Origine de la russophobie dans l'UE

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MOSCOU, 23 novembre (par Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA-Novosti). Il est difficile de dire pourquoi le 25 novembre convient mieux pour le sommet Russie-UE aux Pays-Bas que le 11 novembre, date à laquelle il n'a pu avoir lieu.

On dit que Jose Manuel Barroso, nouveau président de la Commission européenne, n'avait pas encore élaboré la liste de sa nouvelle équipe en concertation avec les eurodéputés, Moscou n'aurait donc pas eu d'interlocuteurs habilités au sommet.

Mais les ennuis liés à la composition de la Commission ne sont pas encore terminés. On ne sait pas, par exemple, si Jacques Barrot participera au sommet: le passé judiciaire du Commissaire européen chargé du Transport - il a été condamné à une peine de prison avec sursis pour détournement de fonds - contraint ses collègues à exiger sa démission. Cependant, le transport, plus précisément la position de l'UE à l'égard du transit par la Lituanie pour parvenir dans l'exclave de Kaliningrad, est un sujet qui intéresse beaucoup la Russie. Naturellement, la délégation russe voudrait que le poste de Commissaire européen chargé du Transport soit confié à un homme qui ne soit pas destitué peu après.

On dit également que le travail sur les "feuilles de route" de quatre espaces communs en voie de création par la Russie et l'UE dans les domaines de l'économie, de la sécurité extérieure et intérieure et dans le domaine des problèmes humanitaires n'était pas achevé au 11 novembre. Or, formellement il n'existe pas d'entente qui préconise d'achever obligatoirement la formation de ces quatre espaces pour le sommet de La Haye.

Quoi qu'il en soit, au cours des six mois écoulés depuis le dernier sommet à Moscou, les parties ne sont pas restées les bras croisés. Mais, comme le font savoir certaines sources, le progrès n'est pas spectaculaire. Seule la "feuille de route" sur l'espace humanitaire est prête. Pour ce qui est des autres domaines, il y a des versions russes et européennes destextes qui nécessiteront de sérieux et longs efforts pour aboutir à une entente. Le document concernant la sécurité intérieure est le moins prêt. D'ailleurs, c'est compréhensible: c'est là que se heurtent les intérêts de nombreux départements de l'Union européenne et de la Russie enclins à interpréter à leur manière les problèmes de la protection des frontières, de la simplification du régime des visas, de la réadmission des ressortissants étrangers, de la lutte contre le trafic de drogue, etc. Par conséquent, il est peu probable que le sommet de La Haye réjouisse la communauté mondiale par des documents historiques. A mon avis, ce n'est pas si mal. Au lieu de se concentrer sur la construction des quatre espaces communs à partir de morceaux hétérogènes qui ne collent pas entre eux, le deuxième sommet Russie-UE depuis l'élargissement de l'Union européenne qui se tiendra avec la participation du président Vladimir Poutine pourrait se pencher sur l'essentiel, notamment sur le cinquième espace qui se rétrécit, ces derniers mois, comme une peau de chagrin: l'espace de confiance.

La Russie et l'Union européenne se font aujourd'hui moins de confiance qu'il y a quelques mois. C'est un fait incontestable. L'UE sonne le toscin au sujet du "recul de la démocratie en Russie", en se référant aux plans de Vladimir Poutine tendant à changer le système d'administration et à ce qui est considéré comme la violation des droits de l'homme en Tchétchénie.

"Les Russes n'aspirent pas aux valeurs européennes!" s'exclament ces critiques zélés, en oubliant que le pays n'a pas encore repris son souffle après une véritable révolution qui a changé entièrement son système socio-économique et l'idéologie de l'Etat.

Dans ces conditions, exiger que la Russie s'initie immédiatement aux valeurs que l'Europe a cultivées sur ses gazons bien soignés depuis des décennies, sinon des siècles, c'est, dans le meilleur des cas, une morgue insensée et, dans le pire une hypocrisie dangereuse.

C'est dans ce dernier sens que la critique énoncée par l'Union européenne est accueillie par les milieux nationalistes slavophiles en Russie qui voudraient, depuis l'époque des tsars, isoler leur patrie du progrès et de la démocratie européens. Ces milieux jouissent toujours d'une grande influence en Russie. Ils prospèrent en profitant de chaque morceau que leur est jeté par leurs vis-à-vis européens.

