La Douma est en train de décider de la direction du mouvement ultérieur de la Russie

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MOSCOU. (Commentateur politique de RIA-Novosti, Youri Filippov). La Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe) qui a commencé, ce vendredi, à examiner le projet de loi présidentiel sur le passage à la "nomination" des gouverneurs essaie en fait de répondre à la question: Où va la Russie?

Rappelons qu'après toute une série de très graves attentats terroristes en Russie, afin de réprimer le terrorisme, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a proposé quelques modifications à l'actuel système politique du pays. Quoi qu'il en soit, la principale de ses propositions ne porte pas du tout sur la "nomination" des gouverneurs, mais seulement sur une modification de la procédure d'élection des chefs de l'exécutif dans les 89 sujets-membres de la Fédération de Russie. C'est que jusqu'ici, les gouverneurs des régions et des territoires, ainsi que les maires des villes et les présidents des 21 républiques autonomes au sein de la Fédération de Russie ont été directement élus à des élections locales à suffrage universel. Vladimir Poutine déclare que, désormais, ils doivent être élus par des assemblées législatives respectives (et, naturellement, élues dans leurs territoires) sur présentation du Président du pays. Ensuite, le chef de l'Etat propose une procédure assez rigide qui se résume comme suit: si les candidatures proposées par le Président du pays sont rejetées par deux fois, ce dernier est en droit de dissoudre l'assemblée législative de la région, et en cas de perte de crédibilité ou d'échecs flagrants dans le travail du nouveau chef de la région, le Président peut le renvoyer, lui aussi.

Mais en quoi consiste précisément la réforme en question, et pourquoi en dépit de très vives protestations des partis d'opposition et de critiques plus que virulentes dans certains sujets-membres de la Fédération, cette réforme est-elle d'ores et déjà soutenue de facto au cours des auditions préliminaires par le Conseil de la Fédération (Chambre haute du Parlement russe) et même par la plupart des organes du pouvoir dans les régions de Russie? Pour résumer en bref le sens profond de cette réforme, on dirait sans doute qu'il consiste à débarrasser le système d'Etat russe de sa politisation par trop excessive, à remplacer les politiques inutiles à son fonctionnement efficace par des managers et des bureaucrates. De ce point de vue, cette future réforme s'inscrit parfaitement bien dans le cadre de la politique que Vladimir Poutine est en train de pratiquer en Russie depuis déjà plus de quatre années d'affilée.

La particularité de Vladimir Poutine, en tant que Président, consiste justement dans le fait qu'il est devenu leader d'un système politique, dont l'organisation et la nature même ne l'arrangeaient pas du tout. Or, il n'a pas été le seul à ne pas l'accepter le plus catégoriquement. En effet, le nouveau Président a hérité de Boris Eltsine un Etat entièrement corrompu et parfaitement inefficace, dépourvu d'une base économique solide et n'ayant même pas de prestige moral. Comme résultat, en mai 2000, à la suite de sa première investiture au poste de Président, Vladimir Poutine a bien pu avoir l'impression de se retrouver au volant d'une voiture qui n'obéit pas à ses commandes, mais roule toute seule. Cette image permet sans doute de comprendre pourquoi il a entamé la réforme de l'Etat dès le premier jour de son mandat présidentiel et tout porte à croire qu'il ne s'arrêtera plus jusqu'à tout dernier jour de sa présidence.

Au cours de son premier mandat présidentiel, Vladimir Poutine a plutôt facilement remis à leur place les fameux "oligarques", personnes ayant acquit, sous Boris Eltsine au poste de Président, pratiquement pour rien les meilleurs morceaux de l'ancienne propriété soviétique et habitués depuis à entrer sans même frapper dans n'importe quel bureau au Kremlin, tout en exerçant leur impact de couloir sur la prise de décisions politiques de la plus haute importance. Un peu plus tard, quand la politique russe s'est déplacée plutôt vers le centrisme pragmatique, la lutte politique entre les soi-disant "libéraux" et "communistes" s'est quelque peu apaisée. Force est de reconnaître que bien que cette lutte ait détourné des ressources considérables, elle n'a pas donné d'effet positif à la croissance économique et ni à l'exercice des libertés civiles pour la plupart de la population du pays, car cette lutte ne prenait nullement en compte le cycle économique russe.

Enfin, au cours même de son premier mandat présidentiel, Vladimir Poutine a également engagé le processus de "refonte" des élites régionales, en leur retirant une partie des fonctions politiques et essayant même d'élever leur responsabilité personnelle pour les résultats du développement économique des régions. Dès 2002, par exemple, les leaders régionaux ont perdu le privilège de siéger à la Chambre haute du Parlement russe. Comme résultat, ils ont commencé à perdre progressivement leur cote de popularité à profit des politiques de portée véritablement fédérale.

