Le report du sommet Russie-UE offre un répit mais ne peut prévenir la dérive de la Russie vers l'Amérique

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PARIS. /Angela Charlton pour RIA Novosti/. Les débats animés sur la nouvelle composition de la Commission européenne ont fourni à Moscou une belle occasion pour annuler le sommet UE-Russie que les deux parties attendaient avec effroi.

La demande de la Russie de reporter à plus tard la rencontre qui devait se tenir jeudi à La Haye n'a pas étonné les fonctionnaires européennes qui l'ont tout de suite satisfaite. On a l'impression que depuis ces derniers temps les deux parties sont également mécontentes l'une de l'autre et que la rencontre promettait de devenir difficile et, vraisemblablement, stérile. Tout porte à penser cependant que ce sursis de quelques semaines sera plutôt inefficace.

Les anciens conflits entre Moscou et Bruxelles - au sujet de la Tchétchénie, des droits de l'homme, du prix des matières énergétiques, de Kaliningrad, de la population russophone des pays baltes - couvent toujours. Des problèmes nouveaux surgissent, liés à la frontière commune, aux dernières réformes politiques du président Vladimir Poutine, au soutien qu'il a apporté à la réélection de George W.Bush, à la tactique de la lutte contre le terrorisme.

Le mois dernier, les leaders de l'Union européenne jubilaient lorsque Poutine a vite fait ratifier le protocole de Kyoto, de toute évidence en échange du soutien de l'Union européenne à l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce. Mais cela n'a pas suffi pour sortir leurs relations de la crise actuelle. L'élite politique moscovite n'a pas tardé à oublier l'importance du protocole de Kyoto et pour porter son regard sur la course à la présidence des Etats-Unis.

Il semble que Poutine préfère de plus en plus l'alliance avec des leaders persévérants comme Bush à la coopération avec les institutions européennes complètement absorbées dans des discussions interminables. L'époque de l'anti-américanisme en Russie a pris fin, du moins pour ceux qui élaborent sa politique extérieure. Ils affirment maintenant avec insistance que du point de vue des valeurs universelles l'Amérique est plus proche de la Russie que l'Europe. Peut-être cette assertion ne traduit-elle que l'intransigeance, caractéristique des deux pays, envers la lutte contre le terrorisme, mais dans le monde actuel la position d'un Etat à l'égard du terrorisme a une importance déterminante.

Néanmoins la Russie a besoin de l'Union européenne. Elles se trouvent toutes deux sur le même continent, affichent un énorme chiffre d'affaires des échanges bilatéraux et font désormais frontière commune. Le problème est de savoir si les deux parties vont faire preuve de volonté de coopérer et d'accepter un compromis suffisant pour s'entendre sur un vaste éventail de problèmes et justifier la tenue d'une rencontre au plus haut niveau, ou si elles préfèrent toujours se limiter à des accords de seconde importance sur des questions concrètes tout en laissant durer les divergences essentielles.

Aucun signe que la position russe s'est adoucie n'est visible. Le rattachement des pays baltes à l'UE ce printemps ne cesse de donner la colique aux leaders russes. L'indignation suscitée en Europe par la décision de Poutine d'annuler l'élection des gouverneurs et des députés indépendants a mis en colère le Kremlin mais les Européens n'ont pas réussi à provoquer une opposition à cette décision parmi les Russes.

Moscou se montre offensé aussi de se voir mettre sur la même planche avec d'autres nouveaux voisins de l'UE, par exemple avec l'Ukraine. "Ce costume est un peu trop étroit pour nous", a déclaré à cette occasion mardi dernier le représentant du Kremlin auprès de l'UE, Serguéi Iastrjembski, qui s'est prononcé pour des "relations particulières" avec l'Europe, relations correspondant au statut "massif" de la Russie.

C'est la "massiveté" de la Russie qui fait peur jusqu'à présent à bien des Européens, surtout aux nouveaux membres de l'Union européenne qui gardent un souvenir vivace du régime soviétique. Les parlementaires européens et les délégués des pays baltes, de la Pologne et de la Hongrie résisteront à tout fléchissement face aux exigences de la Russie. D'autres membres de l'Union peuvent se retrouver dans le rôle de médiateurs entre l'Europe de l'Est et sa voisine orientale.

D'autre part, l'UE est trop absorbée dans les débats extraordinairement orageux sur la nouvelle composition de la Commission européenne pour prêter une attention suffisante à la Russie. Ces discussions permettent de supposer qu'après la nomination de la nouvelle composition de la Commission ses membres se mettent à l'œuvre pour démonter leur zèle et leur indépendance. Le meilleur moyen d'y parvenir sera une pression plus énergique sur la Russie dans les problèmes liés aux abus des militaires en Tchétchénie ou aux conflits en Moldavie ou en Géorgie.

Le refroidissement général entre la Russie et l'Union européenne ne s'est pas beaucoup répercutée sur les relations personnelles de Poutine avec Silvio Berlusconi, Gerhard Schröder et d'autres leaders européens. Le président russe continuerait à rechercher des accords avec différents pays tout en refusant de signer, au niveau de l'Union européenne dans son ensemble, des documents qu'il juge injuste ou offensant du point de vue du statut international de la Russie.

Planifiant le sommet de La Haye, les deux parties espéraient conclure un accord de partenariat dans quatre domaines. Dans le domaine de la science et du droit elles sont déjà près de s'attendre. Mais dans les deux autres - les droits de l'homme et la sécurité - un travail supplémentaire s'avère indispensable, ainsi que l'a reconnu la semaine dernière le président français Jacques Chirac.

Le problème des négociateurs européens consiste en ce qu'ils n'ont plus les avantages économiques et moraux qu'ils avaient par rapport à la Russie dans les années 1990. La Russie connaît un boom économique tandis que l'Europe patauge dans la stagnation. La Russie a du pétrole et du gaz dont l'Europe a besoin tandis que Moscou n'a plus besoin de l'aide ou des recommandations étrangères. Les Russes ont déjà tenté des expériences de privatisation et d'élection démocratique et n'en gardent qu'une déception profonde.

Poutine et ses conseillers veulent suivre leur chemin que les négociateurs européens auront du mal à "décrypter" et surtout à concevoir un compromis. Les négociateurs russes, en ce qui les concerne, feraient bien de se montrer prudents pour ne pas blesser les investisseurs et les services antiterroristes européens et ne pas irriter les partenaires européens au point que, d'ici 2008, à l'expiration de l'époque Poutine-Bush, les relations entre les deux deviennent irréparables.

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