Moscou-Brazilia: la rencontre de deux "leaders économiques mondiaux de demain"

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SANTIAGO DU CHILI, 23 novembre (par Dmitri Kossyriev, commentateur politique de RIA Novosti). La visite au Brésil du président russe, Vladimir Poutine, semble être le maillon manquant aux relations au sein des quatre Etats qui depuis plus d'un an sont présentés ordinairement comme les "leaders économiques mondiaux de demain". On entend par là la Chine, l'Inde, le Brésil et la Russie. Ce titre honorifique leur avait été attribué dans le rapport 2003 de la compagnie Goldman Sachs et il s'est ancré dans le lexique des économistes, des politologues et même des stratèges qui tentent de déterminer la répartition des forces sur l'échiquier mondial pour la prochaine décennie.

Effectivement, il s'agit de quatre grands pays ayant toujours possédé un immense potentiel sous forme de ressources naturelles, intellectuelles ou humaines et qui maintenant commencent enfin à étonner le monde par une croissance économique assez stable et même record pour des Etats aussi grands.

Le leader de ce quartette est incontestablement la Chine qui pour ce qui est du produit intérieur brut va à coup sûr dépasser le numéro un mondial, à savoir les Etats-Unis. Si l'Inde continue sur sa lancée actuelle, elle se hissera au niveau de l'Amérique. Par contre, pour le Brésil et la Russie les choses ne sont pas aussi claires. La Russie connaît une croissance rapide depuis 4-5 ans et le Brésil depuis moins longtemps encore. Pour le moment ils sont distancés par le duo de tête et se classent respectivement 15-e (493 milliards de dollars de PIB annuel) et 16-e (450 milliards).

Pour les amateurs de schémas géopolitiques impressionnants il semble évident que les quatre prétendants à une situation plus honorable dans notre monde devraient chercher à conjuguer leurs efforts pour poursuivre leur escalade vers le leadership. Cependant les schémas ne résistent pas tous au test de la réalité.

Certes, la coopération sans cesse plus étroite de la Russie avec la Chine et de la Russie avec l'Inde est un fait, mais le rapprochement de la Chine avec l'Inde en est seulement à son début, aussi serait-il prématuré de parler d'une stratégie consciente des "leaders de demain" en vue d'effectuer ensemble une percée. Dans le meilleur des cas on pourrait évoquer la recherche de domaines dans lesquels les trois pourraient agir conjointement.

D'un autre côté l'année dernière le Brésil, en la personne du président Luis Ignacio Lula da Silva, a créé le "groupe des trois" composé du Brésil, de l'Inde et de la République d'Afrique du Sud. Après quoi, au cours de la visite qu'il a effectuée la même année en Chine, le président a proposé de transformer ce trio en quintette en y ajoutant la Russie et la Chine.

Chose intéressante, toutes les initiatives du dirigeant brésilien tournent autour d'actions conjointes ayant trait à l'économie, au commerce mondial, à des conditions plus justes pour ce dernier. Le président, avec sa mentalité classique de leader du tiers monde, luttant contre l'emprise du néo-colonialisme, n'a en fait en vue qu'une structure lobbyiste capable de faire face au protectionnisme commercial "défendant les anciens leaders" de l'économie mondiale. Sans aller plus loin. Or, la Russie, l'Inde et la Chine s'unissent non pas pour couler des pays comme les Etats-Unis ou le Japon, mais plutôt par souci d'intégrer avantageusement leur économie dans les économies américaine et nippone. Et il s'agit là d'un autre jeu avec des règles différentes, dans lequel on peut et on doit défendre son point de vue sur ce qui se passe dans le monde (une vision qui est quasiment la même pour Moscou, Pékin et New Delhi) mais où il est interdit d'affaiblir l'"adversaire". Parce qu'une crise aux Etats-Unis ralentirait le développement de la Chine et des autres, fondé dans une grande mesure sur les exportations vers les Etats-Unis et l'Europe.

Ni Moscou, ni Pékin n'ont encore répondu à l'initiative de Brazilia. Ils font preuve de circonspection et veulent mieux savoir ce qu'elle signifie. Il est patent que c'est là un volet non négligeable de la visite de Vladimir Poutine. Il faut avoir une idée bien précise de ce que pourrait faire le "quintette" proposé. Un premier geste de bonne volonté à l'égard du Brésil a déjà été fait par Vladimir Poutine puisque dans une interview accordée aux quotidiens "Fôlha de Sao Paulo" et "O Globo" il a déclaré que "les appréciations que nous donnons aux processus internationaux, les conceptions que nous avons de l'édification des relations internationales modernes et démocratiques coïncident dans une grande mesure".

C'est la première fois qu'un dirigeant de la Russie (qu'il soit tsar, secrétaire général ou président) effectue une visite dans le plus grand pays d'Amérique latine. Les échanges entre les deux Etats se chiffrent à un peu plus de 2 milliards de dollars et sont émaillés de bizarreries comme la prédominance d'un seul article - les engrais minéraux - dans les exportations russes.

Cependant, bien des choses peuvent changer ici parce que les liens avec le Brésil peuvent être développés dans le secteur clé des hautes technologies. Il est notoire que pour Moscou l'avenir des exportations réside non pas dans le pétrole, mais dans les branches de haute technicité. Il est remarquable qu'avec la Chine et l'Inde la Russie s'emploie tant bien que mal à placer cet objectif au premier plan.

Pour le Brésil, la Russie est intéressante en tant que pays leader mondial dans le secteur spatial, la construction de petites centrales nucléaires ou les hautes technologies. La Russie, elle, souhaiterait utiliser conjointement le Centre spatial d'Alcantara. Grâce à la situation géographique de ce dernier il serait possible de placer des satellites sur des orbites fortement inclinées, notamment polaires, sans survol de régions à haute densité de population par les lanceurs. La formation de balisticiens brésiliens en Russie, le pays qui possède la meilleure école au monde spécialisée dans les carburants liquides pour fusées, semble très prometteuse. Il ne s'agit là que d'un exemple. L'expérience de Moscou en matière de développement des rapports avec les pays d'Asie et d'Europe montre que le domaine technologique exige une attention permanente des structures gouvernementales parce qu'il réclame un travail de longue haleine et des dépenses importantes.

Maintenant, si l'on envisage sérieusement le leadership économique présent ou futur des "quatre", c'est dans le domaine de hautes technologies que le meilleur fondement pour cela peut être posé.

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