Géorgie: une hystérie orchestrée au lieu d'une politique raisonnable

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Par Tatiana Stanovaïa, directrice du Département analytique du Centre des technologies politiques (Russie) - RIA Novosti

Les dernières attaques entreprises par les officiels de Tbilissi à l'endroit de la Russie ne laissent flotter aucun doute sur les vraies intentions de la direction géorgienne qui a explicitement opté pour un scénario exclusivement dur de l'évolution de ses relations avec Moscou.

En l'espace de quelques jours effectivement, Tbilissi a eu le temps d'attribuer à la Russie la responsabilité du sabotage du gazoduc, de se retirer du Conseil des ministres de la Défense de la Communauté des Etats indépendants (CEI), de promettre d'affaiblir sa dépendance énergétique envers la Russie et pratiquement d'accuser Moscou d'avoir encouragé un attentat contre le président géorgien, Mikhaïl Saakachvili.

En visite en Allemagne le 2 février dernier, Mikhaïl Saakachvili a qualifié la Russie d'"ennemi très riche, perfide, méchant et expérimenté". Cela rend la Russie tout bonnement perplexe. Le vice-Premier ministre et ministre de la Défense de la Fédération de Russie, Sergueï Ivanov, reconnaît que Moscou ne sait que faire pour normaliser ses relations avec la Géorgie.

La conclusion sur le caractère non-constructif de l'approche de Tbilissi dans l'organisation des relations bilatérales s'impose d'elle-même. Quoi qu'il en soit, bien des questions se posent. Quelles sont, par exemple, les authentiques raisons de ce nouveau revirement dans la politique géorgienne? Comment expliquer les déclarations par trop émotionnelles des dirigeants géorgiens? Attribuer à la Russie la responsabilité d'une explosion, préméditée selon les Géorgiens, du gazoduc Mozdok-Tbilissi n'est pas plus sérieux que d'accuser Moscou de cataclysmes naturels, comme le récent séisme dans l'Ouest du pays. C'est ce qu'a d'ailleurs déclaré Sergueï Ivanov à un journaliste géorgien : "A écouter votre président et vous-même, on a bien l'impression que nous sommes aussi responsables des grands froids et des chutes de neige".

"Nos spécialistes ont travaillé, jour et nuit, dans la montagne, par un froid de moins 30 degrés pour rétablir l'approvisionnement de la Géorgie en énergie. Et qu'avons-nous entendu et vu en réponse de la part de la direction géorgienne? On nous a tout simplement craché dessus ", a fait remarquer le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. A ce jour, l'approvisionnement en gaz de la Géorgie est complètement rétabli, et la Russie respecte tous ses engagements.

Une autre raison du mécontentement de la direction géorgienne est l'augmentation du prix du gaz à 110 dollars pour mille mètres cubes. Or, dès 2005, la Russie avait renoncé à son ancienne stratégie de subvention des économies des pays de l'espace post-soviétique, ainsi qu'à la motivation politique de l'établissement des prix des hydrocarbures. A cette occasion, l'élévation des prix n'a pas affecté que la Géorgie, mais aussi l'Ukraine, la Moldavie, les Etats baltes et même l'Arménie, pays loyal à la Russie. Dans ces conditions, il serait pour le moins étrange de qualifier d'"ennemi" la Russie à cause de l'élévation du prix des hydrocarbures.

Tout indique cependant qu'en attisant la campagne anti-russe, les officiels de Tbilissi sont en train de réaliser leur stratégie tendant à discréditer la Russie en tant que médiateur dans le règlement des conflits à l'intérieur de la Géorgie. A la fin de l'année dernière, par exemple, toutes les tentatives de Mikhaïl Saakachvili pour s'entendre avec Sergueï Bagapch, leader de l'Abkhazie (république autoproclamée sur le territoire de la Géorgie), sur les plans de règlement du conflit, ont échoué. Et la faute en revient justement, selon le président géorgien, aux soldats de la paix russes dont la présence même encouragerait les leaders des républiques autoproclamées sur le territoire de la Géorgie. Aussi Tbilissi fait-il aujourd'hui tout son possible pour que les soldats de la paix partent du pays et ce, afin de régler définitivement à l'avenir avec l'aide de l'Occident le problème de l'Ossétie du Sud, tout d'abord, et celui de l'Abkhazie ensuite. Pourtant, l'Occident estime sans doute à juste titre que le départ de la Russie de la région ne se solderait que par de nouvelles guerres civiles sur le territoire de cette république transcaucasienne.

