Quand les députés manipulent le calendrier

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MOSCOU, 24 novembre. (Par Piotr Romanov, commentateur politique de RIA Novosti). L'Eglise orthodoxe russe, le parti "Iedinstvo" ("Unité") et les députés à la Douma (chambre basse du parlement) ont offert aux Russes une fête supplémentaire, à savoir la Journée de l'unité populaire, qui sera célébrée (à condition, bien sûr, que la loi appropriée soit approuvée par le Conseil de la Fédération (chambre haute) et signée par le président) le 4 novembre. L'ancienne Journée de la concorde et de la réconciliation fêtée le 7 novembre - jadis journée anniversaire de la Grande Révolution socialiste d'octobre - a été annulée pour avoir "perdu tout fondement idéologique". Par la même occasion la Journée de la Constitution - 12 décembre - a elle aussi été supprimée du moment qu'elle était en fait le pendant du 12 juin, Journée de la Russie. Les députés ont donc passablement chamboulé le Code du travail puisque désormais les Russes ont moins de fêtes à célébrer tout en bénéficiant d'un jour chômé supplémentaire. A l'occasion du Nouvel An, les Russes pourront maintenant faire la grasse matinée du 1-er au 5 janvier et parfois faire le pont avec le Noël orthodoxe du 7 janvier. Plaidant leur cause, les élus du peuple ont notamment indiqué qu'ils avaient voulu, entre autres, que les parents puissent passer les fêtes scolaires de fin d'année avec leurs enfants.

A première vue, il s'agit d'un cadeau. Seulement on a l'impression que les généreux offreurs ne sont pas copains avec l'histoire du pays et ignorent l'état réel des choses en Russie.

Pour la plupart des Russes et aussi des spécialistes, le 4 novembre, proposé initialement par l'Eglise orthodoxe en tant que Journée de l'unité parce qu'à l'époque du Temps des Troubles les Russes avaient pris d'assaut un secteur de Moscou occupé par les envahisseurs polonais, est plutôt mal choisi. Pour les premiers cette date ne rappelle que fort indistinctement des événements qui remontent quand même au début du XVII-e siècle, tandis que les second savent trop bien combien de zizanies ont déchiré le peuple russe depuis le 4 novembre 1612. Après le fameux assaut, le Temps des Troubles ne s'est pas dissipé et la Russie ne s'est pas réunie. Et puis il faut dire en toute justice que la garnison polonaise du Kremlin, poussée au cannibalisme par la faim, selon des témoignages de l'époque, avait déposé les armes de son plein gré. Enfin, après le 4 novembre les cosaques avaient continué de rêver d'installer un Polonais sur le trône, les Novgorodiens proposaient un Suédois, le prince Pojarski, à l'époque à la tête de l'armée populaire, ne voyait personne d'autre que lui porter la couronne tandis que le patriarche Filaret songeait à son fils, Mikhaïl Romanov, pour cette fonction. L'unité ne devait être retrouvée qu'après l'intronisation du tsar Michel par le Zemski Sobor (Assemblée des états généraux). Et puis il y a bien d'autres dates où l'unité des Russes s'est manifestée avec bien plus d'éclat: les batailles de Koulikovo et de Borodino, pour ne citer qu'elles.

Le désir des députés d'effacer le 7 novembre de l'histoire russe suscite pas moins de questions. Premièrement, pour de très nombreux Russes cette date n'a rien perdu de sa teneur idéologique, ce qui signifie que leur décision n'apporte rien à l'unité de la société, bien au contraire. Deuxièmement, les députés auraient bien été inspirés en regardant l'exemple français. C'est dans la plus grande sérénité que la France bourgeoise entonne la Marseillaise et commémore la prise de la Bastille en dépit des milliers de guillotinés de la Grande Révolution française. Les révolutions française et russe sont qualifiées de Grandes parce qu'elles avaient annoncé quelque chose de nouveau à l'humanité. Pourquoi donc se défaire de la grandeur avec autant d'insouciance?

D'une manière générale, la manipulation du calendrier est un privilège des vainqueurs. Pour César, par exemple, le calendrier avait été un objet de distraction. Seulement avant d'entreprendre sa réforme, il avait franchi le Rubicon et accompli bien d'autres choses encore. Offrir au pays traversant encore une passe difficile un jour chômé supplémentaire n'est pas une idée très productive. En tout cas elle ne rapprochera pas la Russie du succès et le retard qu'elle prendra chaque année équivaudra à une journée ni plus ni moins.

Enfin, en offrant au peuple des vacances de Nouvel An les députés ne se sont probablement pas demandé ce que fera le pays au cours cette période d'oisiveté. Pour les Moscovites les plus argentés la question ne se pose pas. Mais qu'est-ce que les députés peuvent proposer à la Russie profonde? Réveillonner une fois, deux fois, trois fois...? Et le doublement du PIB et le maintien du fonds génétique dans tout ça?

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