La réforme du système politique en Russie ne doit pas envenimer les relations de Moscou avec l'Occident

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MOSCOU. (par Vladimir Lyssenko, président de l'Institut de la politique contemporaine, politologue - RIA-Novosti). En septembre dernier, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a annoncé la venue de très sérieuses transformations politiques dans le pays. Autrement dit, le chef de l'Etat a décidé de renoncer à toute une série d'institutions politiques datant des années 1990. Celle des chefs (gouverneurs) éligibles des sujets-membres de la Fédération, institution née au milieu des années 1990 sous la présidence de Boris Eltsine, y est sans doute des plus importantes.

Pendant ces dix années qui se sont écoulées depuis, 237 personnes ont occupé un tel poste. Force est de reconnaître que ces chefs des régions avaient assumé à l'époque une immense responsabilité et avaient porté un très lourd fardeau, car c'étaient eux justement qui réalisaient alors les plus importantes réformes russes. On aurait évidemment exagéré, en disant qu'ils avaient réussi dans toutes leurs initiatives, loin de là! Il y avait parmi eux des démocrates, mais aussi des admirateurs de l'autoritarisme. Il y avait aussi là des personnes très douées, ainsi que de très mauvais gestionnaires et politiques. Depuis ces dernières années, les gouverneurs ont très étroitement coopéré avec le Président, en appuyant pratiquement sans réserve cette ligne politique qu'il proposait. Au cours des législatives de 2003, trente chefs de région se sont mis en tête des listes électorales régionales du Parti "Russie Unie", et c'est grâce pour beaucoup à leur prestige et leur crédibilité auprès des électeurs que ce parti pro-Kremlin a aujourd'hui une majorité constitutionnelle à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe). Aussi, ont été pour le moins surpris bien des Russes quand Vladimir Poutine a proposé d'élire ces gens, d'ailleurs, très loyaux, en règle générale, à son égard, par les assemblées législatives régionales sur présentation du Président. Rien d'étonnant, par conséquent,que sur cette question précise, l'élite russe s'est pratiquement divisée en deux parties égales. Bien plus, les sondages d'opinion réalisés en septembre dernier par le Centre sociologique indépendant de Youri Levada (VTsIOM) ont montré que la population même du pays s'est aussi divisée en deux parties à peu près égales. Ainsi, un peu plus de la moitié des citoyens voudraient toujours garder le droit d'élire eux-mêmes leurs propres gouverneurs, alors que l'autre partie de la population du pays a énergiquement appuyé l'initiative présidentielle. Un projet de loi approprié est d'ores et déjà adopté en deuxième lecture par la Chambre basse du Parlement et va, par conséquent, entrer en vigueur déjà d'ici la fin de l'année en cours.

Mais quels sont donc les arguments de cette décision?

Tout d'abord, on nous a dit qu'après l'abominable attentat dans une école de Beslan où les terroristes avaient pris en otages quelque 1200 enfants, leurs parents et instituteurs, il était nécessaire de mobiliser la société et le pouvoir à la lutte antiterroriste. Quoi qu'il en soit, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a récemment déclaré que la nouvelle procédure d'élection des gouverneurs était bel et bien une mesure stratégique, ce qui signifie, en d'autres termes, que ladite décision avait été adoptée indépendamment des attentats terroristes.

Ensuite. L'Etat russe est en train de mener à présent des réformes économiques et sociales extrêmement importantes, dont la monétisation des avantages en nature fournis à la population. Lesdites réformes comptent énormément pour l'avenir de la Russie. Il n'en est pas cependant moins vrai qu'elles sont plus qu'impopulaires. Il n'est pas rare qu'à la veille de leurs élections, les gouverneurs se mettent à critiquer les réformes en question pour gagner l'appui de la population. Il est tout à fait évident qu'après l'adoption de la nouvelle procédure d'élection, les gouverneurs ne le feraient plus jamais.

Etenfin. Il s'agit certes là du lobbying de ces chefs de région qui se trouvent à leurs postes depuis dix ans ou même plus. En vertu de la législation en vigueur jusqu'ici, ils ne pouvaient pas se faire réélire encore une fois, alors qu'après l'adoption de la nouvelle loi, ils auront bien la possibilité de garder leur poste.

Et finalement, il y est aussi question évidemment du problème de la continuité du pouvoir. Juste après, les dernières présidentielles en mars 2004, Vladimir Poutine a déclaré qu'il allait résoudre ce problème. Sous bien des égards, il réédite en quelque sorte l'expérience de son prédécesseur - Boris Eltsine - qui avait, à l'époque, déclaré Vladimir Poutine son successeur et l'avait même aidé à devenir Président.

De nos jours, Vladimir Poutine se trouve, de toute évidence, confronté au même problème. En effet, la nomination des gouverneurs est sans doute une belle occasion pour en obtenir l'appui du successeur de Vladimir Poutine par les élites régionales aux futures présidentielles. Mais où sont des risques éventuels de ces changements en gestation? Ils mènent tout à fait objectivement à l'affaiblissement de l'opposition en Russie. Il peut aussi se produire l'abandon de la discussion des décisions à adopter et d'une critique sérieuse du travail du gouvernement et de l'administration du Président. Mais en l'absence de critique, le pouvoir devient inévitablement plus faible. Pire, la nouvelle procédure d'élection des gouverneurs affaiblit aussi les principes mêmes du fédéralisme, tout en accentuant, par contre, ceux de l'unitarisme.

Dans ces conditions, il serait très dangereux si les relations de la Russie avec l'Occident dégradent. Somme toute, l'Occident est souvent enclin à percevoir dans des changements qui s'opèrent en Russie une sorte de recul vers l'autoritarisme. L'amélioration des relations de la Russie avec l'Occident a été une très importante percée de ces dernières années. C'est que grâce à cela, la Russie a reçu une belle occasion pour faire partie des pays démocratiques du monde. C'est pourquoi l'impact démocratique de l'Occident sur la Russie compte énormément. Si, effectivement, l'Occident coopère énergiquement avec nous, s'il aide notre Président et, si besoin est, le soumet même à une critique constructive, la Russie va sans doute se maintenir beaucoup plus facilement dans le champ démocratique.

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