Faut-il établir la vérité sur la mort de Rafic Hariri?

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Par Marianna Belenkaia, commentatrice politique de RIA Novosti.

Le 14 février, le Liban marque le premier anniversaire de l'assassinat de l'ancien premier ministre et homme d'affaires Rafic Hariri. Il y a un an, ce meurtre a bouleversé le Liban et tout le Proche-Orient. Les analystes proche-orientaux l'ont unanimement qualifié de "séïsme politique". Effectivement, la mort de Rafic Hariri a provoqué un changement dans le rapport des forces dans la région. Mais le résultat de ces changements s'est avéré étonnant.

Un an après, la question de savoir à qui profitait l'assassinat du premier ministre et qui se tenait derrière est restée sans réponse et, apparemment, elle le demeurera. D'ailleurs, la nécessité de rechercher la vérité est aussi mise en doute. En effet, l'année dernière, le personnage de Rafic Hariri s'est transformé en mythe, sa mort tragique est devenue une carte dans le jeu des diverses forces politiques et toutes ces forces n'ont pas besoin que les coupables du meurtre soient connus.

La mort de l'ancien premier ministre a perturbé l'équilibre politique déjà fragile au Liban et a mis en cause la Syrie, car l'entourage de Rafic Hariri a accusé ce pays d'avoir organisé l'assassinat. Cependant, bien que la commission internationale d'enquête travaille depuis plus de six mois, elle n'a pas de preuves directes et irréfutables de la culpabilité de Damas. Pourtant, la commission concentre son attention sur la filière syrienne et ne prend pratiquement pas en considération les autres versions de l'assassinat, économiques ou politiques, qui peuvent être multiples compte tenu de la personnalité peu ordinaire de Rafic Hariri et de la situation complexe au Liban et dans la région dans son ensemble.

Quoi qu'il en soit, la Syrie est la principale suspecte. Rappelons que l'ancien premier ministre a été tué au plus fort de la campagne internationale orchestrée par les Etats-Unis contre Damas. La Syrie a surtout été accusée d'apporter un soutien aux terroristes en Irak. En fait, le régime syrien s'est avéré coupable de l'incapacité des Américains à mettre fin au chaos en Irak. Il a également été accusé de s'être ingéré dans les affaires intérieures du Liban (les troupes syriennes s'y trouvaient depuis près de 30 ans) et d'avoir exercé une influence négative sur le règlement du conflit palestino-israélien, notamment d'avoir soutenu les groupements extrémistes palestiniens. L'"affaire Hariri" est devenue un prétexte commode pour faire pression sur les Syriens. Tout le monde s'est souvenu immédiatement des frictions qui existaient entre le président syrien Bashar al-Assad et Rafic Hariri au cours de la dernière année de vie du Libanais. Le fait que ces frictions n'étaient nullement un conflit insoluble entre eux a été oublié.

Au printemps 2005, lorsque les Syriens ont retiré leurs troupes du Liban sous la pression internationale qui s'est accrue après l'assassinat de Rafic Hariri, il semblait que Washington fêtait une victoire dans la région. Le Liban, de même que l'Irak, est devenu l'exemple préféré du succès de la démocratie au Proche-Orient pour les hommes politiques américains. Mais, quelques mois plus tard, il s'est avéré qu'il était prématuré de chanter victoire. De même que l'Irak, le Liban n'est pas devenu, loin de là, une île de calme et de stabilité. Toute une série de meurtres politiques a suivi la mort de Rafic Hariri, la méfiance entre les divers groupes ethniques et confessionnels a atteint son apogée.

Quant au bilan de l'année pour toute la région, la démocratie a eu pour conséquence l'arrivée au pouvoir de forces qui suscitaient la crainte en Occident. Les élections législatives palestiniennes ont été remportées par le Mouvement islamique de résistance (Hamas), les ministres des frères idéologiques du Hamas (Hezbollah) ont fait leur apparition dans le gouvernement libanais, l'influence des islamistes a augmenté en Irak. Dans ces conditions, la tentative en vue de renverser le régime syrien équivaut à une condamnation.

Par conséquent, pour les Etats-Unis, il est insensé de continuer à attiser la tension autour de la Syrie si, bien entendu, Washington ne veut pas semer le chaos dans un autre pays du Proche-Orient et amener ainsi les islamistes au pouvoir. Autrement dit, les Etats-Unis ne doivent pas être intéressés à la détérioration des rapports syro-libanais ni rechercher la filière syrienne dans l'"affaire Hariri". Mais, d'autre part, l'abandon de la "version syrienne" de l'assassinat détruirait le fondement sur lequel reposait cette dernière année la politique américaine au Proche-Orient. Bref, l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri peut durer indéfiniment, en restant un moyen commode de man�uvrer dans la région.

Dans ce conteste, il ne reste qu'à fonder les espoirs sur la sagesse des Libanais. En tout cas, Rafic Hariri qui a fait beaucoup pour que les Libanais oublient le plus vite possible les conséquences de la guerre civile ne mérite pas que son nom soit utilisé en vue de déstabiliser la situation au Liban.

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