Pourquoi Hamid Karzaï n'annonce-t-il pas la composition de son gouvernement?

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KABOUL, 15 décembre. (Par Piotr Gontcharov, commentateur de RIA Novosti). Hamid Karzaï, qui désormais est le président constitutionnel de la République islamique d'Afghanistan, semble prendre tout son temps avant de communiquer la composition du nouveau gouvernement du pays. Pourtant, lors de son investiture il avait promis de publier la liste des membres du gouvernement dans les deux ou trois jours à venir. Pour Hamid Karzaï, qui avait mené sa campagne électorale tambour battant, la chose semblait être réglée depuis longtemps. On pouvait aussi penser la même chose en ce qui concerne ceux qui se tiennent derrière lui. Or, il a derrière lui les Etats-Unis, principal pays donneur dans le relèvement politique et économique de l'Afghanistan.

Quoi qu'il en soit, une semaine après la cérémonie d'investiture, l'administration présidentielle fait comme si aucune promesse n'avait été faite au sujet de l'annonce de la composition du gouvernement. Que cela signifie-t-il? La composition du nouveau cabinet des ministres, c'est en quelque sorte un indicateur de la répartition des forces politiques dans le pays. Dans l'Afghanistan d'aujourd'hui en dépit de la multiplicité des partis politiques, il est possible de cerner deux forces politiques essentielles. Ce sont les partisans de transformations démocratiques radicales, c'est-à-dire ceux que l'on dénomme les "technocrates" et les "occidentaux", et les anciens modjaheds, les très nombreux chefs de guerre qui, en principe, eux aussi sont pour les mutations, mais rechignent à remettre leurs armes, ces armes qui leur avaient toujours garanti le pouvoir sur place.

Au cours de la campagne présidentielle Hamid Karzaï avait déclaré à plusieurs reprises qu'il ne formerait pas un gouvernement de coalition uniquement pour constituer une alliance avec l'opposition, mais au détriment de la cause nationale. Il avait donné à entendre qu'il voulait former une équipe d'amis politiques, capable de stabiliser et de consolider le pouvoir central en Afghanistan. Et pour parvenir à cet objectif, il suffit de régler deux problèmes: en finir avec les groupes de terroristes et de tabibans qui sévissent encore en tant que tels dans le pays, et achever le programme Désarmement, Démobilisation et Réintégration qui vise essentiellement le désarmement des chefs de guerre.

En Afghanistan ce n'est un secret pour personne que le problème numéro un est celui du désarmement des chefs de guerre les plus importants, des anciens dirigeants des modjaheds, dont les détachements font partie de l'armée nationale afghane et qui ne sont subordonnés au centre que sur le papier. En Afghanistan la plupart des gens pensent que l'élimination de ce problème contribuera dans une grande mesure au renforcement du pouvoir central et aussi, chose essentielle, au règlement du problème des stupéfiants afghans.

C'est incontestable, Hamid Karzaï se trouve placé devant un choix difficile. Il est pris entre deux feux. D'un côté, les tenants des transformations démocratiques exigent de lui qu'il laisse à l'écart du gouvernement les chefs de guerre, autrement appelés "voïvodes", et de l'autre, soit ces mêmes "voïvodes", soit les politiques représentants leurs intérêts, revendiquent le droit de faire partie du gouvernement. Les premiers invoquent les accords de Bonn prévoyant le transfert du pouvoir des modjaheds à un gouvernement civil, tandis que les seconds font valoir leurs états de service dans la lutte contre l'occupation soviétique et les talibans.

Hamid Karzaï ne peut pas se ranger ouvertement aux côtés des démocrates étant donné que cela projetterait une ombre sur le "djihad" et risquerait de provoquer une scission dans la société. Par conséquent, il doit louvoyer de manière à ne pas s'attirer l'hostilité des modjaheds et à ne pas trahir les attentes démocratiques dans la société afghane.

Il y a aussi une autre raison. C'est le sempiternel problème de l'Afghanistan, celui des rapports entre les Pachtounes constituant la moitié de la population de l'Afghanistan, d'un côté, et, de l'autre, Tadjiks, Hazaras, Ouzbeks, Turkmènes pour l'essentiel. Ce problème se reflète dans ce que l'on appelle le principe de la représentation proportionnelle des groupes ethniques au sein du gouvernement. Ce principe a été adopté pour les élections au parlement national de l'Afghanistan. Il était prévu que la présidentielle et les élections législatives se tiennent en même temps et que le parlement entérine le nouveau gouvernement proposé par le président, en assumant ainsi la responsabilité du maintien de la représentation ethnique proportionnelle au sein du gouvernement. Mais les élections législatives sont prévues pour avril-mai 2005.

La représentation proportionnelle dans les organes du pouvoir a toujours constitué un problème épineux pour l'Afghanistan, surtout quand on l'évoque. Il en a été de même cette fois également. A l'issue de la présidentielle, certains candidats malheureux se sont mis à parler du danger que représenterait une "pachtounisation" du gouvernement et pour cette raison, ils ont demandé de ne pas former le nouveau gouvernement avant les législatives. Ce qui ne cadre pas avec les intérêts de Hamid Karzaï et des Etats-Unis qui placent des espoirs particuliers sur 2005. En effet, 2005 devrait être l'année de la lutte décisive contre les stupéfiants en Afghanistan (Hamid Karzaï a déjà déclaré une "djihad" contre les plantations de pavot à opium) et aussi celle de la fin de l'opération lancée contre les groupes terroristes (les Etats-Unis ont déjà annoncé le début d'une opération totale baptisée "Liberté éclair"). Selon l'Occident, la réalisation de ces objectifs avec le gouvernement actuel serait très problématique.

Au sein de l'administration du président on préfère ne pas répondre à la question de savoir quand la composition du nouveau gouvernement sera annoncée. En attendant, dans la capitale afghane des rumeurs circulent avec insistance selon lesquelles le nombre de portefeuilles pourrait être réduit de 27 à 21, le nouveau gouvernement comporterait neuf ministres pachtounes, sept tadjiks, trois hazaras, un ouzbek et un turkmène.

Selon des sources informées, cette version du principe de la représentation proportionnelle des groupes ethniques correspond pleinement aux réalités afghanes et satisfait toutes les parties. Seulement des débats particulièrement animés ont lieu autour de questions de personnes et de la répartition des ministères dits de force (défense, intérieur, sécurité, etc.). La partie perdante à la présidentielle, en premier lieu le bloc du Panshir, souhaiterait conserver le ministère de la Défense dirigé par le maréchal Fahim. Tout indique (c'est Fahim justement qui avait été chargé de la sécurité lors de la cérémonie d'investiture) que les tiraillements qui s'étaient fait jour entre Karzaï et le maréchal ont disparu et que le bloc de Panshir a de bonnes raisons d'espérer conserver le maroquin de la Défense. Ce qui signifierait qu'Hamid Karzaï n'écarte pas l'éventualité d'un gouvernement de coalition.

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