Que rapporte Sergueï Ivanov de son voyage aux Etats-Unis

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MOSCOU. Par Viktor Litovkine, commentateur militaire de RIA-Novosti. Le ministre russe de la Défense vient d'achever sa visite de cinq jours aux Etats-Unis. Il s'est rendu à Washington et New York, a été reçu par le président George Bush, a eu des entretiens avec la conseillère présidentielle pour la sécurité nationale et future secrétaire d'Etat Condoleezza Rice, le secrétaire d'Etat sortant Colin Powell et son homologue Donald Rumsfeld. Sergueï Ivanov a présenté un rapport au Conseil non gouvernemental pour les Relations internationales et donné plusieurs conférences de presse pour des journalistes russes et américaines. Ses négociations officielles ont surtout porté sur les rapports entre Moscou et Washington, le prochain sommet à Bratislava, la lutte contre le terrorisme international et la préparation d'un nouvel accord sur des missiles que les deux présidents auront à signer au cours de leur première rencontre en 2005.

A Washington, on estime que la visite de Sergueï Ivanov a été utile. Lui-même s'en tient à un avis analogue. Si on ignore encore ce que le ministre rapportera au président Vladimir Poutine à l'issue de son voyage aux Etats-Unis, on peut être sûr qu'il informera le chef de l'Etat de l'invitation adressée par le numéro 1 du Pentagone aux militaires russes de prendre part aux exercices Road Warrior (sécurité de transport des ogives nucléaires) que l'armée américaine tiendrait en avril prochain dans le Vyoming.

Des exercices analogues - "Avaria 2004" - avaient été menés en été dernier dans le Nord russe. Des experts américains et de l'OTAN y avaient assisté. C'est aux GI's, qui ne veulent pas rester en dette, de faire preuve de leur niveau de préparation. A ces exercices, aucun des alliés américains n'assistera mais Moscou, cela va de soi, ne se sentira point offusqué par sa "solitude".

Les parties ont également convenu de signer, le 24 février, l'accord russo-américain sur le contrôle de la prolifération des systèmes de missiles portables. L'autre objectif de cet accord consiste à empêcher que ces systèmes se retrouvent entre les mains des terroristes. Faut-il démontrer le danger extrême que présentent ces armes ? Les Strela et les Igla russes, de même que les Stingers américains, sont en mesure d'abattre des appareils volants, dont d'énormes avions de ligne volant à des altitudes de 50 à 3 500 mètres, à une distance de 5 000 m. Avec de tels missiles, des terroristes ont atteint des hélicoptères en Tchétchénie, en Afghanistan et en Irak.

Déjà, la Russie a passé des accords sur le contrôle de ce type d'armes avec tous les pays de l'Organisation du Traité de sécurité collective, ainsi qu'avec l'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Turkménie et l'Ouzbékistan. La Géorgie et la Moldavie sont les seuls pays issus de l'ex-URSS qui ni s'y sont pas encore joints. Il n'est pas difficile de deviner pourquoi. Pendant les années d'anarchie réelle en Géorgie, de nombreux entrepôts de l'armée soviétique dans cette république y ont été mis à sac. Cela va de soi, les nouveaux dirigeants géorgiens voudraient éluder toute responsabilité pour les missiles portables qui sont aujourd'hui sans aucun doute entre les mains de terroristes. Pareil pour Chisinau, qui refuse de répondre pour ce qui s'est passé, au début des années 90, dans la république non reconnue de Transnistrie.

Mais après le 24 février, date à laquelle Washington doit adhérer à cet accord, tant Tbilissi que Chisinau auront de toute évidence à revoir leur position. Pour le processus de contrôle sur les SAM, ce sera bien sûr une mesure positive, bien qu'insuffisante, pour mettre un terme à leur prolifération. Car, aujourd'hui, des missiles portables sont produits non seulement en Russie et aux Etats-Unis, mais aussi en Pologne, en Bulgarie, en République tchèque, en Egypte et en Malaisie. Contrôler tous serait une tâche ardue. Mais il faut bien démarrer, et l'accord russo-américain, préparé par Sergueï Ivanov et Donald Rumsfeld, est un pas accompli dans la bonne direction qui constitue une nouvelle contribution à la lutte commune contre le terrorisme international.

