La Russie hantée par le spectre des "révolutions de velours"

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MOSCOU, 22 juillet - par Vassili Kononenko, commentateur politique de RIA Novosti.

Depuis des mois, les politologues s'interrogent sur les risques d'une "révolution de velours" en Russie, mais leurs hypothèses semblaient jusqu'ici purement virtuelles. Désormais, il y a tout lieu de croire que ces hypothèses sont bien réelles.

Le président Vladimir Poutine qui avait longuement évité d'aborder ce sujet sensible a enfin reconnu, quoique indirectement, que la menace de déstabilisation existait en Russie. En recevant les membres du Conseil pour la promotion des institutions de la société civile et pour les droits de l'homme, il a déclaré sur un ton formel: "Nous sommes contre le financement depuis l'étranger des activités politiques en Russie". "Aucun État qui se respecte ne le tolère, et nous ne le tolérerons pas", a martelé le chef du Kremlin.

Rappelons que le rapport présenté par un des participants à la rencontre ne faisait pas mention de "mouvements politiques" ou de "révolution de velours". Toutefois, le président a immédiatement "déchiffré" le sens caché de son initiative de financement extérieur des ONG pour brandir la menace d'une "bombe révolutionnaire". "De l'argent est introduit de l'étranger pour financer des activités politiques concrètes en Russie, notamment les dossiers les plus aigus", a constaté Vladimir Poutine. Et d'ajouter: "M. Joukov (vice-premier ministre, NDLR) m'a donné des informations bien précises". Les invités diront plus tard que Poutine leur a paru assez irrité en prononçant ces paroles.

L'émotion du président est facile à comprendre. Après la "révolution des roses" en Géorgie, mais surtout après la "révolution orange" en Ukraine, les élites post-soviétiques étaient bouleversées. Nul n'avait pu imaginer une intervention aussi insolente dans les affaires de l'Ukraine - celle-ci n'est pas, loin s'en faut, une république bananière, mais un grand pays européen - où les slogans démocratiques dissimulaient en effet un coup d'État antidémocratique, et le ministère russe des Affaires étrangères le confirmait aussitôt après les faits. Vice-premier ministre dans le cabinet ukrainien actuel et un des managers de la campagne de Viktor Iouchtchenko, Roman Bezsmertny, a avoué dans une interview au Guardian britannique: "Notre objectif, en fait, était de réaliser un coup d'État pacifique". Avant d'ajouter: "Le département d'État américain a dépensé 67 millions de dollars pour l'Ukraine au cours des deux dernières années". Le directeur général du Conseil de stratégie nationale, Valéri Khomiakov, qui observait le passage du pouvoir ukrainien sur le terrain, a confié à RIA Novosti que l'opposition ukrainienne était financée par le biais d'une représentation locale de la fondation américaine Freedom House.

Les événements en Kirghizie l'ont définitivement confirmé: l'argent et la jeunesse enivrée par le crédit politique dont elle commence à jouir sont les principaux catalyseurs des explosions révolutionnaires. Résultat, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a récemment infligé une résistance consolidée face au défi des saboteurs politiques: elle a invité les États-Unis, sans ambiguïté aucune, à quitter l'Ouzbékistan et la Kirghizie. Il est facile de deviner qu'il s'agissait moins des bases militaires stationnées dans ces pays que du souci d'exclure toute ingérence des fondations non gouvernementales américaines dans les affaires des États souverains.

Mais à quel point le sol russe se prête-t-il à ce genre d'expérimentations sociales? Les derniers sondages montrent que plus de 40% des Russes n'excluent pas une "révolution colorée" en Russie. Et ils citent en tant que facteur explosif le mécontentement du fait que la croissance économique peine à se traduire dans la vie des simples gens. Les sondages ont également révélé que 3 à 4% de la population est prête à descendre dans la rue pour participer à des manifestations de désobéissance civile. Si ces statistiques sont vraies, les 3 à 4%, chiffre dérisoire au premier regard, représentent plusieurs millions de personnes ce qui est largement suffisant pour déployer des technologies de "révolution colorée" (moins de 100 000 manifestants mobilisés sur la place centrale de Kiev ont suffi pour renverser le régime en Ukraine).

Dans le même temps, les politologues russes sont loin de dramatiser les choses en prévision des législatives de 2007 et de la présidentielle de 2008. Leur thèse essentielle est que les guerres du passé restent très solidement ancrées dans la mémoire historique des masses. Cette mémoire ne permettra pas de pousser les millions de Russes vers une nouvelle révolution. Dans une interview récente, le chef adjoint de l'administration du Kremlin, Vladislav Sourkov, évoquait sans paniquer les préparatifs de révolution en Russie. "C'est vrai, a-t-il dit, mais je ne crois pas que ce soit vraiment une menace sérieuse". Les psychologues et les historiens sont convaincus, quant à eux, qu'il est pratiquement impossible d'influer sur la conscience des Russes qui ont hérité de leurs ancêtres de profondes racines patriotiques. Toute tentative d'exporter une révolution à la sauce démocratique ne suscite que des réactions négatives, notamment antiaméricaines. Toujours est-il que malgré ces déclarations crédibles et unanimes le spectre de la révolution reste ancré dans les esprits de la population politiquement active. Peut-être parce qu'il n'existe dans la société aucune idée unificatrice et aucun objectif de développement clair. Et tant que ce vide n'aura pas été comblé, le climat politique national s'en ressentira à long terme.

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