L'espace postsoviétique n'a pas besoin de guerre froide. Ni de guerre tout court.

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PARIS, 29 novembre (par Angela Charlton, pour RIA Novosti). Le monde agonise sur l'élection présidentielle en Ukraine et la question pourrait, semble-t-il, être posée de la façon suivante: une guerre civile ou une nouvelle guerre froide? La première version est trop épouvantable et improbable pour être envisagée. Quant à la seconde, personne ne la souhaite. Cependant, on procède déjà au tracé de ses frontières potentielles.

Après que Vladimir Poutine eut félicité Viktor Yanoukovitch à l'occasion de sa victoire, son exemple a été suivi par la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et l'Arménie. Les Etats-Unis et l'Union européenne ont refusé de reconnaître les résultats du scrutin, invoquant des irrégularités massives.

Maintenant certains observateurs prédisent l'apparition d'une version isolée et amputée du bloc soviétique (sans les Républiques baltes, la Géorgie et l'Europe centrale), qui fera contrepoids à l'Union européenne et à l'OTAN en extension dans le nouveau conflit entre la démocratie et la répression politique.

Les officiels occidentaux et russes réutilisent les termes "chez nous" et "chez eux". Les derniers événements relatés dans les médias incitent à penser que la première guerre froide n'a toujours pas pris fin.

Bien que les déclarations officielles du sommet UE-Russie tenu jeudi à La Haye n'ait recélé aucune causticité, la télévision russe a montré Vladimir Poutine en ardent défenseur des Russes, des Ukrainiens et de la démocratie face à la cohorte de critiques occidentaux hébétés par les résultats de la présidentielle ukrainienne. Alors que la télévision occidentale montrait le chef de l'Etat russe maladroit et isolé dans son entêtement à reconnaître la légitimité de la victoire de Viktor Yanoukovitch. Pendant toute la durée de la campagne électorale les reporters russes ont couvert d'invectives le candidat de l'opposition, Viktor Youchtchenko, tandis que la presse occidentale présentait Viktor Yanoukovitch sous les traits d'un bandit.

Cet antagonisme artificiel a induit en erreur les électeurs ukrainiens, et ses conséquences pourraient avoir de terribles conséquences pour l'espace post-soviétique dans sa totalité. Seulement en évoquant une nouvelle guerre froide on oublie certaines réalités globales de 2004.

En dépit de toutes leurs divergences, l'Union européenne et la Russie dépendent trop, économiquement parlant, l'une de l'autre pour dresser de nouvelles barrières politiques. La Russie et les Etats-Unis coopèrent en Asie centrale au profit de l'Afghanistan, ce qui aurait été inimaginable dans les années 1980. En ce qui concerne la coopération en Irak les choses se présentent moins favorablement, mais l'espoir n'a pas disparu. Ces trois dernières années George W.Bush a pratiquement fermé les yeux sur les actions contestables de Vladimir Poutine en Tchétchénie, sur l'affaire "Youkos" et la réforme du système électoral en échange d'un appui russe dans la lutte contre le terrorisme.

Le fait que George W.Bush ait nommé Condoleezza Rice au poste de secrétaire d'Etat doit rappeler qu'elle figure parmi les derniers vétérans de la guerre froide et qu'elle pourrait se montrer à l'égard de la Russie bien plus dure que ses prédécesseurs. Toutefois, l'objectif premier de l'administration américaine est d'abattre les terroristes et non pas Moscou. La Russie ne peut plus prétendre au statut de superpuissance en débit de ses affirmations, relevant de la bravade, selon lesquelles elle dispose de nouvelles technologies balistiques, et pour cette raison toute nouvelle guerre froide serait absurde au possible.

Pour le moment dans la plus grande partie de l'ancienne Union soviétique les gouvernements restent extrêmement corrompus, ils ne sont démocratiques que de nom, et une nouvelle scission imposée punirait ceux qui ne le méritent pas. Quant aux sanctions occidentales à l'égard de l'Ukraine - un épouvantail agité par certains politiques américains - il est peu probable qu'elles soient source de turpitude ou d'inconfort pour les classes dirigeantes, par contre elles priveraient les jeunes Ukrainiens de la possibilité de faire des études à l'étranger et les hommes d'affaires indépendants de capitaux et de consultations étrangers. Les Ukrainiens résidant à l'étranger craignent déjà de rentrer dans un pays faisant l'objet de l'ostracisme occidental.

Cette rhétorique surannée fait l'impasse sur les changements survenus dans les 15 républiques soviétiques depuis 1991: liberté de déplacement, supermarchés regorgeant de marchandises vendues à prix forts, privatisation à la va-vite et succès des petites entreprises, élections contrefaites discréditant la démocratie. Tout comme sur les millions d'Ukrainiens qui le plus légalement du monde ont préféré Viktor Yanoukovitch à son opposant pro-occidental.

Dans certaines anciennes républiques soviétiques les électeurs se demandent pour quelle raison les gouvernements occidentaux ont réagi si brusquement aux doléances des observateurs en Ukraine alors que les mêmes irrégularités avaient été commises aussi dans leurs pays. L'Ouzbékistan sera-t-il logé à la même enseigne lors des élections législatives qui y auront lieu le mois prochain?

Au cours des treize années qui se sont écoulées depuis la désintégration de l'Union soviétique le spectre de la guerre froide est réapparu à plusieurs reprises: en 1993, quand Boris Eltsine a ordonné l'assaut du parlement, quand il a évoqué une alliance avec le banni biélorusse Alexandre Loukachenko et quand Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir et a invité le leader nord-coréen proscrit Kim Jong Il.

Un retour au passé sombre et tendu ne s'est pas produit. Maintenant Vladimir Poutine préfère le ranch de George W.Bush à la disette à Pyongyang. Seulement la lutte menée à cause de la présidentielle ukrainienne et la "révolution de la rose" de l'année dernière en Géorgie montrent que les rêves d'un axe américano-russe combattant le terrorisme international étaient prématurés. Les Etats situés sur le pourtour de la Russie commencent à manifester de la prudence.

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