L'économie russe: matières premières ou hautes technologies?

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SANTIAGO DU CHILI, 22 novembre. (Par Dmitri Kossyriev, commentateur politique de RIA Novosti). La sempiternelle concentration de l'économie russe sur ses matières premières figurait parmi les préoccupations spécifiques de la délégation russe au Forum annuel de l'Association de Coopération Asie-Pacifique (APEC) qui vient de s'achever dans la capitale chilienne. On se souvient qu'en 1998, quand l'APEC avait accueilli dans ses rangs la Russie, le seul pays eurasiatique de cette organisation, Moscou avait clamé haut et fort que c'est précisément dans la région Asie-Pacifique que la Russie avait les plus grandes chances d'accroître la part des produits sophistiqués dans ses exportations. Pour les Russes il s'agit des secteurs qui présentent des avantages évidents sur les partenaires et les concurrents: aérospatiale, nouveaux matériaux, technologies énergétiques (dont l'électronucléaire) et bien d'autres, mais surtout pas le pétrole brut, le gaz, les métaux, le bois non transformé, etc. Le Forum de l'APEC, le septième auquel la Russie participait en qualité de membre de plein droit de ce groupement régional influent, est une bonne occasion de voir dans quelle mesure se sont réalisés les espoirs placés sur les marchés asiatiques en tant que catalyseurs des exportations russes de produits élaborés.

A Santiago du Chili le ministre russe du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref, interrogé par l'auteur de ces lignes a fait remarquer qu'en chiffres absolus les exportations d'articles sophistiqués sont effectivement en hausse, très sensible qui plus est. Cependant, si l'on a en vue le rapport entre les matières premières et les produits élaborés, on ne remarque pas de changements particuliers. Il y a beaucoup de raisons à cela, notamment les difficultés d'accès des marchandises aux marchés, a poursuivi le ministre.

Il est évident que sur les marchés extérieurs en proie à une pénurie de produits énergétiques, la demande de ces derniers est plus élevée. La concurrence y est moins rigoureuse que dans les branches sophistiquées. Il est bien plus simple d'exporter du brut que de mettre sur pied un quelconque projet à long terme à partir d'une nouvelle technologie russe. D'où les mises en garde des économistes internationaux selon lesquels la solution de facilité consistant à exporter des matières maintient les faiblesses de l'économie intérieure, qui se traduisent en crise lorsque les prix du pétrole chutent.

Il est curieux de constater que l'économie de la région Asie-Pacifique est la principale source mondiale de cet attrait. La demande de pétrole aux Etats-Unis et en Chine, deux pays membres de l'APEC, provoque une envolée incontrôlée des prix du brut, lit-on dans le rapport économique annuel de l'Association de coopération Asie-Pacifique.

Selon le ministère dirigé par Guerman Gref, au cours des 20 prochaines années la demande d'or noir dans les pays de l'APEC augmentera de 50 pour cent. En 2030, la Chine importera la moitié du gaz qu'elle consommera. Quant à ses besoins en pétrole, ils se chiffreront à 650 millions de tonnes, soit deux fois plus qu'aujourd'hui. En ce qui concerne la Russie, elle se trouve dans une situation avantageuse grâce à ses gisements de pétrole et de gaz en Sibérie, situation qui sera encore meilleure après l'entrée en service de la centrale hydroélectrique Boureïskaïa, lorsque le pays disposera d'un excédent d'électricité.

Bien sûr, la Russie exporte pas mal de hautes technologies dans la région Asie-Pacifique et ici l'APEC a joué un rôle non négligeable en qualité de support pour l'élaboration de contrats et de programmes. Il en a été notamment ainsi avec de nouveaux projets en Malaisie et en Chine, ainsi qu'avec l'exposition de hautes technologies qui s'était tenue dans le cadre du précédent Forum de l'APEC à Bangkok. Des avancées dans le volet technologique se sont aussi produites dans les relations bilatérales de la Russie avec le Chili - pays hôte du Forum de l'APEC - où avant de prendre part au sommet Vladimir Poutine avait effectué une visite officielle. Pendant que le président chilien Ricardo Lagos recevait son homologue russe dans l'historique palais de la Modena, un cargo chargé d'un premier lot de camions de gros tonnage " Kamaz " voguait vers les côtes du Chili où ils seront utilisés dans les carrières. Les deux présidents ont aussi évoqué la coopération spatiale, l'assemblage éventuel au Chili de véhicules destinés à être ensuite distribués aux quatre coins du continent latino-américain. Au cours de la visite il a également été question de centrales nucléaires flottantes, un autre atout des exportations russes. Au Brésil, pays où Vladimir Poutine s'est rendu en visite à l'issue du Forum de l'APEC, le secteur aérospatial a presque été le sujet majeur des pourparlers.

Néanmoins, les dirigeants de "Gazprom" et d'autres compagnies énergétiques ainsi que des banquiers influents prédominaient quand même dans la délégation russe d'entrepreneurs présente au Sommet d'affaires, la manifestation phare du Forum de l'APEC. La participation au Sommet d'affaires - club réunissant l'élite du patronat de la région - a toujours permis de déterminer quels étaient dans la région les contacts les plus prometteurs pour tel ou tel pays.

Cependant, d'après les conversations que nous avons eues avec des participants russes au Sommet d'affaires il ressort qu'il ne faudrait pas penser que le gouvernement russe entend sciemment reléguer au second plan les énergéticiens au profit des chauds partisans des hautes technologies. Non, la réalité est quelque peu différente. Le secteur énergétique lui aussi peut très bien exporter des produits sophistiqués ou être la locomotive de leur développement.

Participant au sommet, Dmitri Chelekhov, PDG de "Vostokressours", une structure affiliée au géant "Gazprom", nous a dit qu'avec un prix du gaz de 25-30 dollars les 1.000 mètres cubes sur le marché intérieur russe il était avantageux et simple d'exporter la matière première à l'état brut à l'étranger où le consommateur les paiera 500 dollars. Cependant les choses sont plus compliquées en ce qui concerne la région Asie-Pacifique. Le gouvernement russe a décidé que la plus grande partie - 70 pour cent - du gaz extrait en Sibérie devait être non pas exportée mais utilisée sur place. Mais même sans cela le développement des ressources de la Sibérie orientale tout comme leur exportation réclament d'ores et déjà des technologies sophistiquées et l'élaboration de nouvelles. Par exemple, des technologies inédites sont nécessaires pour mettre en valeur les nouveaux gisements de gaz et d'hélium dans le territoire de Krasnoïarsk. L'hélium est très demandé en Asie où les industries pharmaceutique et électronique sont en plein essor. Cela n'est pas non plus un problème insurmontable parce que l'on sait que la vente du produit fournira les moyens indispensables pour ce faire.

Etant donné l'absence de gazoducs entre la Russie et la région Asie-Pacifique, on envisage la création en Orient russe d'unités de production de gaz liquide. Ce travail hautement technologique serait générateur d'emplois dans d'autres secteurs économiques. "Vostokressours" exporte non pas de la matière première primaire, mais de l'alcool méthylique, un produit très recherché dans l'industrie chimique. La demande de ce produit dans la région est en hausse, l'année prochaine la seule Chine mettra en service trois grandes entreprises consommatrice de méthanol.

Par conséquent, aussi bien "Vostokressours" que les entreprises de l'industrie gazière avec lesquelles il coopère attachent une grande attention à l'aspect scientifique et technique de la chose non pas parce que c'est profitable à l'économie russe dans son ensemble, mais parce que cela contribue à l'implantation des entrepreneurs russes dans la région Asie-Pacifique.

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