La victoire ne résout pas tous les problèmes de Loukachenko

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Par Tatiana Stanovaïa, analyste au Centre des technologies politiques, en exclusivité pour RIA Novosti.

En Biélorussie, comme on s'y attendait, le président en exercice Alexandre Loukachenko a remporté l'élection présidentielle dès le premier tour. Selon le bilan officiel, l'opposition n'a obtenu que 7% des voix au total. Toutefois, malgré la défaite absolue du candidat des forces démocratiques Alexandre Milinkevitch et l'inconsistance du "scénario coloré", on peut constater que la campagne électorale a profité à tous ses participants aussi bien directs qu'indirects.

Le premier vainqueur est, bien entendu, Alexandre Loukachenko. Toutefois, sa victoire est loin d'être incontestable. L'Occident qui ne cachait pas ses sympathies pour l'opposition et optait ouvertement pour un "scénario coloré" était son grand rival, et les "technologies oranges" sa grande cible. Ce sont essentiellement face à la pression extérieure que subissait le régime Loukachenko que des mesures antidémocratiques ont été prises: certains opposants ont été arrêtés, des médias indépendants fermés, et les observateurs internationaux sélectionnés, alors que le KGB a mené toute une campagne d'intimidation en qualifiant à l'avance tous les contestataires de terroristes potentiels. Le scrutin même suscite des interrogations: près de 30% des électeurs ont voté par anticipation, ce qui réduit les possibilités de contrôle.

Dans le même temps, on savait par avance (ce dont témoignaient tous les sondages) que Loukachenko était soutenu par la majorité de la population et qu'il resterait président. La question qui se pose est donc de savoir pourquoi le président biélorusse a eu besoin de mesures aussi sévères pour alimenter les accusations occidentales d'antidémocratisme. La réponse est simple comme bonjour: Loukachenko devait à tout prix éviter une situation dans laquelle des "technologies colorées" auraient pu être déclenchées, éviter un résultat permettant à l'opposition d'espérer un deuxième tour. En d'autres termes, il ne pouvait pas admettre même un taux de 60%: son résultat devait être d'au moins 20% supérieur à la moitié des voix. Le président biélorusse avait besoin d'une victoire absolue, et il y est parvenu. Le plus paradoxal est que sans les pressions occidentales le scrutin aurait pu être plus libre, mais le score n'aurait pas été aussi impressionnant.

L'opposition a elle aussi remporté une victoire. Avant le début du cycle électoral, l'opposition réelle en Biélorussie était amorphe, inconsistante, la cote de popularité de Milinkevitch était de 1%, et la concurrence entre ses dirigeants assez élevée. Mais l'opposition a su consolider ses forces, quoique partiellement, et faire parler d'elle. Après cette présidentielle, plus personne ne peut dire que l'opposition n'existe pas en Biélorussie. Qui plus est, Alexandre Milinkevitch et Alexandre Kozouline ont pu, à l'issue du scrutin, faire descendre dans la rue plusieurs milliers de personnes (entre 2.000 et 20.000, selon les différentes estimations), ils ont donc démontré leur capacité à mobiliser ses partisans, alors que rares étaient ceux qui y croyaient avant le scrutin.

Le scénario des violences ne s'est pas réalisé non plus. Avant l'élection, on pensait que le pouvoir biélorusse avait deux scénarios: le premier, le plus violent, visait à réprimer toute action massive par les forces de l'ordre; le second consistait à permettre à l'opposition de descendre dans la rue sans intervenir dans les manifestations, espérant que celles-ci s'épuiseraient d'elles-mêmes. Quoi qu'il en soit, les jours qui viennent réservent aux opposants une véritable épreuve qui montrera à quel point ils sont attachés à leurs idoles.

On peut dire que l'Occident a également gagné: il a obtenu de nouveaux arguments lui permettant de critiquer le régime Loukachenko. Déjà, l'Union européenne n'exclut pas la possibilité de sanctions contre la Biélorussie. Force est de reconnaître que ni l'Occident ni l'opposition ne croyaient à une "révolution". Les objectifs de ceux-ci comme de ceux-là n'étaient pas les mêmes. Sans parvenir à pluraliser le pouvoir biélorusse de l'intérieur, l'Occident avait besoin de trouver de nouveaux arguments pour durcir son attitude à l'égard de Loukachenko.

Il s'avère donc que le résultat de l'élection est une bonne nouvelle pour ses participants aussi bien directs qu'indirects. Parallèlement, il promet à la fois plusieurs tendances désagréables pour le régime de Loukachenko. Premièrement, les tensions vont monter entre la Biélorussie et l'Occident. Deuxièmement, l'opposition sera mieux préparée pour les prochaines législatives de 2008. Et, troisièmement, Alexandre Loukachenko aura plus de mal à trouver des sympathisants en Russie. Pour cela, il y a diverses raisons. D'abord, le président biélorusse refuse de faire des concessions quant à la construction d'un Etat commun Russie-Biélorussie. A noter que, cette fois-ci, le leader biélorusse ne pouvait pas beaucoup spéculer sur les relations d'alliance entre les deux pays en l'absence d'actes réels, alors que le slogan de la stabilité risque de perdre de son attrait à l'approche de la campagne suivante. Ensuite, le durcissement du régime Loukachenko pousse Moscou à prendre ses distances et à bâtir des relations moins avec le "batka" (père du peuple) qu'avec le "peuple frère". Enfin, la Russie se retrouvera elle-même en 2008 en pleine campagne électorale, et le sauvetage de Loukachenko ne fera sûrement pas partie des missions prioritaires du Kremlin. Compte tenu de ce qui précède, le président biélorusse ferait mieux de se trouver un dauphin qui saurait plaire à Moscou et ne pas agacer l'Occident.

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