La surveillance spatiale des éruptions, des incendies et des accidents

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MOSCOU, 6 décembre. (Par Youri Zaïtsev, expert de l'Institut d'études spatiales, pour RIA Novosti). Depuis quelques années les catastrophes naturelles sont plus fréquentes, ce qui ne fait qu'augmenter le préjudice qu'elles causent. C'est là un corollaire du progrès scientifique et technique, un processus dans lequel l'homme en pénétrant toujours plus loin dans la nature brise ses liens et provoque des phénomènes fâcheux et souvent dangereux. La prévision des catastrophes de caractère naturel et anthropogène - tremblements de terre, éruptions volcaniques, incendies de forêt, accidents de pipeline, etc. - permet de les prévenir ou au moins d'en atténuer leurs conséquences. La solution de ce problème implique nécessairement des informations en provenance de l'espace. Peu après le terrible séisme qui s'était produit en Arménie en décembre 1988, proposition avait été faite de créer en Union soviétique un système terrestre et spatial d'alerte aux catastrophes. A l'époque il était prévu que les équipements requis à ces fins soient mis au point à bord de la station orbitale "Mir" et ensuite placés dans des satellites artificiels. L'orbitalisation de ces engins sans pilote devait être effectuée au moyen de missiles recyclés. Du fait de la désintégration de l'Union soviétique ce programme et bien d'autres n'ont pas été réalisés. Cependant, certains développements avaient été obtenus pendant les vols prolongés de cosmonautes à bord de "Mir" et des stations spatiales précédentes "Saliout-6" et "Saliout-7".

Au fond, les stations orbitales ont en quelque sorte servi de "banc d'essai" pour la mise au point des équipements et des méthodes d'observation de la Terre depuis l'espace. Actuellement ce travail est réalisé à bord du segment russe de la Station spatiale internationale (ISS) dans le cadre du programme "Ouragan", dont la finalité est l'élaboration des prescriptions émises aux services terrestre et spatial d'alerte aux catastrophes. La teneur essentielle du programme consiste à réaliser des prises de vues de la surface de la Terre au moyen de caméras infrarouge. Et aussi à observer l'enchaînement des catastrophes écologiques naturelles et techniques se produisant sur la Terre.

Depuis l'ISS, évoluant ordinairement à une altitude de 380 kilomètres, on photographie des portions de territoires de l'ordre de dix kilomètres sur quinze avec une résolution de 5 mètres ou encore d'une superficie deux fois plus grande mais avec une résolution d'une dizaine de mètres. En changeant le foyer de l'objectif il est même possible d'accroître la superficie des clichés, mais avec une moins bonne résolution il est vrai. Parfois on réalise des prises de vues en perspective embrassant l'horizon de la Terre.

En règle générale, les photos avec une résolution maxi sont les plus demandées. C'est pourquoi assez souvent les observations sont faites au moyen d'un dispositif de vision binoculaire permettant l'observation de parcelles de superficie terrestre avec un pouvoir de résolution de trois mètres. Compte tenu des restrictions dues à l'inclinaison de l'orbite de la station par rapport à l'équateur il est donc possible ainsi de réaliser des clichés de très grande qualité des territoires situés dans les limites de 56 degrés de latitudes nord et sud. Evidemment, le grand inconvénient c'est que l'on est dans l'impossibilité d'observer les régions septentrionales et méridionales extrêmes dont l'influence est si grande sur l'"état de santé" de notre planète.

Il faut également relever qu'en envisageant toute expérience à bord du segment russe de l'ISS, chacune de ses étapes doit obligatoirement être concertée avec les partenaires américains et être accompagnée de ce que l'on appelle un certificat de sécurité. Par exemple, beaucoup de temps a été nécessaire pour convaincre la partie américaine que les photographies prises à travers les hublots de la station ne présentaient aucun danger. Il nous a fallu démontrer aussi que les yeux des locataires de l'ISS ne souffriraient pas du rayonnement solaire ou encore des éclats de verre si jamais pendant les prises de vues un micrométéorite faisait éclater le verre du hublot, etc., et ce alors que la probabilité de ce type d'accident est nulle puisque pour prendre les clichés il faut nécessairement que le hublot soit dirigé vers la Terre...

Evidemment, pour prévoir les catastrophes éventuelles il n'y a rien de plus précieux que les photos transmises à la Terre en temps réel. Initialement on utilisait pour ce faire le canal américain de télécommunications inséré dans le circuit de commande de la station via le satellite géostationnaire TDRS. Les photos nécessitant une analyse immédiate étaient transmises sans problèmes. Cependant, après que les cosmonautes eurent pris des photos de la tragédie du 11 septembre, cela n'a plus été possible: un service de "spécialistes de l'étude de la Terre en uniforme" a été créé au sein de la National Aeronautics and Space Administration (NASA) avec pour mission d'analyser les prises de vues effectuées par les cosmonautes russes et devant ensuite être transmises par le canal américain de télécommunications. Aucun accord ne prévoyait la censure des informations en provenance de la station. Néanmoins, pratiquement plus aucun cliché n'est parvenu par cette voie. Actuellement une certaine quantité de photographies arrive aux chercheurs lorsque l'ISS survole les centres de réception terrestres russes, la plupart étant acheminées par les véhicules de transport "Soyouz" revenant sur Terre, mais cela ne se produit qu'une fois tous les six mois.

