L'archipel de Soljenitsytne

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MOSCOU (par Anatoli Korolev, commentateur politique de RIA-Novosti). Le livre d'Alexandre Soljenitsyne "L'archipel du GOULAG" a paru il y a 30 ans, en 1974, aux éditions YMCA-PRESSE à Paris. Ce livre qui a ébranlé la communauté mondiale a été la première secousse morale qui a détruit l'Union Soviétique.

Il y a eu également d'autres secousses. Aujourd'hui, lorsque les passions suscitées par "L'archipel du GOULAG" se sont apaisées, on peut passer en revue l'oeuvre de Soljenitsyne tranquillement et déterminer la place légitime qu'occupe cette oeuvre dans l'histoire de la littérature russe du 20e siècle. Il est déjà évident que deux autres grandes oeuvres relatant les faits réels de la terreur dans les camps staliniens peuvent être placées à côté de "L'archipel du GOULAG": la "Plongée dans les ténèbres" de l'écrivain Oleg Volkov (1900-1996) et le journal d'Efrossinia Kersnovskaia (1907-1994)intitulé "Dessins rupestres".

Si "L'archipel du GOULAG" de Soljenitsyne décrit le système de la terreur en apportant des centaines de témoignages, le livre d'Oleg Volkov est l'histoire d'une vie. Il s'agit de la confession d'un représentant d'une classe anéantie d'abord, au début de la révolution, puis, définitivement, dans les années de violence totale qui suivirent.

Issu d'une famille aristocratique de Saint-Pétersbourg, Oleg Volkov a fait ses études dans le même lycée prestigieux que Vladimir Nabokov. Il n'a pas accepté la révolution. Aussi étrange que cela soit, son refus non dissimulé d'approuver le bolchevisme lui a permis d'éviter d'être fusillé. On a essayé de le rééduquer, de lui prouver par la force les avantages du nouveau régime. Six jugements prononcés contre lui par les tribunaux l'ont condamné, au total, à 28 années de réclusion dans les camps staliniens.

Oleg Volkov supporte stoïquement toutes les épreuves, y compris sa détention dans le légendaire camp de la mort à Solovki, il est remis en liberté après la mort du dictateur et vivra jusqu'à 97 ans! Disposant d'une santé à toute épreuve, d'une excellente mémoire et d'une attitude très bienveillante envers les gens, cet homme aux cheveux blancs, droit comme un i ressemblait à un saint. Son livre ne témoigne pas seulement de la survie d'un homme, mais aussi de la survie de sa foi en Dieu, de la résistance d'un croyant, de la manifestation divine à un chrétien au fond de l'abîme.

"L'archipel" est exempt de mysticisme, cette oeuvre introduit au premier plan la politique, la critique du bolchevisme, l'analyse des problèmes sociaux et les souffrances morales. La "Plongée dans les ténèbres" d'Oleg Volkov complète l'oeuvre épique de Soljenitsyne en y ajoutant le destin de la conscience religieuse russe qui plonge ses racines dans le stoïcisme et l'acceptation des souffrances envoyées du Ciel.

En fait, Oleg Volkov est un Job biblique contemporain avalé par les malheurs. De même que Job, l'écrivain russe sort des ténèbres en exprimant sa gratitude envers Dieu pour lui avoir fait endurer d'aussi terribles épreuves.

Le journal d'Efrossinia Kersnovskaia est peut-être, le livre le plus monumental de toute la triade. Il voit "L'archipel" de l'intérieur, par les yeux d'une femme. La jeune Roumaine qui vivait à Kichinev est envoyée dans un camp en 1941, lorsque la Bessarabie est annexée à l'URSS. Innocente, elle accepte les souffrances pour prouver aux autorités qu'elle est bonne! Jeune fille naïve, elle se présente trois fois de son plein gré au poste d'envoi, en exigeant qu'on l'exile en Sibérie. En fin de compte, elle est emprisonnée, car elle importune tout le monde par ses demandes. Puis dans les camps sibériens, elle vient en aide aux malheureux avec une détermination à l'instar de Jeanne d'Arc, et devient littéralement un ange gardien pour des dizaines de malheureux.

Efrossinia est même épargnée par le destin alors qu'elle s'évade - car elle s'est vexée!- et parcourt à pied 1 500 km dans la taïga sibérienne au début du printemps. Ni les animaux, ni le froid n'auront raison d'elle. Lorsqu'elle atteint le chemin de fer, elle tombe entre les mains des tchékistes et est de nouveau condamnée à 10 années de détention ...

Après sa libération, Efrossinia Kersnovskaia a décrit ses péripéties dans 12 cahiers épais, en accompagnant son récit sincère sur ses souffrances de centaines de dessins naïfs. Par l'intensité des sentiments exprimés, la narration d'Efrossinia Kersnovskaia peut être comparée à des chefs-d'oeuvre tels "Les confessions" de Rousseau et de Léon Tolstoï. Les trois livres - "L'archipel du GOULAG" de Soljenitsyne, la "Plongée dans les ténèbres" d'Oleg Volkov et les "Dessins rupestres" d'Efrossinia Kersnovskaia - représentent un triptyque tragique sur les souffrances humaines à une époque d'expérimentation sociale cruelle, trois îles dans l'archipel de l'histoire russe. Il n'y a rien de semblable dans la littérature mondiale contemporaine du siècle dernier.

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