Les antimissiles américains en Europe menacent le continent

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MOSCOU. /par Viktor Litovkine, commentateur militaire de RIA Novosti/. L'article publié sous ce titre par le journal britannique The Independent n'est pas passé inaperçu en Russie. Rappelons, annonçait le quotidien, qu'en mai dernier le président des Etats-Unis, George W.Bush, a obtenu en principe l'accord secret du premier ministre Tony Blair pour installer des antimissiles américains PLV/EKV en Grande-Bretagne, à Fylingdale, dans le Yorkshire du Nord. Destinés à être intégrés dans le Système national de défense antimissile des Etats-Unis, ils en constitueront un des éléments déployés hors du territoire national.

Bien que, soulignait le journal, ni Tony Blair, ni le ministre britannique de la Défense Jeoffrey Hoon n'aient voulu commenter la nouvelle, le département de l'information et de la presse du ministère russe des Affaires étrangères y a réagi par une déclaration. "Nous n'avons pas d'information officielle sur ce sujet. Mais si une telle décision commune des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne avait effectivement lieu, ce serait un acte alarmant d'escalade du déploiement de la défense antimissile des Etats-Unis", est-il indiqué dans un commentaire des services diplomatiques russes.

Le général Leonid Ivachov, vice-président de l'Académie des problèmes géopolitiques largement connu en Occident pour sa critique de la politique des Etats-Unis et de l'OTAN, a réagi en des termes plus clairs à l'annonce du quotidien britannique. Il a déclaré à la presse qu'"en mettant en place sur le périmètre de la Russie leur système de défense antimissile, les Etats-Unis s'apprêtent moins à abattre, en cas d'une guerre, les missiles russes lancés contre les Etats-Unis qu'ils ne cherchent à neutraliser la capacité de notre pays à riposter à une attaque". Le général estime que cette situation procurera à Washington des conditions de diktat. Le ministère russe de la Défense n'a pas fait savoir son point de vue officiel sur cette information. A la veille de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, tout propos émis au sujet de la nouvelle initiative du Pentagone pourrait être considéré à Washington comme une tentative pour influer sur l'expression de la volonté du peuple, d'apporter nolens volens un soutien à tel ou tel candidat, ce qui n'entre pas dans les plans du Kremlin. Mais dans des entretiens non officiels les généraux russes, à l'instar de Leonid Ivachov, ne cachent pas leur préoccupation suscitée par l'intention des Etats-Unis de déployer leurs antimissiles et radars d'alerte aux missiles à proximité de la frontière russe.

Les représentants de l'administration américaine ne se lassent pas de rejeter l'hypothèse de préparatifs contre Moscou et ses forces stratégiques de dissuasion et d'expliquer les plans d'installations d'éléments du bouclier antimissile en Europe par une menace grandissante émanant de l'Iran et de la Corée du Nord, mais pour les spécialistes il est évident que Téhéran et Pyongyang n'y sont pour rien. Ils n'ont pas et n'auront pas d'ici quarante à cinquante ans de missiles capables de franchir la distance entre la péninsule de Corée ou les Hauts Plateaux iraniens et le continent américain.

Le problème est ailleurs, explique un autre expert russe en missiles nucléaires, le général en retraite Vladimir Beloous, professeur à l'Académie des sciences militaires. Les spécialistes militaires américains ne cachent pas leur conviction que l'objectif premier de toutes les versions du futur système national de défense antimissile est d'intercepter et de détruire les missiles adverses lors de la phase active de leur trajectoire, donc au-dessus du territoire de l'ennemi éventuel. Au moment de son départ le missile se laisse repérer plus facilement par les moyens de reconnaissance spatiaux et terrestres. Tant qu'il n'a pas encore atteint une vitesse supersonique, il est possible de l'intercepter sur le tronçon ascendant de sa trajectoire. Les "tronçons ascendants" des missiles russes capables d'être tirés depuis des sous-marins nucléaires sont les zones au-dessous de l'Atlantique Nord, de la mer Blanche, de la mer de Barents et de la région d'Arkhangelsk où, à Plessetsk, se trouve actuellement un pas de tir expérimental.