Bernard Bot, ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, exige sévèrement que la Russie "s'explique" au sujet de ce qu'elle a fait à Beslan. Entre-temps, le nombre d'enfants morts à Beslan n'a pas été encore précisément établi et les cierges n'ont pas été allumés pour les commémorer.

La fraction CDU/CSU du Bundestag allemand interpelle son gouvernement fédéral sur "L'avenir économique de la région de Königsberg après l'élargissement de l'Union européenne". Il s'agit, en fait, d'arracher Kaliningrad à l'espace juridique et douanier russe. Le Bundestag publie cette interpellation en qualité de document officiel, comme s'il n'y avait eu aucun règlement d'après-guerre en Europe.

Les autorités britanniques accordent l'asile politique d'abord à Akhmed Zakaiev, chef des bandes tchétchènes, qui a personnellement coupé les doigts de ses prisonniers, ensuite au soldat Andrei Krotov, déserteur de l'armée russe en Tchétchénie.

Tous ces exemples de l'insensibilité flagrante des capitales européennes aux problèmes russes, de l'application évidente d'une politique de deux poids, deux mesures et d'une hypocrisie ostensible ne pouvaient pas ne pas provoquer une crise de confiance entre la Russie et l'UE, à laquelle auront malheureusement affaire les participants au sommet de La Haye. Il est difficile de chercher une issue à cette crise. Le fait est qu'on assiste, à la direction de l'Union européenne, au renforcement des positons de ceux qui sont prisonniers du stéréotype de la "guerre froide": l'Europe unie a été, est et sera un contrepoids à la Russie. Celaétant, la participation des Etats postcommunistes à l'UE élargie est considérée comme un moyen de les "soustraire" à la soi-disant dangereuse influence de la Russie.

Mme Ferrero-Waldner, Commissaire de la Commission européenne chargée des relations extérieures, s'est exprimée à ce sujet plus franchement que d'autres. "Je ferai tout mon possible pour que, du moins, l'Ukraine reste à nos côtés ...", a-t-elle déclaré. Autrement dit, pour un membre de la direction de l'Union européenne, il existe "notre côté" et l'autre, hostile: la Russie. De l'avis du Commissaire européen, la légitimité des intérêts de la Russie ne doit pas être reconnue même en Ukraine, voisin et allié historique des Russes.

Quelle est l'origine de cette russophobie dans l'Union européenne? Il ne fait pas de doute que les humeurs de malveillance envers la Russie se sont accentués dans l'UE après l'arrivée, en mai dernier, de dix nouveaux membres, pour l'essentiel, de l'Europe centrale et de l'Est. Un groupe de personnes, pour l'essentiel, de représentants des Etats postcommunistes qui voudraient compliquer, sinon saper, le dialogue entre Bruxelles et Moscou, est apparu au Parlement européen, à la Commission européenne et dans d'autres organes dirigeants de l'UE.

Ces gens y ont apporté l'esprit de confrontation et d'intolérance à l'égard de la Russie. De vieilles offenses historiques inspirent les membres nouveaux de l'Europe unie. Il s'agit d'une sorte de douleurs fantomatiques du patient qui sent toujours sa jambe amputée. L'Union Soviétique n'existe plus depuis longtemps, les anciens satellites soviétiques sont, depuis longtemps, des Etats indépendants, mais leurs complexes d'antan les poussent à une russophobie non dissimulée, archaïque à notre époque. Ce désir d'imposer à l'Union européenne des humeurs antirusses éprouvé par les jeunes membres de l'UE qui ont sauté du régime communiste dans l'idylle de la démocratie européenne préoccupe profondément les membres plus anciens de l'UE et, encore plus, la Russie. Mais Bruxelles et Moscou ne perdent pas encore l'espoir d'étendre le cercle des intérêts mutuels et d'élargir l'ampleur de la coopération, parce que l'alternative proposée par les radicaux postcommunistes est désavantageuse à l'Union européenne. Sans la Russie forte et influente à proximité, elle restera une île vulnérable dans un océan d'instabilité croissante.

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