Une économie russe étouffée par trop de normes

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MOSCOU, 14 décembre (par Iana Iourova, commentatrice politique RIA Novosti). Autrefois, en Russie, on mesurait les distances en verstes. Puis les mètres et les kilomètres sont devenus à la mode. Mais le jour n'est pas loin où feront leur apparition des systèmes d'étalonnage et de mesure absolument nouveaux, voire exotiques.

Au cours des sept prochaines années, la Russie envisage de réaliser l'une de ses réformes les plus ambitieuses, celle de la réglementation technique. Un projet de loi en la matière mûrit, apprend-on, au sein du ministère de l'industrie et de l'énergie. Quoique baptisé "De l'unité des mesures", il doit permettre d'inventer et de breveter leurs propres étalons à tous ceux qui veulent voir leurs noms gravés dans l'histoire. Qui plus est, les étalons peuvent devenir objet de commerce.

L'État se réservera seulement les 119 étalons les plus connus. Personne ne pourra donc prétendre au mètre, au litre ou à la seconde. Par contre, on pourra inventer ses propres étalons autant qu'on veut. Résultat, des valeurs purement commerciales verront le jour qui seront vendues et achetées en tant que produit intellectuel, une initiative cruciale pour les hautes technologies. Il s'agit, en perspective, de nouveaux langages de programmation ou de montage télévisé.

Par ailleurs, la réforme vise à réglementer les exigences de l'État relatives aux marchandises et aux processus de production. Qu'en est-il aujourd'hui? 60 000 normes d'État (appelés GOST), règles d'hygiène, de sécurité anti-incendie, etc. réglementent la production au menu détail. Beaucoup d'entrepreneurs disent que s'il fallait respecter tous les impératifs de l'État, il faudrait alors fermer boutique.

Selon Marina Glazatova, directrice du Département de réglementation technique et métrologie du ministère russe de l'industrie et de l'énergie, "les critères de qualité appliqués par l'État doivent être précis et justifiés sans porter atteinte au développement économique. Par cette réforme de réglementation technique, nous voulons tracer un ensemble de critères nationaux de sécurité des produits. Le reste est laissé à la discrétion du producteur".

On a l'impression qu'une seule chose revient à l'Etat: garantir aux consommateurs un certain niveau de qualité. Les règles de sécurité seront fixées par un règlement technique. Qu'est-ce que cela signifie pour le producteur? Si son produit est conforme aux critères du règlement technique, il pourra facilement accéder au marché russe. Par contre, en cas d'anomalies constatées, il est tenu d'améliorer la qualité jusqu'au niveau requis.

Toutefois, la sécurité n'est qu'une première barre à atteindre. La deuxième prévoit que les produits doivent correspondre à une telle ou telle norme. Plus la qualité est élevée, plus le produit est compétitif, estime-t-on au ministère, quoique, avouons-le, cela ne soit pas toujours le cas. La réforme suppose de changer l'attitude même de l'État à l'égard du système de normes. Outre les normes nationales, les entreprises pourront créer leurs propres normes, encore plus rigoureuses, y compris dans les domaines non réglementés par l'État.

Une question se pose: pourquoi l'État décide-t-il d'abandonner la normalisation et l'étalonnage? La réponse est dans les chiffres: 36% des étalons russes sont nés il y a un quart de siècle, 46% ont été lancés il y a plus de 10 ans alors que, comme le prouve l'expérience internationale, les normes doivent être révisées tous les 10-15 ans. Un objectif qu'il est presque impossible d'atteindre pour des dizaines de milliers d'articles.

En 2003-2004, la Russie participait au programme international de confrontation de normes, mais cela dans une proportion minimale, alors que ce travail constitue un facteur crucial de l'adhésion équitable de la Russie à l'OMC sur le plan des poids et mesures. Car les résultats de cette participation permettent de juger de la capacité d'un pays à assurer la mesure exacte des paramètres de production, l'unique garantie de la qualité des produits écoulés sur le marché international.

La plupart des pays avancés utilisent des normes et des règlements techniques nationaux de nouvelle génération, ce qui permet d'améliorer sensiblement la précision dans l'industrie et les différentes technologies. La Russie cherche elle aussi à ne pas rester à l'écart. Hélas, le budget prévoit très peu de moyens à ces fins. Ainsi, pour maintenir et moderniser la base d'étalons d'ici à trois ans, il faut au moins 577,6 millions de roubles. Le budget 2005 n'octroie à cette fin que 80 millions.

Résultat, la Russie n'aura pas seulement des difficultés à adhérer à l'OMC: en supplément le niveau d'exactitude insuffisant de certaines mesures freine le développement de ses industries et des nouvelles technologies. On exige, par exemple, une plus grande précision dans les dimensions linéaires des nanotechnologies (radio, industrie, génétique, médecine), dans les dimensions optiques, celles du temps et de la fréquence (réseaux de communication numériques à fibre optique, communications géographiques et d'information, armes de haute précision) et dans la mesure des ondes électromagnétiques (industrie, télécommunications par satellite et mobiles, réseaux et systèmes d'information, nouveaux types d'armements). L'État ne dispose pas de normes aussi précises, or il est toujours interdit d'en inventer soi-même.

D'où vient ce besoin de recours aux mécanismes de marché pour assurer l'unité des mesures. Selon Marina Glazatova, l'État se charge de développer seulement ceux des paramètres techniques dont les entreprises ne vont certainement pas s'occuper. Il est clair que les entrepreneurs sont intéressés à élaborer des règlements pour les seuls produits et processus de production qui les concernent directement. L'État conservera 74 positions qui seront développées dans les deux prochaines années et financées sur le budget national. Le reste impartira donc aux hommes d'affaires. L'élaboration de règlements sera aussi utile aux entrepreneurs puisqu'elle les mènera à s'unir en associations. Des tendances de ce type se profilent sur le marché des matériaux de construction.

Par ailleurs, en confiant aux commerçants l'élaboration de règlements, l'État risque d'être confronté au problème de la monopolisation. Certaines entreprises essaieront d'insérer dans le règlement technique un plafond inaccessible pour évincer les concurrents. Cela peut être une compagnie étrangère aux exigences très élevées. Il sera difficile de l'égaler. Toujours est-il que ce sont apparemment ces règles du marché que la Russie cherche à assimiler.

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