Les zones offshore. Un bien ou un mal?

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Par Alexandre Iourov, commentateur politique de RIA Novosti

En Russie les zones offshore suscitent des sentiments divers. On n'a pas encore oublié les retentissants crimes économiques qui avaient accompagné l'existence de ce type de zones économiques libres. Prenons ne seraient-ce que les offshore dits intérieurs qui en Russie avaient poussé comme des champignons après la pluie dans les années 90 du siècle dernier. C'est sur ces zones justement que l'on avait collé l'étiquette de "trous noirs de l'économie russe". Et puis partout ailleurs dans le monde les avis sont partagés à propos de ces zones. D'un côté, leur utilisation jouit d'une grande popularité. De l'autre, on dit d'elles qu'elles sont des "tumeurs" fixées sur le corps du système financier mondial.

Traduit de l'anglais, offshore signifie "loin du rivage", c'est-à-dire au-delà des frontières maritimes. Ce terme est entré en usage dans les années 50, quand un journal américain s'en est servi pour caractériser une partie de territoire sur laquelle les marchandises sont considérées comme objet se trouvant hors du territoire national, douanier. En 1973, une définition analogue avait été donnée à ce phénomène par la Convention de Kyoto, qui avait institué dans l'économie le principe de l'"extraterritorialité douanière". Depuis pratiquement cette date l'organisation financière échappant au contrôle public et surtout fiscal en recourant à la sélectivité territoriale, exempte d'impôts et versant des taxes d'enregistrement annuelles, utilisant des procédures d'enregistrement et de gestion simplifiées, s'appelle "société offshore".

Au cours des années 70 du XXe siècle les offshore ont engrangé un capital de popularité. Un peu partout on a vu éclore des sociétés commerciales, de gestion, de courtage, de leasing, de participation, d'investissement, de marketing et d'assurance, opérant selon le principe de l'extraterritorialité. Dans les années 90, des offshore ont vu aussi le jour dans les pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI). C'est vrai qu'à l'époque ces offshore s'étaient implantées dans l'espace post-soviétique, à partir d'une base juridique mal définie, et pour cette raison elles n'étaient pas devenues des foyers d'essor économique. Elles avaient été utilisées principalement pour alléger les charges fiscales. En Russie, par exemple, une bonne vingtaine de zones économiques libres avaient été mises en place selon ce principe et la plupart d'entre elles étaient restées inactives et ce alors que leur mission première avait été de drainer des investissements.

Quant à la pratique internationale les "zones économiques libres" de types divers atteignaient souvent l'objectif fixé: les Etats créant sur leur propre territoire des conditions facilitant le business ont commencé à se développer rapidement. Prenons l'exemple de Chypre. Les règlements fiscaux allégés en vigueur dans cet Etat insulaire ont drainé des investissements en provenance de différents pays.

Il est curieux que les pays créant des conditions avantageuses pour le business ne sont pas tous, tant s'en faut, qualifiés d'offshore. Les économistes classent les pays en trois groupes en fonction du niveau de la fiscalité, du contrôle de l'activité commerciale exercé par l'Etat et de la confidentialité de l'information commerciale. En règle générale, les pays industrialisés soumettent le bénéfice à un impôt élevé et réglementent strictement de nombreux aspects de l'activité des sociétés. Il y a des pays où la pression fiscale est modérée tout comme le contrôle fiscal et monétaire. Parmi ces pays on trouve, entre autres, la Grande-Bretagne, l'Irlande, le Canada, certains Etats d'Asie du Sud-Est ainsi que l'Estonie. Les sociétés enregistrées dans ces pays bénéficient d'avantages substantiels, mais elles sont aussi soumises à des restrictions. Par exemple, la société doit être dirigée par un ressortissant de l'Etat, la comptabilité doit être tenue par une compagnie indépendante, le versement préalable du capital statutaire est exigé. Les pays où les modalités d'enregistrement des sociétés sont simplifiées à l'extrême et où l'impôt sur le bénéfice est pratiquement inexistant sont dans une situation particulière. Chypre, dont il a été question plus haut, et beaucoup d'autres pays offshore connus - Bahamas, l'île de Man et le Vanuatu figurent dans ce groupe. Ces pays sont de véritables offshore. Les taxes locales d'enregistrement sont minimales, pour y obtenir un permis de séjour la présence des dirigeants et des fondateurs de la société est bien souvent inutile. Bien d'autres choses encore sont attractives pour les entrepreneurs.

A l'heure qu'il est la réalité ne laisse plus tellement de choix aux pays qui souhaitent accélérer leur développement économique. Tous les pays de la CEI sans exception se heurtent au problème des investissements. Dans nombre d'entre eux la présence d'investisseurs étrangers est réduite au minimum en raison des lacunes de la base normative réglementant l'imposition des revenus des investisseurs étrangers. Pour cette raison les entrepreneurs étrangers et leurs homologues des pays de la CEI sont contraints de recourir à des sociétés enregistrées dans des Etats étrangers et se trouvant hors de la juridiction de la législation fiscale du pays. L'expérience montre qu'il est impossible de régler ce problème au moyen de méthodes administratives. Pour attirer le business moderne sur son territoire, il faut recourir à d'autres mécanismes. Notamment créer des zones économiques spéciales à vocation industrielle et innovatrice.

A ce jour il existe dans le monde plus de 2.000 zones économiques spéciales qui ne sont pas toutes des offshore, loin s'en faut.

En Russie, par exemple, les six premières zones économiques ont officiellement vu le jour tout récemment en fonction d'une nouvelle loi. Elles commenceront à fonctionner à Moscou, à Saint-Pétersbourg, dans les régions de Lipetsk, de Tomsk, de Moscou et au Tatarstan. Le ministre russe du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref, a déclaré que les zones économiques spéciales (ZES) étaient appelées à donner le jour à une économie nouvelle et à dynamiser les hautes technologies. Il espère que finalement ces zones économiques spéciales affranchiront la Russie de la dépendance des exportations pétrolières.

En Russie on est sûr que les nouvelles règles permettront d'éliminer les carences qui s'étaient manifestées la fois précédente lors de la création des zones économiques libres. A l'époque, au milieu des années 1990, les zones créées s'étaient justement transformées en offshore intérieurs. Selon la nouvelle loi les investisseurs bénéficient de nouveaux avantages, mais en même temps ils doivent prendre des engagements. L'investisseur doit injecter au minimum 10 millions d'euros dans une zone de production industrielle et pas moins d'un million d'euros dans une zone d'innovations technologiques. Les cinq premières années l'investisseur est exempt des impôts locaux.

L'expérience engrangée par de nombreux Etats montre que la création de l'infrastructure des petites zones économiques spéciales (de 1 à 2 kilomètres carrés) ne réclame pas plus de 30 à 50 millions de dollars. Dans le cas de la Russie l'Etat prend à sa charge une partie du financement de l'infrastructure de ces zones.

Il est évident que les pays de la CEI n'ont pas d'autre choix que de suivre l'exemple de la Russie. Ce n'est pas simplement une question de mode. C'est là leur seule chance de survie. Tous les Etats se heurtent à la nécessité de se plier à des engagements sociaux, ils doivent par conséquent accroître la pression fiscale. Dans le même temps tous les Etats ont besoin d'investissements et de moderniser leur économie. Or, les investissements prennent la direction des pays dans lesquels les conditions sont les plus avantageuses. On se trouve donc dans un cercle vicieux. Les zones économiques spéciales ont pour mission de le briser.

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