Le pouvoir perd la lutte contre le terrorisme

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Par Dmitri Rogozine, président du Parti politique "Rodina" ("Patrie").

Une série d'actes terroristes commis contre les citoyens de la Russie a été qualifiée par plusieurs personnalités officielles de GUERRE. D'ailleurs, ce n'est pas une découverte. Cette guerre est menée depuis longtemps. Sur ses fronts, la Russie n'a pas remporté de victoires importantes. Au contraire, elle la perd, malheureusement.

Il ne faut pas s'en prendre au miroir ...

Ce qui empêche surtout le pays de remporter la victoire dans la guerre contre le terrorisme, c'est l'obstination du pouvoir à ne pas appeler les choses par leurs noms. On a parfois l'impression que notre politique de sécurité dans le Caucase ne se fonde pas sur les faits réels, mais qu'elle vise à jeter de la poudre aux yeux à nous-mêmes et aux Européens.

Le pouvoir continue à nous raconter des fables sur l'"internationale terroriste". Certes, le terrorisme bénéficie d'un soutien à l'étranger, mais il prend ses racines dans notre politique erronnée d'apaisement du Caucase, dans les conditions propices à l'apparition du terrorisme et à sa propagation dans le pays qui existent dans ces régions.

De nouveaux maux sont apparus dans le Caucase. Nous n'avons pas remarqué que les Maskhadov formés dans les rangs de l'Armée soviétique sont déjà évincés par de jeunes "caïds" peu connus qui ont grandi dans les conditions de deux dernières guerres caucasiennes et qui n'ont vu rien d'autre. Ces "talibans caucasiens" sont plus terribles que Doudaiev.

Nos chefs militaires trompent leur commandant en chef et, par la même occasion, leurs compatriotes en parlant des succès remportés dans les persécutions des bandits. Les représentants du gouvernement présentent des rapports mensongers sur la reconstruction de Grozny (le président russe a été étonné en prenant connaissance des travaux de construction dans cette ville qu'il a survolée en hélicoptère).

Nos fonctionnaires - civils et ceux des structures de force - ont beau invoquer l'"internationale terroriste". Seulement si l'"internationale" agit librement sur la terre russe, cela veut dire qu'on le lui permet. Si le financement budgétaire de la Tchétchénie est volé presqu'officiellement, si les terroristes acquièrent des armements russes ultramodernes, si le centre fédéral est représenté à Grozny par un jeune homme inexpérimenté, toutes les déclarations des hauts fonctionnaires à propos de l'étranger et les gémissements poussés à propos des "bandes internationales" témoignent, en fait, ou bien de l'impuissance, ou bien de l'irresponsabilité.

La tâche du pouvoir est d'éliminer la menace qui pèse sur la nation. Si cette tâche n'est pas accomplie par les personnes qui en sont chargées, elles doivent être immédiatement écartées.

L'absence d'un ordre est l'ennemi principal

Quant aux mesures proposées par le président russe Vladimir Poutine en vue de renforcer la lutte contre le terrorisme, il s'agit des nouvelles modalités de formation du pouvoir exécutif dans les régions et du passage au système proportionnel des élections de la Douma (chambre basse du parlement russe) et des assemblées législatives des entités de la Fédération de Russie.

A mon avis, ceux qui disent qu'il n'y a pas de lien entre les initiatives présidentielles et les événements à Beslan, rusent. Ce lien est direct. Si nous connaissions précisément le nom et le prénom de l'ennemi principal de la Russie, je pense que nous aurions trouvé plus rapidement les méthodes nécessaires pour lutter contre lui. Mais, pour l'instant, l'ennemi principal du pays est l'absence d'un ordre, d'un système politique fiable qui puisse faire face aux forces ennemies nombreuses. Elles se trouvent aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur, dans l'économie et le domaine militaire.

Les propositions du président suscitent, pour l'essentiel, une réaction positive. Les forces patriotiques, auxquelles se rapporte notre parti, se sont prononcées toujours pour la nomination des gouverneurs et la priorité de la législation fédérale, ce qui peut garantir l'égalité réelle en droits aux citoyens du pays, indépendamment de leur appartenance ethnique et de leur origine sociale.

La Russie s'est formée en tant qu'Etat centralisé, et non pas comme une association des "entités de la Fédération". Certains gouverneurs transforment les territoires qui leur sont confiés en principautés, ils y font régner l'absolutisme politique et font du chantage au pouvoir fédéral. Cela concerne surtout les républiques qui ont adopté leurs propres lois dans les années 90 et qui ont parfois annulé les lois fédérales, y compris dans le domaine des droits civils de la population. Les valeurs libérales - la liberté de la presse et des organisations sociales - ont pâti le plus dans les régions.

En ce qui concerne les modalités de la formation des organes représentatifs du pouvoir, les choses sont moins claires. Il est évident que le principe proportionnel des élections à la Douma et aux assemblées législatives régionales exclura la présence des députés indépendants dans le pouvoir représentatif. Mais, en tant que député élu trois fois dans la circonscription uninominale, je dois reconnaître que la voix des députés indépendants n'a pas d'importance substantielle dans la polémique entre les fractions puissantes. A la Douma, les députés "indépendants" sont voués à la dépendance. La liberté des députés indépendants est facilement sacrifiée, lorsqu'il s'agit, par exemple, d'obtenir le financement des programmes fédéraux d'investissement pour leur région.