Ces zones sont, à juger par différentes informations parues dans la presse étrangère, scrutées par les radars américains d'alerte aux missiles installés au Groenland, en Grande-Bretagne, en Norvège, en Lituanie et en Estonie. C'est pour intercepter les missiles capables d'être lancées de ces zones que le Pentagone s'apprête à déployer des antimissiles dans la base aérienne britannique Fylingdale, dans le Yorkshire, ainsi qu'en Pologne et dans la République Tchèque, estiment les experts militaires russes. D'ailleurs, ces plans ont été ébruités un an environ avant la publication retentissante dans The Independent.

"Ainsi, il peut s'agir déjà de la création de deux nouvelles bases d'antimissiles hors du territoire national des Etats-Unis qui, de par leur position géographique, peuvent constituer une menace pour le potentiel nucléaire de dissuasion russe", est-il souligné dans le commentaire du département de l'information et de la presse du ministère russe des Affaires étrangères. D'autre part, on peut y lire plus loin : "La partie américaine nous assure que le système de défense antimissile en cours de création et ses bases étrangères ne sont pas dirigés contre la Russie. Pourtant, nous n'avons pas reçu jusqu'à présent de réponse à la question de savoir comment cela sera assuré et garanti. Tant que nous n'avons pas de réponse, nous ne pouvons pas négliger une éventuelle menace pour la sécurité de la Russie".

Comment les antimissiles américains menacent la sécurité nationale de la Russie, cela se comprend. Les conclusions du ministère des Affaires étrangères sont partagées par le général Leonid Ivachov et beaucoup d'autres experts militaires interrogés par le commentateur militaire de RIA Novosti. Ils affirment cependant que les Troupes de missiles stratégiques russes ont actuellement assez de moyens pour éviter que leurs missiles soient interceptés et détruits au-dessus du territoire national.

Le territoire russe est trop grand pour que les missiles PLV/EKV, par exemple, puissent atteindre un Topol-M lancé depuis Kartaly, dans la région de Tchéliabinsk, en direction de l'océan Glacial Arctique. Une interception sera également inefficace pour un missile tiré par un sous-marin navigant en plongée sous la banquise du pôle Nord. Dans son état actuel le bouclier nucléaire russe, en dépit de tous les problèmes et difficultés auxquels il est confronté, garantit une réponse foudroyante, si jamais elle est nécessaire. Espérons pourtant que tel ne sera jamais le cas. Nul doute, le Kremlin prendra des "mesures adéquates pour assurer sa sécurité", affirme le ministère russe des Affaires étrangères.

Autre chose préoccupante. Les dirigeants et l'opinion publique des pays où le Pentagone s'apprête à installer des éléments de sa défense antimissile doivent bien se rendre compte qu'en acceptant sur leur territoire des radars d'alerte aux missiles et des silos d'antimissiles étrangers, ils exposent leur pays à un danger militaire grave. Les principes de tout combat, d'autant plus d'une guerre avec missiles, prescrivent d'attaquer en premier lieu non pas la profondeur du dispositif défensif mais les moyens de protection. Ce n'est qu'après les avoir neutralisés qu'il est possible d'avancer, d'attaquer les postes de commandement et de direction, les états-majors, les bases et les arsenaux ennemis.

Des missiles étrangers, quel qu'en soit le type, sur le territoire national ne renforcent pas sa sécurité mais, au contraire, commencent à le menacer de la façon la plus directe. Car ils signifient que ce pays fait inscrire, de gré ou de force, ses coordonnées sur des plans de batailles d'un pays étranger ou, en d'autres termes, se met dans son collimateur. Je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire pour que les Anglais ou les Polonais se sentent en sécurité.

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