La culture doit être en mesure de s'autofinancer

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MOSCOU, 30 décembre (par Anatoli Korolev, commentateur politique de RIA Novosti). Lors d'une conférence de presse tenue récemment à l'Agence fédérale de la culture et de la cinématographie, le directeur de l'AFCC, l'ex-ministre de la Culture Mikhail Chvydkoï, a brièvement exposé le bilan de l'activité de son département au cours de l'année qui se termine et en a profité pour survoler les nouveaux objectifs. Et, la conversation a fini par porter sur l'éternelle question de savoir si le budget avait suffisamment d'argent pour financer la culture.

Le nouveau budget alloue à la culture encore moins d'argent que d'ordinaire.

Et de se rappeler cette maxime de la sagesse orientale qui dit: si tu as beaucoup d'argent, mange de la viande, si tu as peu d'argent - ne mange que de la viande. Merveilleuse apologie de la nourriture saine et de la consommation de vitamines, qui en Orient étaient connues depuis des temps immémoriaux.

Plusieurs solutions ont été avancées pour "passer au régime carné": restreindre la liste des manifestations culturelles, renoncer au principe de la répartition équitable et ne garder que les morceaux de choix, les plus importants, en les entourant de force publicité, et, finalement, attirer dans la sphère culturelle les investissements privés, par exemple, légitimer la vente des monuments de la culture à des particuliers.

Vu de l'extérieur, tout ceci semble parfaitement logique, mais, hélas, ce cheminement de la pensée masque la cruauté de l'attitude du pays envers la culture.

Dans l'idée, tout l'argent reste à Moscou. On procède simultanément à trois reconstructions monumentales. On restaure l'hôtel Pachkov, chef-d'oeuvre à l'abandon dû au célèbre architecte Kazakov, dont la façade donne sur le Kremlin. On reconstruit le Bolchoï dans la capitale et le Théâtre Mariinski à Saint-Pétersbourg. On y ajoute encore quelques projets susceptibles d'attirer des investissements. Parmi lesquels: le festival "Masque d'or", leX Concours international d'artistes de ballet et la Biennale internationale d'art contemporain. En province, un seul grand chantier - celui de la reconstruction du théâtre d'opéra et de ballet de Novossibirsk.

"Peut-être qu'à l'occasion du 60ème anniversaire de la Victoire, on nous donnera un peu plus que promis", soupire monsieur Chvydkoï.

Et ce soupir était si éloquent qu'il souleva une véritable petite tempête d'indignation parmi les journalistes: pourquoi la culture ne reçoit-elle que des fonds de tiroir? Que peuvent faire les régions? Qui va réparer le toit de la philharmonie de Perm? Et encore - qu'est-ce qui a provoqué la grogne des ministres à la réunion du gouvernement consacrée aux problèmes de la culture?

Car à la dernière réunion du gouvernement présidée par le premier ministre Mikhail Fradkov, à laquelle le ministre de la Culture Alexandre Sokolov présentait un rapport circonstancié, ce dernier s'est vu passer un savon par ses collègues. Et pour quelle raison? Pour l'indigence des programmes culturels à la TV! Le ministre des Situations d'urgence, Serguéi Choïgou, a pratiquement exprimé le désir d'instaurer une censure. Mais le ministre de la Culture n'est pas responsable de la qualité des programmes des chaînes privées et de la pornographie à la TV.

Le ministère du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref, a lancé une boutade pour détendre l'atmosphère: "Eh bien, il n'y a qu'à interdire le foot, de toute façon je n'aime pas ce sport."

Mais la plaisanterie est passée inaperçue. Le premier ministre Fradkov est resté de glace, invitant par son silence à humilier publiquement le ministre de la Culture.

Mikhail Chvydkoï était d'accord avec les journalistes: "Nous en avons pris pour notre grade".

Sokolov et Chvydkoï sont plus à plaindre qu'à blâmer. Ils doivent toujours faire bonne mine, même quand ils sont en mauvaise posture. Citons quelques chiffres: réduction de 2,238 milliards de roubles des crédits alloués au programme de développement de la culture et à la conservation du patrimoine culturel, et diminution de 310 millions de roubles des dépenses cinématographiques. Témoignage de la frivolité de l'attitude envers la culture. D'autre part, les espoirs fondés sur le capital privé ne sont étayés par aucune loi définissant les avantages concédés aux investisseurs qui auront décidé de placer leur argent dans la culture.

C'est un vrai casse-tête chinois, on trouve des velléités de restaurer la pratique soviétique de gestion de la culture, mais l'URSS n'est plus là pour assurer le financement.

Une conclusion générale s'impose: l'Etat a l'intention de transformer la culture en arène privée, alimentée par les investissements, et pour le moment il n'y est pas encore parvenu. Mais rien n'est perdu. Il y aura de l'argent pour la viande, quant aux vitamines, il va falloir se débrouiller tout seul. La culture sera désormais financée par les villes et les régions et non plus par le centre fédéral, on passe du budget national aux budgets locaux, mais dans l'ensemble le système demeure inchangé, et c'est là ce qui fait toute la différence.

Par exemple, le cinéma où la participation de l'Etat demeure importante. Il est prévu en 2005 de produire 75 longs métrages, 572 documentaires et 52 films d'animation. Le financement des films sur la Victoire dans la Grande Guerre patriotique constitue un chapitre à part du budget. A l'affiche: les films "Le Capitaine", sur le légendaire capitaine de sous-marin Marinesco, "Léningrad", sur les défenseurs de la ville assiégée, "Le Temps de ramasser des pierres", sur les tentatives de coopération avec les prisonniers de guerre allemands, ainsi qu'un film sur la guerre en Afghanistan, du réalisateur Fedor Bondartchouk, "La Neuvième section".

L'adjoint de Mikhail Chvydkoï chargé des affaires cinématographiques, Alexandre Goloutva, a proposé une élégante stratégie du succès: le cinéma est un business qui s'est mis à rapporter, les recettes de "Patrouille de nuit" ont battu au box-office les records des blockbusters hollywoodiens. Il est parfaitement possible de réaliser quatre films qui feront au minimum 10 millions de dollars de bénéfices, et dix autres qui rapporteront chacun 2 millions, et encore une vingtaine qui pourra atteindre le million. Cet argent devra servir à maintenir et à développer le niveau de l'art cinématographique.

Au cinéma, on a compris très vite qu'il ne fallait pas trop compter sur l'aide de l'Etat. Et les autres secteurs devront apprendre à leur tour à gagner eux-mêmes de l'argent.

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