L'après-Amélie

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Par Anatoli Korolev, commentateur politique RIA Novosti.

Même si le 5e festival du cinéma français de Moscou n'a duré que cinq jours, il fut un événement culturel majeur. Cela fait longtemps que la capitale russe n'a connu de files d'attente aussi longues devant le cinéma Pouchkinski et le Club des écrivains qui projetaient des films dont la distribution sera lancée à travers tous le pays.

Un vrai boum et des guichets fermés! Les organisateurs du festival représentant le puissant distributeur français Unifrance peuvent être tranquilles: leur campagne est couronnée de succès.

Une nouvelle fois, le cinéma confirme son attrait. J'évite sciemment d'évoquer le "cinéma français", car le cinéma que nous venons de voir, est-il "français" ou "hollywoodien"? Une idée qui déchirait les journalistes alors qu'ils interrogeaient, lors d'une conférence de presse, le réalisateur Jean-Pierre Jeunet.

On sait qu'il a tourné son "Un long dimanche de fiançailles" aux studios américains Warner Brothers. À la question du quotidien "Izvestia", Jean-Pierre Jeunet a répondu: "En France, on est très fier de ce film et on le considère comme français". Cependant, malgré les affirmations de l'auteur, ce film vacille entre thriller et poésie et a du mal à s'inscrire dans le cinéma français, et s'il n'était la légendaire Audrey Tautou adorée par le public russe, on ne sait pas si le film aurait eu autant de succès à Paris comme à Moscou.

Nous nous souvenons tous d'Audrey Tautou dans "Amélie", un film qui n'a coûté à Jean-Pierre Jeunet que 7 millions de dollars. Pour réitérer ce succès, les producteurs n'ont pas lésiné sur les moyens — 55 millions de dollars d'investissements!

Jeunet n'a pas l'habitude de dépenser beaucoup, le budget modeste des films européens l'a prédisposé à un certain esthétisme. Je ne crois donc pas que cette abondance lui ait fait du bien après une longue période d'austérité. Le film s'est révélé surchargé de détails et dépourvu de légèreté, même s'il s'agit tout de même d'un film bien fait. Quoi qu'il en soit, c'est "Un long dimanche de fiançailles" qui ouvrait le festival.

Si Jeunet voulait qu'on juge "français" son nouveau film aussi bien en France qu'en Russie, Christophe Lambert, qui a fait une escale d'une journée à Moscou, est on ne peut plus sincère. À la question de savoir quel cinéma il préfère, posée par le quotidien "Moskovski Komsomolets", il répond: "Je préfère les thrillers. J'aime le mystère, l'inconnu, l'aura de méfiance. Je me passionne parfois pour le mélodrame, mais là seulement où il y a des éléments de thriller. Cela ne m'intéresse pas de ne jouer que les sentiments".

Tel est le credo de ce comédien français qui vit à Los Angeles, mais qui rêve de vivre dans les Alpes au milieu des sommets enneigés et qui a même mis un bonhomme de neige dans sa cour. Artificiel, bien sûr.

Là, chaque mot est révoltant. Faut-il rappeler que c'est la finesse des sentiments, et non pas le sujet, l'atmosphère de méfiance, les combats et les thrillers, qui ont toujours distingué le cinéma européen, notamment français et russe? La soif de la compassion, tel est le secret du triomphe d'Audrey Tautou dans "Amélie". La profondeur des passions, la manie humaine de rendre tout le monde heureux ont fait rire et pleurer des millions de spectateurs qui ont assuré le succès du film dans le monde entier, même aux États-Unis où les thrillers règnent sans partage.

Jean-Pierre Jeunet avoue: "Aux États-Unis, on m'a toujours pressé de travailler plus vite. Il suffit qu'une séquence sur trois soit bonne, et on continue!" Hélas, on en connaît le résultat. Son "Alien-4" tourné aux États-Unis est un échec. Bref, les Français feraient mieux de ne pas tourner des thrillers américains à la française.

Toutefois, beaucoup de films français présentés au festival montrent un cinéma typiquement hollywoodien, même s'ils sont très bien faits, comme "À ton image" d'Aruna Villiers (production: Luc Besson) quivise plutôt un marché américain qu'européen.

Il y a eu aussi de vrais échecs. Le public russe a même rejeté le grand Gérard Depardieu qui a joué un vieux satyre coiffé d'un panama dans le film de Frédéric Auburtin "San Antonio" et a accueilli avec froideur Christophe Lambert et Nastassja Kinski dans la comédie "À ton image". À ces films éphémères s'ajoute aussi "À boire" de Marion Vernoux.

Le public russe aime le cinéma français avec autant de passion que le cinéma russe. À l'époque soviétique, pratiquement tous les films internationaux distribués en URSS étaient français. Nous étions amoureux de Jean Gabin, de Brigitte Bardot et de Gérard Philippe. Les chemises au col apache d'Yves Montand ont rendu fous tous les dandys soviétiques, et Catherine Deneuve a gardé des soupirants d'entre deux âges.

La Russie est le premier consommateur de films français dans le monde. Cette année, elle en a acheté 87 pour la grande projection et la distribution vidéo, et tous les films du festival feront sans aucun doute partie des plus plébiscités.

Le succès du cinéma français rejaillit aussi en partie sur la Russie. Depuis vingt ans, les Français investissent activement dans le cinéma russe. Tout a commencé par Andreï Tarkovski qui, s'étant réfugié en Occident, a travaillé avec le soutien français. Son chef-d'œuvre "Nostalghia" a été entièrement tourné grâce à un financement français. En voilà les quelques exemples des films tournés grâce au soutien de producteurs français: "Les Lettres d'un homme mort" de Konstantin Lopouchanski, "La Noce" de Pavel Lounguine, " Moscou Parade" d'Ivan Dykhovitchny et "Le Costume" de Bakhtiar Khoudoïnazarov.

La France est elle aussi ouverte aux films russes. Deux films militaires ont récemment été projetés à Paris: "L'Étoile" et "La Guerre". Le premier est sur la Seconde Guerre mondiale, l'autre sur la guerre en Tchétchénie.

Le succès du festival auprès du public (mettons entre parenthèses les avis des critiques) fait espérer que de cette union esthétique des deux cinémas conjuguant l'ardeur française et la mélancolie russe naîtra un nouveau cinéma européen qui éclipsera Hollywood.

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