Si l'étape suivante de la réforme d'Etat amorcée par Vladimir Poutine et portant notamment sur la procédure d'élection des chefs des régions est réalisée, comme il se doit, la tendance à la "dépolitisation" des activités des élites régionales pourra devenir bel et bien irréversible. Au bout du compte, les réformes politiques lancées par Vladimir Poutine tendent à l'accomplissement des tâches économiques. La "compétitivité" est l'un des termes les plus fréquents dans les messages annuels du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, à l'Assemblée Fédérale. L'année dernière, par exemple, le chef de l'Etat a proposé à titre de repères nationaux le doublement du produit intérieur brut (PIB) dans les dix ans à venir et la lutte contre la pauvreté. A signaler qu'à la différence des réformes politiques, il ne s'agit pas là des moyens employés par l'Etat, mais de ses objectifs stratégiques tout à fait précis. Pourtant, en dépit de toutes les réformes engagées, la politique entrave toujours très sérieusement le développement économique. La Russie est en train de battre tous les records de la croissance économique, alors que le Président et beaucoup d'autres n'en sont pas satisfaits, loin s'en faut, en signalant une "composante pétrogazière" trop importante de cette croissance, en se demandant sans doute: "Et qu'arrivera-t-il quand les prix du brut vont dégringoler? Quelles ressources de la croissance pourra-t-on donc mobiliser alors?

Le ministre des Finances, Alexeï Koudrine, que les experts associent d'ailleurs à l'entourage immédiat de Vladimir Poutine, a reconnu récemment qu'il n'y avait pas dans le pays d'espace économique unique ni de marché unique. C'est qu'il existe dans chaque région son propre marché, limité et relativement isolé qui est couvert par une sorte de protectionnisme local et argumenté politiquement par l'institut des leaders régionaux élus par l'ensemble du peuple.

Il se peut évidemment qu'Alexeï Koudrine a un peu exagéré, mais l'essentiel du problème et sa vision par l'entourage présidentiel ont sans doute reçu leur expression tout à fait exacte dans les propos tenus par le ministre. L'un des facteurs premiers qui entravent toujours le développement économique de la Russie est la politisation hypertrophiée des processus économiques en cours dans le pays, et surtout dans ses régions. Cela s'était aussi rapporté à l'Empire de Russie et à la Russie soviétique, orientée par l'idéologie même vers une économie planifiée et ce, indépendamment de son efficacité économique.

Un récent exemple de la primauté de la politique sur l'économie est fourni par les activités en Russie dans les années 1990 des "fondamentalistes de marché" qui prétendaient notamment que la libéralisation était à faire parce que les idées libérales l'imposaient, idées qui comptaient, selon eux, beaucoup plus que la diminution parallèle du PIB, des revenus par habitant et de l'espérance moyenne de vie. Même l'actuelle répartition de la Russie selon un principe administratif territorial a, elle aussi, à sa base des raisons essentiellement politiques et idéologiques et pas du tout économiques. L'objectif et la cause principale de la ténacité de cette répartition, c'est incontestablement cette rente politique que tirent les élites régionales de leur situation privilégiée et échappant pratiquement à tout contrôle du Centre fédéral et même de l'électorat, aussi étrange que cela puisse paraître. L'exemple le plus éclatant y est certes le Caucase du Nord qui est devenu dans les années 1990 un vrai foyer du crime et du terrorisme international. Il se trouve dans cette région sept républiques nationales, soit sept mini-Etats avec leurs propres Présidents, gouvernements, drapeaux et hymnes nationaux... Les représentants des ethnies titulaires pourraient sans doute en être fières s'il n'y avait pas là en même temps le chômage le plus grave de toute l'Europe qui atteint, par exemple, au Daghestan et en Tchétchénie 70 à 80% de la population active, si les revenus par habitant n'y étaient pas les plus bas même par rapport à la moyenne russe pourtant modeste, et si, enfin, les membres des clans au pouvoir n'y étaient pas, à la fois, les "parrains" des maffias locales. Par ailleurs, le plus grave est que ces élites ne peuvent même pas contrôler la situation dans la région sans parler déjà de réprimer le terrorisme, ce qui a été bien illustré par le comportement parfaitement inadéquat des Présidents caucasiens aux cours des événements tragiques à Beslan.

Somme toute, l'essentiel qu'ont appris à faire les élites nord-caucasiennes depuis que le Président Eltsine avait proposé, au début des années 1990, à tous les sujets-membres de la Fédération de Russie de "prendre autant de souveraineté qu'ils pouvaient en digérer", c'est de tenir la bride haute à leurs populations plongées dans la misère, tout en recevant des subventions du Centre fédéral. La réforme de Vladimir Poutine a pour tâche de déblayer ce bourbier au profit des germes d'une vie civilisée, d'y instaurer le contrôle d'Etat pour former les bases mêmes d'une administration rationnelle et responsable sans quoi ne sont tout simplement possibles ni démocratie, ni droits de l'homme, ni marché unique. Il est évident que ses formes concrètes peuvent se corriger, y compris sous l'impact de la critique des dirigeants des régions et ce, d'autant plus que ce n'est pas dans toutes les républiques nationales de la Russie que l'édification d'Etat ethnique s'est soldée par un échec aussi foudroyant que dans le Nord Caucase. Quoi qu'il en soit, la direction du mouvement est bien définie.

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