L'exploit de l'arrière pendant la guerre

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MOSCOU, 16 mai. (Par Nina Koulikova, commentatrice économique de RIA Novosti). Ordinairement on parle davantage des opérations menées par l'Armée Rouge que de l'activité de l'arrière soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce qui se comprend en soi du moment que c'est sur le front que se décide l'issue de toute guerre. Cependant, c'est à l'arrière que le possible et l'impossible furent faits pour approvisionner les troupes en armes, en munitions, en vivres et en habillement. Ce qui réclama des efforts vraiment surhumains. Au début du conflit l'Union soviétique mobilisa toutes les sphères de la vie du pays, les secteurs économique et social en premier lieu. "Tout pour le front, tout pour la victoire!" était le mot d'ordre numéro un de l'époque. Beaucoup de gens remettaient de l'argent et des objets précieux pour le fonds de la défense, donnaient leur sang, prenaient part à la défense antiaérienne. Des millions de femmes creusaient des tranchées et des fossés antichars, construisaient des ouvrages défensifs.

D'innombrables entreprises furent transférées à l'Est, dans la région de la Volga, dans l'Oural et en Sibérie. Les premiers mois de la guerre l'industrie soviétique de la défense connut une situation extrêmement difficile. L'Allemagne nazie utilisait dans la guerre les ressources de ses alliés ainsi que celles des pays européens occupés et disposait par conséquent d'une supériorité économique considérable. Quant au principal potentiel industriel de l'économie soviétique, il se trouvait dans la partie européenne de la Russie, principalement sur la ligne Leningrad - Moscou - Toula - Briansk - Kharkov - Dniepropetrovsk. C'est la raison pour laquelle plus de 80 pour cent des entreprises militaires, dont 94 pour cent des usines aéronautiques, se trouvèrent très rapidement dans la zone des combats ou dans les régions limitrophes du front.

En 1941-42, plus de 2.000 entreprises furent transférées à l'est. Leurs personnels durent surmonter des difficultés incroyables. Beaucoup d'ouvriers avaient été mobilisés ou s'étaient enrôlés volontaires pour le front, c'est pourquoi à l'arrière le gros du travail était effectué par les femmes, les vieillards et les enfants qui parfois ne pouvaient atteindre les manettes des machines-outils qu'en grimpant sur une caisse. Bien souvent ces gens ne possédaient aucune formation technique, ils devaient apprendre "sur le tas".

Bien que manquant d'équipements et de matériaux, d'électricité et de main-d'oeuvre qualifiée, malgré la pénurie de pièces détachées, les usines réussissaient quand même ce tour de force consistant à relancer rapidement la production sur les nouveaux sites. Bien souvent elles recommençaient à tourner deux semaines après leur implantation. Les équipements de certaines entreprises évacuées commençaient à fonctionner avant même leur mise hors d'eau. Malgré la pénurie alimentaire et la fatigue physique et nerveuse, les gens travaillaient 14 heures sur 24 sans jour de repos ni vacances. Et puis l'aviation hitlérienne ne restait pas inactive. La Luftwaffe bombardait les villes de l'arrière où se trouvaient des usines de guerre. Au printemps de 1943 ses raids furent particulièrement fréquents sur les usines de chars et d'avions du Povoljie (région de la Volga).

Au début de la guerre, l'usine de Briansk s'occupant de la réparation de chars et de canons autotractés commença à fonctionner jour et nuit. Les gens ne quittaient pas leur poste de travail même pendant les bombardements. Personne ne faisait attention à la pendule, les gens travaillaient tant que leurs jambes les soutenaient. Les jours fériés avaient été oubliés. Lorsque l'entreprise fut évacuée dans le Povoljié, dans un premier temps les machines-outils fonctionnèrent à ciel ouvert, sous la pluie et la neige, ce qui permit en l'espace de quelques mois de quadrupler la production par rapport à l'avant-guerre. Une puissante base militaro-économique fut créée dans l'Oural (une région industrielle russe de longue date). Plus de la moitié des usines évacuées furent implantées dans cette zone, la seule du pays à fabriquer tout ce dont le front avait besoin, depuis les "chaussettes russes" (sortes de molletières) jusqu'aux équipements les plus sophistiqués. Pendant la guerre l'Oural fournit au front 40 pour cent de la production du pays. Au cours de cette période les recherches fondamentale et appliquée furent elles aussi mises à contribution. C'est à cette époque que l'artillerie autotractée russe vit le jour.

La République du Tatarstan (Povoljie), qui avait accueilli plus de 70 entreprises transférées des régions occidentales de l'URSS, fut elle aussi une importante base de l'arrière. Plusieurs branches industrielles - aéronautique, instruments de contrôle et de mesure, constructions navales, munitions - y furent développées. C'est à Kazan (la capitale du Tatarstan), par exemple, qu'étaient fabriqués les légendaires Ou-2 qui dès les premiers jours s'étaient avérés irremplaçables sur le front. Tout d'abord cet appareil inadapté au combat avait servi au transport des blessés. Ensuite il avait été transformé en bombardier léger. Ce "pou-du-ciel" considéré d'abord avec dédain par les hitlériens avait fini, une fois devenu bombardier de nuit, par semer une telle panique dans les premières lignes hitlériennes que le commandement allemand versait 5.000 marks pour chacun de ces avions abattus.

Dès la fin de l'année 1942 les entreprises industrielles soviétiques produisaient davantage qu'avant la guerre. En 1944, l'industrie soviétique fournissait au front tout ce dont il avait besoin. Les nouveaux types d'armements qu'elle produisait étaient meilleur marché et plus simples que ceux conçus par les spécialistes allemands. La supériorité économique sur l'ennemi avait été obtenue, mais au prix du dur labeur des travailleurs de l'arrière.

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