Pour que l'Occident change d'attitude envers la Russie, en tant que médiateur, Tbilissi s'applique à présenter Moscou en partie intéressée, nourrissant des ambitions "impériales" à l'égard de la Géorgie et agissant, par conséquent, contre les autorités géorgiennes. C'est pourquoi la direction de la Géorgie prétend que la Russie est son "ennemi", et que le président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, cherche à persuader le monde entier que la direction du pays aurait en face d'elle tout un "réseau diabolique, possédant énormément d'argent et d'expérience, réseau allergique aux succès remportés par la Géorgie, à la réunification de celle-ci".

En même temps, la Géorgie est extrêmement limitée dans ses possibilités réelles. Elle peut effectivement faire des déclarations retentissantes, mais ne peut se permettre de mettre en veilleuse ses relations avec la Russie, y compris dans le secteur énergétique. Les autres sources d'approvisionnement en gaz seront inévitablement plus chères, alors que la situation économique et sociale reste toujours très difficile en Géorgie. Autrement dit, Tbilissi a tout intérêt à acheter du gaz à la Russie, sans parler du fait que cette dernière est depuis longtemps son fournisseur éprouvé.

Un autre indice du caractère limité de la ligne anti-russe appliquée par la direction de la Géorgie est le retrait de Tbilissi du Conseil des ministres de la Défense de la Communauté des Etats indépendants, conseil qui n'est en fait qu'un lieu de consultation dans le cadre de cette organisation régionale qui n'a rien d'un bloc militaire, a rappelé à cette occasion Sergueï Ivanov. Ce geste plutôt symbolique de la Géorgie ne s'est nullement répercuté sur le fonctionnement de la CEI. Rappelons que, tout récemment encore, le gouvernement géorgien a décidé de ne pas se retirer de la Communauté des Etats indépendants.

Or, l'Occident n'est certes pas l'unique destinataire de cette "hystérie" sciemment orchestrée par les autorités géorgiennes. Cette campagne est aussi adressée à la population géorgienne. Rappelons qu'au début de son mandat présidentiel, Mikhaïl Saakachvili avait réussi à faire revenir l'Adjarie dans le champ juridique de la Géorgie, tout en espérant en faire de même avec ses autres anciennes autonomies (avec l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie - NDLR).

Se rendant parfaitement compte de la nécessité absolue de réformes économiques et sociales qui risquent de s'avérer très douloureuses et pourraient même provoquer des bouleversements dans la société, Mikhaïl Saakachvili a misé sur le populisme, et plus précisément sur le mot d'ordre du rétablissement de l'intégrité territoriale du pays. Et que peut-il proposer aujourd'hui à ses électeurs? Le président géorgien ne peut leur proposer ni progrès socio-économiques ni intégrité territoriale du pays.

Une telle situation, déplorable, à l'intérieur du pays, n'a évidemment pas manqué de se répercuter sur la cote de popularité de Mikhaïl Saakachvili lui-même. L'année dernière, sa cote de popularité en chute libre a atteint au mois de décembre un indice record de quelque 15,9% des électeurs (données d'un sondage effectué par l'Institut d'étude de l'opinion publique et de l'état d'esprit de la société). Pour évaluer pleinement la rapidité et la profondeur de cette chute, il convient de rappeler qu'aux dernières élections présidentielles de janvier 2004, la majorité absolue des électeurs, soit 96,25%, avaient voté pour Mikhaïl Saakachvili.

Par conséquent, en attisant le conflit avec la Russie, Mikhaïl Saakachvili exhorte la nation à s'unir face à une menace extérieure. Dans ces circonstances, il ne reste à Moscou qu'à faire preuve de patience et respecter sans discussion ses engagements énergétiques, tout en espérant que le temps apaisera les esprits.

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