'administration américaine décide de laisser traîner en longueur le règlement du problème, les Coréens du Nord continueront à la "bousculer" un peu, comme pendant "l'inspection" actuelle.

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