Un autre problème existe. Depuis la catastrophe survenue à la navette "Columbia" l'équipage de la station orbitale est incomplet, d'où une pénurie de temps pour réaliser les observations. C'est la raison pour laquelle les cosmonautes russes effectuent bénévolement la plus grande partie du programme "Ouragan", en prenant sur leurs heures de loisirs et de repos.

Qu'est-ce qui a été réalisé concrètement ces dernières années? La mise en oeuvre du programme "Ouragan" avait été entreprise par la première mission permanente à bord de l'ISS. A l'époque il s'agissait surtout de photographier périodiquement les régions nord-est de la mer Caspienne (Kazakhstan) où se trouvent des gisements d'hydrocarbures exploités depuis longtemps. L'extraction du pétrole au moyen de technologies imparfaites s'était traduite par la formation de "lacs" d'eau mélangée de pétrole d'un à deux kilomètres de diamètre. Plusieurs d'entre eux ont été entourés d'un remblai de terre pour empêcher leur extension. Les photos prises depuis l'espace ont révélé qu'en plusieurs endroits les eaux de la Caspienne ont affouillé ces digues, libérant ainsi les produits pétroliers qui se sont répandus dans la mer. Une catastrophe écologique se précise de plus en plus. Et elle pourrait toucher non seulement le Kazakhstan, mais encore le secteur russe de la Caspienne avant même que les politiques ne s'entendent sur le partage du plan d'eau de la mer. La région de la mer d'Aral elle aussi est placée sous surveillance depuis l'ISS. Ces observations montrent que le grand lac est en passe de disparaître à jamais. La raison essentielle en est les prélèvements d'eau incontrôlés effectués dans les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria. Au fur et à mesure de l'assèchement de la mer d'Aral un autre problème se fait jour, à savoir l'entraînement des sels minéraux des terres asséchées. Les locataires de l'ISS ont fixé des traînées de sels atteignant Tachkent, Boukhara et Samarkand. Depuis quelque temps ils s'étendent en direction de l'Oural méridional et du Povoljié (région de la Volga). Ces sels abaissent les rendements dans l'agriculture et sont préjudiciables à la santé de l'individu.

Les photographies des crues au Caucase du Nord, en Europe centrale et occidentale, en Chine, en Inde et au Pakistan attestent qu'elles sont particulièrement destructives là où l'on ne prête pas attention aux processus qui se déroulent dans la nature et où les normes de sécurité élémentaires ne sont pas observées.

Des informations précieuses ont été fournies par les photos spatiales de l'effondrement d'un glacier qui s'est produit voici deux ans dans la gorge de Karmadon, dans le Caucase. Elles ont permis de déterminer de façon précise les causes de la catastrophe. L'analyse de ces clichés indique que le même scénario pourrait se reproduire avec le glacier Medveji au Pamir. Dans le pire des cas si la glace surtendue du lac voisin cédait, un tonnent pourrait se déverser jusqu'au Piandj dont les terres submersibles sont densément peuplées.

Les prises de vues détaillées effectuées depuis le segment russe de l'ISS peuvent être utilisées aussi pour la surveillance à long terme et la réalisation d'études lors de la construction de routes, de pipelines, de tunnels, etc. On sait que les autorités moscovites, en concertation avec la partie ukrainienne, proposent de construire entre la presqu'île de Taman et la Crimée un pont multifonctionnel avec une conduite pour acheminer l'eau du Kouban jusqu'en Crimée. La surveillance effectuée depuis la Station spatiale internationale permettrait d'analyser les conséquences écologiques du chantier et d'établir une expertise sécuritaire objective du projet.

Dans l'ensemble, la méthodologie d'études mise au point en Russie permet de procéder à la surveillance spatiale de nombreux processus naturels spontanés ainsi que des phénomènes de caractère anthropogènes. Il est désormais possible et avantageux sur le plan économique de mettre sur pied un système international de prévision des catastrophes. La chose est d'autant plus importante que les phénomènes de caractère naturel et anthropogène, même relativement éloignés les uns des autres, sont bien plus interdépendants qu'on ne se le représentait jusqu'ici. L'internationalisation du système de surveillance spatiale contribuera à la prise de décisions optimales concernant de nombreux problèmes d'importance vitale et de portée tant locale que globale.

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