Mais, comme l'estiment des experts militaires, la visite de janvier du ministre russe de la Défense aux Etats-Unis n'a pas apporté que des résultats rassurants. Cela était visible par le fait qu'aucun des interlocuteurs de Sergueï Ivanov, outre, bien sûr, son homologue américain, Donald Rumsfeld, n'est sorti à l'issue des entretiens, pour s'expliquer devant la presse au sujet des questions débattues. Or le contenu des propos tenus par le ministre russe aux cours de ses conférences de presse, le ton du rapport qu'il a présenté à New York, ne laissent pas de doutes que les rapports entre les deux pays, contrairement aux multiples déclarations de partenariat stratégique, sont loin d'être mutuellement acceptables. La Russie est très mécontente par les projets américains de déployer des antimissiles, notamment, sur le territoire polonais. Les arguments, selon lesquels ces armes seraient destinés à combattre les missiles balistiques iraniens, sont vraiment peu convainquants et ne peuvent qu'affliger Moscou. La Russie sera certes amenée à prendre des mesures pour contrecarrer les évolutions pareilles, ce qui compliquera la coopération entre les deux pays, aussi bien au niveau bilatéral que dans le cadre du Conseil Russie-OTAN, et créera des "problèmes", comme l'a déclaré Sergueï Ivanov, pour l'ensemble de la sécurité euro-atlantique.

D'après le ministre russe de la Défense, les approches de la Russie et de l'OTAN (et donc des Etats-Unis) du Traité sur les forces conventionnelles en Europe sont diamétralement opposées. La Russie, comme d'autres Etats, l'a déjà ratifié, alors que l'OTAN, a fait observer Sergueï Ivanov, continue d'insister sur le lien artificiel qui existerait entre sa ratification et la mise en oeuvre des accords d'Istanbul à l'égard de la Géorgie et de la Moldavie. Il faut reconnaître franchement, a aussi noté le ministre russe, que nous n'avons pas pu atteindre un niveau plus élevé de coordination dans la lutte contre le terrorisme. Alors que nous avons devant nous un ennemi commun, qui est assez fort pour faire sauter le système de sécurité stratégique dans le monde.

Pour le ministre russe, cette discordance s'explique, entre autres, par la pratique - inadmissible - des "doubles standards" dans l'évaluation de la menace terroriste, par la complaisance aux terroristes, à leurs acolytes et sponsors. Et cette pratique se poursuit, a déclaré Sergueï Ivanov. En Tchétchénie, dans la zone de l'opération antiterroriste, a précisé le ministre, des mercenaires d'une cinquantaine d'Etats ont été anéantis. Moscou estime qu'il y en aurait entre 150 et 200 mercenaires étrangers opérant encore en Tchétchénie. Dans leur majorité, ce sont des ressortissants turcs : plusieurs dizaines de citoyens de ce pays qui est pourtant membre de l'OTAN ont déjà été tuées au sein de bandes armées. Mais Bruxelles ne réagit toujours pas à cette information scandaleuse.

La compréhension entre la Russie et les Etats-Unis, entre la Russie et l'OTAN fait également défaut sur d'autres questions d'actualité de la lutte contre le terrorisme et la non-prolifération des armes de destruction massive. Y compris dans le cadre du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires que Washington ne ratifie pas depuis des années, créant ainsi un prétexte pour une nouvelle course aux armements. D'ailleurs, Moscou est agacé par toutes sortes de mythes sur la Russie imposés à l'opinion mondiale : sur des velléités impérialistes du Kremlin, sur ces tentatives pour déstabiliser la situation dans telle ou telle région du monde, sur des livraisons illicites d'armes, enfin, sur la "mafia russe" qui aurait prétendument accès à l'arme nucléaire.

Il ne s'agit là que des absurdités, a déclaré dans sa manière catégorique, qui lui est propre, Sergueï Ivanov. Or la thèse principale de ses interventions à Washington et New York était qu'il était temps de passer de déclarations à une coopération réelle et égale, ce dont chacun des deux pays profitera indubitablement, et à la lutte conjointe contre le terrorisme international.

Mais cet appel a-t-il été entendu à la Maison Blanche ? On en doute fort.

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