Les troupes spéciales russes vont être réorganisées

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MOSCOU, 22 mars (par Viktor Litovkine, commentateur politique de RIA Novosti). La Russie va probablement se doter de Forces spéciales. C'est vrai que les médias sont extrêmement discrets sur le sujet. Cette information n'a toujours pas été commentée par le ministère de la Défense. Le Conseil de sécurité s'est contenté d'admettre qu'il se penchait sur la création d'une structure future de l'organisation militaire de l'Etat. Une décision en la matière devrait être prise dans le courant du premier semestre. La création des Forces spéciales en tant qu'arme autonome atteste on ne peut mieux qu'après dix années de guerre en Tchétchénie et autour d'elle, entrecoupées d'une pause de courte durée, les dirigeants du pays ont enfin convenu que le terrorisme international ne pouvait pas être vaincu par les forces conjuguées de l'armée, du FSB (Service fédéral de sécurité) et du ministère de l'Intérieur. Pour mener à bien cette mission il faut des troupes spécialement instruites et entraînées en vue de lutter contre le terrorisme. Ultérieurement elles pourront éventuellement être utilisées pour des opérations de reconnaissance et autres dans les arrières de l'ennemi: coups de main contre des états-majors et des postes de commandement, contre des sites de missiles...

Tout indique que les plus hautes instances dirigeantes, le ministère de la Défense et l'Etat-major général sont en plus en plus enclins à penser que tant qu'elle possédera un bouclier nucléaire sûr, la Russie n'aura pas, dans les années à venir, à redouter une agression d'envergure. Il n'est plus nécessaire de dépenser des sommes considérables pour aménager des théâtres d'opération, de constituer de puissants groupements de troupes sur des axes particulièrement dangereux. Ce qui importe en premier lieu, c'est d'être prêt à faire face aux périls de ce siècle.

Ces périls, c'est le terrorisme international, la criminalité transfrontalière, le trafic des stupéfiants, des armes de destruction massive et des technologies balistiques, des munitions et des explosifs, le séparatisme, l'intégrisme religieux, le nationalisme et l'extrémisme. Pour les contrecarrer, il n'est pas nécessaire de faire appel aux divisions blindées et motorisées, aux missiles et à l'artillerie de la réserve du Commandement suprême. Il faut des Forces spéciales (spetsnaz) bien instruites, possédant des matériels et des armements légers adaptés, et ayant subi un entraînement approprié pour ce genre de missions et pas d'autres.

Or, de telles troupes existent déjà en Russie. Le hic, c'est qu'elles sont beaucoup trop nombreuses et subordonnées à divers commandements. Ce sont les spetsnaz du GRU (renseignement militaire) et des VDV (troupes aéroportées), celles du FSB (Service fédéral de sécurité), des troupes du ministère de l'Intérieur et même les spetsnaz du Département principal d'application des peines. Il y a aussi des unités autonomes de spetsnaz dans les six Circonscriptions militaires (ce sont d'anciennes unités de VDV), dans les quatre Flottes russes ainsi que dans la Flottille de la Caspienne. Leurs formation, armements, équipements, vocations et systèmes de liaison ont toujours été distincts. D'où les discordances permanentes dans leurs actions en Tchétchénie et dans les autres régions d'intervention. Ce qui a bien sûr pour corollaire des pertes humaines injustifiées et un taux de rendement assez bas.

Une fois que l'organisme unique de gestion de ces unités - le Commandement des Forces spéciales - aura été mis en place on élaborera la méthodologie et les standards de leurs formation, instruction, équipements et armements en se basant notamment sur l'expérience de l'opération antiterroriste lancée en Tchétchénie. Seulement des problèmes se posent et le plus important est celui des moyens de la création de cette arme nouvelle. La réunion des spetsnaz et la mise en place de leur commandement unique ne se feront pas mécaniquement. Il faut des avions et des hélicoptères de transport, sans lesquels il ne saurait être question de mobilité et de disponibilité opérationnelle permanente. Aujourd'hui, les experts militaires le savent très bien, la Russie n'est pas à même de faire prendre l'air à une seule division aéroportée. Par manque de vecteurs. Lors des exercices qui se sont déroulés l'année dernière sous le nom de code "Roubej-2004" près de deux semaines ont été nécessaires pour transférer un bataillon aéroporté sans matériels lourds. Personne ne sait où prendre l'argent pour financer la construction des nouveaux Il-76MD ou leurs analogues. Rien n'est prévu à ces fins dans le budget 2005. D'autre part, il est très douteux qu'actuellement l'industrie aéronautique russe soit en mesure d'exécuter rapidement des commandes militaires ad hoc.

Le deuxième problème concerne les armements spéciaux et les systèmes de conduite du combat: armes de sniper silencieuses, drones, systèmes de reconnaissance, d'observation vidéo du champ de bataille, d'orientation et de navigation sur place, y compris avec l'aide de satellites et d'avions AWACS, appareillage d'écoute et de lutte électronique, moyens de liaison discrets, surtout à l'échelon inférieur, du soldat jusqu'au chef de section. Il s'agit aussi de l'habillement léger et confortable, de la ration alimentaire qui doit être compacte mais très riche en calories. Tout ceci est visible dans les expositions mais n'existe qu'en quantités infimes dans les unités de l'armée russe. Pour lancer la fabrication massive de ces "ingrédients" indispensables aux spetsnaz il faut aussi des moyens financiers et des capacités de production.

Une dernière chose. Au détriment de quelles troupes les Forces spéciales seront-elles créées? Des professionnels des VDV, ce qui serait fort logique, car il est vraiment peu probable qu'il faille dans un avenir proche effectuer un largage massif de parachutistes dans les arrières d'un ennemi. Seulement les paras et l'infanterie de marine accepteront-ils de gaîté de coeur au moins de changer d'appellation. Les troupes aéroportées tiennent beaucoup à leurs traditions, légendes et même mythes.

Peut-être serait-il raisonnable de "prélever" aux Districts militaires et aux Flottes leurs spetsnaz et de les faire fusionner dans une structure commune? Mais est-il rationnel de disposer de troupes - les spetsnaz et les VDV - à la vocation très ressemblante? Quelles autres unités pourraient alors entrer dans les Forces spéciales? Ces questions méritent d'être mûrement méditées. Et elles le sont, n'en doutons pas.

La création des Forces spéciales est un volet très important et foncièrement nouveau de la réforme militaire. Ici tous les facteurs militaires et économiques doivent être pris en compte dans leurs moindres détails. En Russie beaucoup de tentatives identiques ont été effectuées ces derniers temps: passage au mode de recrutement contractuel pour les unités d'intervention immédiate, programme public d'aide à l'accession au logement pour les militaires. Et toutes ces tentatives présentent le même vice: le sous-financement. Quinze ans après le problème du logement n'a toujours pas été réglé dans l'armée et la marine. Espérons que les Forces spéciales ne connaîtront pas le même sort.

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