La Russie veut recenser tout le bétail, les terres, les moissonneuses-batteuses et les plates-bandes, est-ce possible?

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MOSCOU. (par Iana Yourova, commentatrice politique de RIA-Novosti). La Russie se prépare à une opération grandiose: le Recensement dans l'agriculture russe. L'Agence fédérale des Statistiques d'Etat de la Fédération de Russie (Goskomstat) a prévu cet événement pour 2006, mais le pays s'entraîne déjà à organiser cette action.

Un recensement expérimental a eu lieu en août dans l'agriculture des régions de Saratov, de Penza et des territoires de Krasnoiarsk et de Krasnodar. Quelque 1600 personnes ont participé à cette action qui a coûté au pays 46 millions de roubles. Mais ce n'est pas tout: en 2005, une autre étape de mise en route est prévue, pour ainsi dire, un projet pilote.

En principe, cette mise en route prolongée et un peu nerveuse n'est pas surprenante, car, le dernier recensement dans l'agriculture russe a été effectué en 1920. Ensuite, seules des inspections spécialisées ont été périodiquement effectuées: pour les surfaces ensemencées de cultures agricoles, elles ont été effectuées en 1964, 1976 et 1985. Toutes les plantations de fruits et de baies, ainsi que les vignobles ont été recensés en 1970 et 1984. Le dernier recensement du bétail a eu lieu le 1er janvier 1996. Par conséquent, en fait, les statisticiens actuels n'ont aucune expérience en matière de recensement général touchant à tous les aspects de l'agriculture russe.

On mise beaucoup sur ce recensement. Il permettra de répondre à l'une des questions principales de l'économie: le secteur agricole, sera-t-il la locomotive ou le frein de l'économie russe en essor? Pour l'instant, de même qu'aux décennies précédentes, le voyage à la campagne laisse une impression pénible, et le tableau pitoyable qui s'y présente est plus éloquent que toutes les statistiques.

En effet, même à l'époque soviétique, les inspections des réalités agricoles étaient effectuées à de longs intervalles et d'une manière très spécialisée, ce qui rendait même à cette époque impossible de se figurer l'état général de l'agriculture. Mais, depuis, les contacts agro-industriels et la structure de l'agriculture russe ont subi des métamorphoses globales. Dans les années 90 de même que dans toute la Russie, de nouvelles conditions économiques de la production agricole sont apparues à la campagne, les rapports fonciers ont changé, une pluralité de structures a fait son apparition. Si, jadis, les grandes entreprises agricoles étaient les principaux producteurs, à présent, l'entrepreneur individuel joue un rôle important sur ce marché, non seulement les fermiers, mais aussi les propriétaires de maisons de campagne qui quittent leur appartement qu'ils ont en ville et vont travailler dans leur jardin-potager les jours de repos. Tout cela est recensé dans les Statistiques d'une manière très conventionnelle.

Bien entendu, certains chiffres ont été cités ces dernières années. Le Comité d'Etat pour les Statistiques a employé une méthode de contrôle d'ensemble, en utilisant dans les statistiques les renseignements qui s'accumulent dans les administrations rurales. Cependant, au fur et à mesure du développement des nouveaux rapports économiques, lors du passage de l'économie de planification centralisée à celle de marché, cette méthode est devenue inefficace, car elle fournit souvent une information altérée.

Evguenia Serova, professeur et présidente du Centre analytique de l'agro-alimentaire, raconte: inspectant les emblavures dans la région de Rostov, le groupe qu'elle dirigeait a étudié les photographies aériennes des champs de céréales et a mis en évidence des divergences considérables avec les chiffrés cités dans les rapports. Il s'avère que les fonctionnaires ruraux ont exagéré la récolte attendue de 20 %, car cela leur promet la reconnaissance de leurs chefs.

Il faut dire que ces erreurs ne sont point anodines pour le pays. En l'occurrence, les autorités peuvent décider que, puisqu'une bonne récolte est prévue il y aura un excédent de céréales, il faut donc intervenir en procédant à des achats. Le gouvernement prend ordinairement ces mesures pour prévenir la chute des prix des céréales. Or, en réalité, la quantité de céréales s'avère bien moindre et même une pénurie est possible. Mais les autorités ont déjà épongé par leurs achats le marché. Par conséquent, les prix des céréales montent en flèche.

Le destin de l'ensemble du secteur agricole du pays dépend du prochain recensement, du moins pour la prochaine décennie. En effet, d'après les recommandations de la FAO, le recensement agricole doit être effectué tous les dix ans. La Russie n'est pas membre de cette organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, mais elle suit tout de même ses conseils.

Les employés des statistiques russes sont prêts depuis longtemps à passer à la méthode moderne reposant sur les études dites sélectives. Vladimir Sokoline, directeur du Comité d'Etat des Statistiques de la Fédération de Russie, a déclaré: "Les études sélectives des exploitations de la population sont l'une des sources principales d'informations pour les statistiques macroéconomiques dans l'agriculture, pour établir les balances alimentaires, déterminer les volumes de la production agricole, la consommation des principaux produits alimentaires par la population, etc." Mais avant d'effectuer les études sélectives, il faut avoir un tableau général qui doit être brossé par le prochain recensement dans l'agriculture russe.

A son avis, les recommandations de la FAO ne conviennent pas à la Russie. Elles proposent de fonder l'étude sur l'avis du producteur agricole et de recenser tous les aspects de l'agriculture, par exemple, le bétail, les équipements, les emblavures, etc. d'après ses dires. Mais la Russie a ses particularités. Citons l'exemple du matériel agricole: les fournisseurs en sont nombreux, même les entreprises turques introduisent des moissonneuses-batteuses et des tracteurs dans le Sud de la Russie pendant les semailles ou la moisson. Mais il est inutile de demander à l'agriculteur la quantité de ces machines agricoles, car, en règle générale, il n'en a pas.

Pour l'instant, les statisticiens russes rappellent un homme qui cherche son porte-monnaie perdu sous une lanterne, car c'est un endroit mieux éclairé. En fait, ils prévoient de questionner les paysans. Pourtant, on peut apprendre le nombre de têtes du bétail dans un village en étudiant les registres vétérinaires. Si un paysan vend du lait, il reçoit un certificat vétérinaire pour sa vache. Les machines agricoles sont enregistrées par Gostekhnadzor (Inspection technique de l'Etat). Les terres sont représentées sur les photographies aériennes. Cette approche sera non seulement plus précise, mais aussi moins coûteuse. La dimension du questionnaire est un autre problème. Il est très volumineux: 400 pages. Pour s'en débarrasser, le producteur agricole le remplira au hasard et ira traire les vaches. Autrement dit, la qualité du sondage risque d'en souffrir.

Enfin, un dernier point: le prochain recensement met l'accent sur l'exploitation individuelle. Un immense questionnaire demande la quantité de mètres carrés ensemencés de chou, de carotte ou d'oignon, la quantité de groseillers. Mais qui aura envie mesurer les plates-bandes? Les réponses ne seront pas précises. Selon Evguenia Serova, il vaut mieux recenser le nombre de personnes qui participent à la production agricole dans diverses régions et procéder ensuite à l'étude sélective des exploitations typiques.

Bref, "la mise en route des statisticiens" fera disparaître l'illusion que le sondage généralisé révèlera des données justes. Le recensement doit apprendre à l'Etat, au minimum, à évaluer les ressources agricoles de la nation. Quant au maximum, il aidera ce secteur à se tirer de l'état permanent de misère économique dans lequel il se trouve depuis plusieurs décennies.

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