Ukraine: la fin du romantisme

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Par Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre de technologies politiques - RIA Novosti

Le romantisme n'est plus en Ukraine. La période de la "révolution orange" avec ses manifestations endiablées et ses face-à-face noir et blanc opposant les forces du mal à celles du bien est restée dans l'histoire. L'heure des transactions politiques pragmatiques est arrivée.

A la fin de 2004, tout était clair pour les Européens. D'un côté, il y avait Viktor Iouchtchenko, un politique honnête que des "forces ténébreuses associées au régime de Léonide Koutchma et personnellement au premier ministre d'alors, Viktor Ianoukovitch, ne voulaient en aucun cas voir dans le fauteuil de président. De l'autre, ces "forces du mal" gangrenées par la corruption et cherchant coûte que coûte à falsifier les résultats des élections.

Un peu plus d'un an plus tard ces clichés étaient déjà presque oubliés. Désormais d'autres questions, foncièrement différentes, étaient à l'ordre du jour. Par exemple, la composition du futur gouvernement de coalition, au sein duquel auraient pu se retrouver les trois principales composantes politiques du pays: le Parti des régions (Viktor Ianoukovitch), Notre Ukraine de Viktor Iouchtchenko et le bloc de Ioulia Timochenko.

Effectivement, la coalition "orange" de Iouchtchenko et de Timochenko s'est disloquée l'année dernière encore et les anciens alliés du Maidan sont devenus de farouches adversaires. Ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que la carrière politique de Timochenko a été bâtie dans une grande mesure sur le populisme actif. Au poste de première ministre, elle s'était fait remarquer en annonçant une révision de grande envergure des privatisations, ce qui aurait pu inciter les investisseurs étrangers à fuir l'Ukraine, sur lesquels les participants à la révolution misaient tellement.

De son côté, Iouchtchenko ne souhaitait que des actions ponctuelles, dans le genre réexamen de l'appel d'offres lancé pour la privatisation de Krivorojstal, ce qui aurait eu pour effet de confirmer sa volonté de tenir ses promesses électorales et aussi de renflouer le trésor public.

En y regardant de plus près, les amis de Ianoukovitch ne sont pas des partisans de l'autoritarisme forcené, mais des défenseurs des intérêts politiques et économiques de l'élite de la partie orientale du pays. Aussi sont-ils prêts à des compromis substantiels qui ne seraient pas préjudiciables aux priorités des hommes d'affaires de l'Est. C'est aussi une évidence que la majorité de l'élite ukrainienne souhaiterait vivre dans l'Europe unie, mais une petite minorité seulement est disposée à consentir à des sacrifices économiques.

Il va de soi que les forces politiques ukrainiennes sont très hétérogènes de par le degré de leur "occidentalisme". Par conséquent, il est fort douteux qu'un gouvernement avec la participation du Parti des régions aurait accepté sans broncher la décision de soumettre à un blocus économique la Transnistrie, une république non reconnue dont l'existence suscite des grincements de dents dans l'Europe unie. On se souvient du fait que cette décision avait été prise par le gouvernement des partisans de Iouchtchenko vers la fin de la campagne électorale. Cependant, si des amis de Ianoukovitch entrent au gouvernement, il n'est pas certain que ces mesures soient immédiatement levées, pragmatisme oblige.

Mais comment se présentent les choses en ce qui concerne l'idée de Ianoukovitch de tenir un référendum sur l'OTAN? Si Iouchtchenko souhaite voir l'Ukraine le plus tôt possible au sein de l'OTAN quel que soit le prix à payer, Ianoukovitch est opposée à "une adhésion hâtive" et préconise un développement tous azimuts de la coopération.

En fait, il faut choisir entre le sprint et la course de fond. Souvenons-nous à cet égard qu'au cours de la campagne électorale de 1982 en Espagne les socialistes de là-bas eux aussi s'étaient opposés à une adhésion du pays à l'OTAN, une chose que le gouvernement de centre-droit promettait de réaliser de manière expéditive. Mais sortis vainqueurs des élections, les socialistes avaient changé d'avis et après une campagne de mise en condition de l'opinion menée tambour battant, ils avaient tenu un référendum qui avait "projeté" le pays dans l'OTAN. A propos, en 1982, le socialiste espagnol encore peu connu Javier Solana se montrait très critique à l'égard de l'Alliance de l'Atlantique Nord.

Maintenant, comment l'Occident pourrait-il se résigner à une éventuelle coalition de l'"honnête" Iouchtchenko et du "malhonnête" Ianoukovitch? Très simplement. L'Occident ne pouvait accepter le président Ianoukovitch qui, comme il l'estimait, serait arrivé au pouvoir en bourrant les urnes. Par contre, les "pro-occidentaux" ne seraient pas opposés au ministre ou au premier ministre Ianoukovitch si les observateurs européens reconnaissaient que le Parti des régions avait recueilli exactement un nombre de suffrage identique à celui figurant sur les procès-verbaux de la Commission électorale centrale.

Après le scrutin on verra probablement s'engager de longues et obscures transactions sur la formation d'un gouvernement de coalition. Il est évident ici qu'une "grande coalition à trois" est impossible et que deux partis ne sont pas du tout certains d'obtenir une majorité. Dans ce cas, cela donnerait davantage de consistance au rôle de forces politiques de second plan prêtes à jouer les partenaires juniors au sein de toute coalition. Nous avons en vue les socialistes d'Alexandre Moroz et le Parti populaire de l'actuel président du parlement, Vladimir Litvine. Ni l'un ni l'autre ne sont opposés à l'intégration européenne.

Cela signifie-t-il qu'après les élections, la voie conduisant l'Ukraine vers l'Europe unie sera presque idyllique? Penser cela serait se tromper fondamentalement. N'oublions pas que pour la plus grande partie de l'élite ukrainienne l'économie est plus importante que la politique. Par conséquent, il sera difficile à toute coalition gouvernementale de prendre des décisions impopulaires.

Par contre, elle sera extrêmement dépendante des groupes de pression. Par exemple, l'intégration européenne déboucherait très probablement sur une restructuration totale de l'économie ukrainienne, qui serait surtout préjudiciable à l'Est du pays, où l'industrie est hautement développée depuis l'époque soviétique.

De la même manière, toute coalition gouvernementale dans laquelle entreraient les populistes - c'est-à-dire les partisans de Timochenko et les socialistes - aurait de grandes difficultés à mettre en oeuvre une politique de rigueur économique assurant la stabilité financière indispensable au choix européen. Mais une telle politique se ferait au détriment de la population socialement vulnérable.

Relevons également que toute coalition gouvernementale issue des urnes manquerait de stabilité, ce qui réduirait ses possibilités de mise en oeuvre d'une politique socio-économique cohérente. L'Ukraine pourrait connaître ce que l'on appelle une "valse des gouvernements". Si cela se produisait, la perspective européenne du pays resterait très confuse, indépendamment du désir des élites ukrainiennes.

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