Un juriste russe évoque la compétence du tribunal américain à rendre une décision à l'égard de la Russie

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MOSCOU, 22 décembre. (Par Vassili Zoubkov, commentateur de RIA Novosti).La décision de la juge du tribunal de Houston, Leticia Clark, d'interdire la vente aux enchères des actions de Iouganskneftegaz, une filiale de la compagnie Ioukos, est vivement débattue par les juristes de nombreux pays. Dans quelle mesure cette décision est légale?

Au fond, les autorités russes ont déjà fourni la réponse principale: la transaction a bien eu lieu dimanche et l'acheteur a été nommé. Le président Poutine a déclaré: "La vente aux enchères de Iouganskneftegaz s'est déroulée conformément à la législation russe".

Quoi qu'il en soit, nous avons voulu connaître le point de vue du juriste russe Andreï Lissitsyne-Svetlanov, directeur de l'Institut de l'Etat et du droit relevant de l'Académie des sciences de Russie, qui a obtenu en 1997 un master en droit (LLM) de l'Université de Colombia (Etats-Unis). Pendant longtemps il a officié dans des tribunaux californiens en qualité d'expert en droit russe.

Il a dit notamment que l'essence du problème résidait dans ce que si l'Etat n'intervient pas en tant que puissance publique mais en tant qu'Etat commerçant, devant plusieurs juridictions, dont la juridiction américaine, il est considéré comme un sujet ordinaire du droit, à l'encontre duquel des poursuites judiciaires peuvent être entreprises. Mais s'il est investi d'attributions du pouvoir et n'a pas renoncé à son immunité judiciaire, l'Etat ne peut être poursuivi en qualité de civilement responsable ou de partie, y compris aux Etats-Unis.

Selon Andreï Lissitsyne-Svetlanov, à sa connaissance la Fédération de Russie n'est pas intervenue en tant que sujet commerçant non investi d'attributions du pouvoir. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il serait pour le moins étrange de considérer l'Etat russe en qualité de sujet civilement responsable, a souligné le professeur.

Celui-ci conteste aussi la décision de la compagnie russe Ioukos de choisir la juridiction américaine pour traiter sa faillite. Si Ioukos ne réalisait pas des affaires aux Etats-Unis et si ses actifs colossaux se trouvaient en Russie, alors l'affaire concernant sa faillite devrait obligatoirement être examinée par la justice russe. Il est notoire que les biens de la compagnie pétrolière Ioukos avaient été saisis dès cet été et qu'une procédure de redressement fiscal d'un montant de plusieurs milliards de dollars avait été engagée. La décision de vendre aux enchères les biens saisis avait été prise conformément à la législation russe.

Un acte de juridiction a été prononcé et les huissiers doivent agir en conséquence. Le règlement, les délais, l'évaluation des actifs de Iouganskneftegaz ont été déterminés et tout le monde a eu la possibilité de prendre part à la vente aux enchères, a indiqué le professeur de droit.

De quelle manière une décision prise par un tribunal étranger peut torpiller la tenue de telles enchères? Pourrait-on imaginer un instant qu'un tribunal étranger quelconque puisse forcer un chérif américain à appliquer une décision qu'il aurait rendue? Non, absolument pas.

En fait, la décision prononcée par la juge texane interdit l'application d'une décision prise par un tribunal russe. Voila où se trouve le noeud du problème, estime Andreï Lissitsyne-Svetlanov pour qui c'est là l'essentiel.

Le professeur a souligné tout particulièrement qu'il ne cherche pas du tout à faire grief à la juge de Houston mais veut simplement analyser une certaine catégorie de choses qui se font jour dans ce que l'on appelle la procédure civile internationale et qui touchent à la juridiction d'Etats étrangers.

Il a rappelé la Doctrine de la courtoisie qui, à propos, a vu le jour aux Etats-Unis. Pour le directeur de l'Institut de l'Etat et du droit, en se référant à cette doctrine on se demande comment des tribunaux américains pourraient faire l'impasse sur des décisions de justice rendues en Russie.

La décision de la juge LeticiaClark n'aurait rien eu d'anormal dans une situation conflictuelle entre deux Etats américains, par exemple, mais dans notre cas il s'agit d'une autre juridiction, de la juridiction russe, a souligné l'expert.

Commentant les retombées que cette affaire va avoir sur le patronat russe, Andreï Lissitsyne-Svetlanov a dit que la qualité de la décision rendue était une question intérieure américaine, mais que ses conséquences pourraient être graves. Imaginons que Ioukos ait entamé une procédure judiciaire de mise en faillite au Venezuela, par exemple. Et qu'un tribunal local ait rendu une décision analogue, interdisant la vente aux enchères en Russie. Est-ce que cela aurait chagriné les autres participants au procès, la Deutche Bank en particulier? Dans notre cas on voit la politique se mêler à la jurisprudence et pour cette raison on ne saurait parler d'égalité des sujets du droit international. Malheureusement. La décision infondée rendue par le tribunal de Houston pourrait avoir de graves conséquences pour le patronat russe.

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