Le processus parlementaire est une compétition de différents points de vue et idées émis par différentes écoles politiques dont les plus importantes doivent être représentées au parlement et dans les assemblées législatives régionales, sûrement au nombre de six au maximum. Si les partis sont plus nombreux, le problème des ambitions personnelles de leurs leaders se met à l'avant-scène, ce qui n'a rien à voir avec la compétition idéologique, ni avec les intérêts des groupes de citoyens qu'ils représentent. L'expérience des démocraties développées enseigne que les partis politiques réels dans un pays ne sauraient se compter par dizaines. Quatre à cinq suffisent largement pour refléter toute la palette des opinions politiques qui existent dans la société.

Si la Douma est élue sur les listes à la proportionnelle, les régions pourraient être représentées à l'Assemblée fédérale par le Conseil de la Fédération que la Constitution a investi de ce rôle. Il est vrai que dans ce cas les sénateurs devraient être élus au suffrage direct. Ce n'est que dans ce cas que le nouveau modèle de système politique de la Russie peut être considéré comme logiquement achevé.

Les conditions de l'opposition

On nous reproche parfois à nous autres, à l'opposition patriotique, de ne pas trop critiquer le président. Mais nous ne voulons pas faire de l'opposition un fétiche. Nous n'avons pas besoin de l'opposition en tant que rite. Nous la considérons comme le droit d'avoir un point de vue différent et de le matérialiser.

Le malheur du pouvoir actuel est qu'il n'est pas responsable des erreurs, des mauvaises décisions et en général de l'incurie et des vols banals. Le pays n'a pas jusqu'à présent de critères rigides d'après lesquels on pourrait donner une évaluation politique objective au travail de tel ou tel fonctionnaire.

Notre parti "Rodina" propose d'adopter au moins trois critères de base pour apprécier le travail des fonctionnaires fédéraux importants. Ce sont l'espérance de vie dans le pays, la garantie de la sécurité et la croissance du bien-être de la population. Si, par exemple, le gouvernement ne réalise pas de progrès dans ces secteurs au cours d'un an, la procédure de démission se met en mouvement automatiquement.

L'erreur évidente, débattue par le peuple tout entier, du président Poutine est le refus d'adopter des décisions radicales en matière de cadres. La touche est courte. Après la permutation de ce printemps, qu'on a appelée "réorganisation", les fonctionnaires ont échangé chacun son poste contre un autre. Les assiettes au beurre ont été distribuées entre des hommes impopulaires, puisque voleurs et négligents, dont chacun apporte un trait noir au portrait du Président.

Il est évident aujourd'hui que la décision de miser sur les généraux dans l'organisation du pouvoir dans le pays n'a pas apporté - hélas ! - de résultat tangible. Ils n'ont plus leur force. Ils s'avèrent incapables de faire face aux nouvelles menaces auxquelles le pays est confronté, pas même de réussir à la tête des administrations régionales. J'oserais supposer que ce n'est même pas leur problème. C'est un problème d'organisation du pouvoir, problème du refus des autorités de trouver des forces saines dans le pays, de s'appuyer sur elles, de ranimer l'énergie créatrice et constructive de la société et de l'utiliser dans l'intérêt de tout l'Etat.

Les initiatives du président laissent-elles entrevoir l'intention de redresser la situation ? Nous autres parti "Rodina" la voyons. Mais nous avons nombre de réserves à émettre.

L'essentiel de ce que les autorités doivent faire pour réaliser leur hyperprojet, c'est d'achever enfin la formation d'un système multiparti sain et puissant. Nous avons besoin de partis politiques civilisés et responsables, capables de former leur propre contre-pouvoir, de proposer des points de vue différents sur les projets des autorités, d'assumer le contrôle professionnel et ethnique des activités des services spéciaux. Cela doit être des partis qui s'orientent sur les intérêts nationaux du pays et qui possèdent un potentiel permettant de faire des propositions réalistes et bien argumentées.

Le pouvoir exécutif ne doit pas pour le moins s'ingérer dans les discussions entre les partis. Cela signifie que la Loi sur les partis politiques garantira la possibilité de débats concrets sur les problèmes actuels et stratégiques de la vie du pays. Ces débats doivent être accessibles à tous les citoyens intéressés et tous les partis politiques, notamment ceux qui sont représentés au parlement, doivent avoir un accès égal aux grands moyens d'information, surtout aux médias électroniques.

L'état de guerre dans lequel nous nous trouvons face aux "loups" du drapeau de l'Itchkerie tchétchène met la nation et sa direction politique devant la nécessité d'éliminer nos défauts, du moins les principaux. Et là l'opposition patriotique, capable de faire face au mal, notamment aux "loups" tchétchènes, pourrait y jouer un rôle très important.

Le point de vue de l'auteur ne correspond pas dans tous les cas à celui de la rédaction

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