Pékin et Washington ont une vision différente de leur responsabilité globale

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Par Dmitri Kossyriev, commentateur politique de RIA Novosti

Le cercle de la politique globale menée au plus haut niveau à l'égard de l'Iran s'est logiquement refermé sur les pourparlers que le président des Etats-Unis, George W.Bush, a eus à Washington avec le président chinois, Hu Jintao. Comme il fallait s'y attendre, le leader chinois a dit "non" à toute action musclée - par exemple des sanctions décrétées par l'ONU - contre l'Iran et déclaré au cours de la conférence de presse finale qu'il fallait sortir de la crise nucléaire iranienne par la voie diplomatique.

Cela était d'ailleurs déjà prévisible après la rencontre diplomatique de Moscou tenue le jour même où Hu Jintao s'envolait à destination des Etats-Unis. Cette rencontre avait mis en présence les vice-ministres des Affaires étrangères des pays membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et aussi de l'Allemagne. La Russie et la Chine, disposant l'une et l'autre du droit de veto au Conseil de sécurité, y avaient confirmé qu'il n'y aurait pas de sanctions de l'ONU parce que Moscou et Pékin y étaient opposés. Aussi ne fallait-il pas s'attendre à ce que dès le lendemain le leader chinois émette un avis contraire. Par conséquent, maintenant Washington va devoir seul envisager la marche à suivre: consentir à des pourparlers séparés avec l'Iran (cette idée circule dans les milieux diplomatiques), entreprendre seul une action militaire ou quelque chose d'autre.

Pourquoi Pékin a-t-il adopté cette position? Imaginons l'hypothèse extrême que les Etats-Unis redoutent réellement. L'Iran et sa bombe nucléaire dominent dans la région du Grand Proche-Orient où les Etats-Unis ont fait disparaître l'Irak qui jadis faisait contrepoids à l'Iran.

Effectivement, ce serait une catastrophe pour Washington. Mais la Chine aurait-elle à appréhender un tel retournement des événements? C'est douteux. Par contre, ce qui est bien plus sérieux c'est que 15% du pétrole importé par la Chine provient d'Iran et que ce pays est le premier fournisseur de pétrole à Pékin. Tout comme le contrat prévoyant la livraison annuelle à la Chine de 250 millions de tonnes de gaz liquéfié iranien pendant 25 ans.

Maintenant envisageons une autre hypothèse extrême d'évolution des événements autour de l'Iran: une opération militaire américaine contre ce pays. Une opération de grande envergure avec occupation du territoire, comme en Irak. Evidemment, la plupart des experts estiment que pour de très nombreuses raisons les Etats-Unis ne pourraient la mener à bien. Mais supposons quand même qu'ils y réussissent. Pour Pékin le problème numéro un ne serait plus le Proche-Orient, mais la Caspienne et l'Asie centrale.

La mise en branle de la machine de guerre américaine dans la Caspienne pourrait remettre en question toute la politique centrasiatique de Pékin et de Moscou (dont ils assurent la coordination dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai). L'oléoduc de 386 kilomètres reliant l'Iran au nord de la Caspienne, là où le brut iranien doit être injecté dans le pipeline Kazakhstan-Xinjiang projeté, est un seul des projets que les Etats-Unis pourraient torpiller où placer sous leur contrôle. Protégée par des accords sur la sécurité et la coopération économique, la frontière nord-ouest de la Chine deviendrait alors un grand problème. Et dans le meilleur des cas sa solution se trouverait à Washington. Et nulle part dans le pire (la triste expérience de l'occupation de l'Irak et le chaos qui règne dans ce pays sont là pour s'en convaincre).

Au cours de la visite de Hu Jintao aux Etats-Unis, des propositions de devenir "actionnaire responsable" de la communauté internationale ont été adressées à la Chine à plusieurs reprises, y compris par le président américain. Mais l'hôte pékinois aurait pu demander de son côté: pour quelle raison les intentions de l'autre "actionnaire responsable", les Etats-Unis, vis-à-vis de l'Iran ressemblent-elles fortement à une tentative pour contrôler les principaux axes d'approvisionnement de la Chine en pétrole? Ce n'est pas là une façon d'agir vis-à-vis d'un partenaire d'actionnariat.

Pourquoi cette politique est-elle similaire à la politique américaine appliquée à l'égard du Soudan (5% du bilan énergétique de la Chine), pourquoi le refus des Etats-Unis de consentir à des compromis à l'égard de la Corée du Nord dans une crise très ressemblante à la crise iranienne menace-t-il la stabilité de la Chine?

C'est vrai que Pékin n'est pas le seul à pouvoir ressentir la même impression. Les militaires américains dans la Caspienne pourraient créer les mêmes problèmes pour Moscou: un "coin" militaire américain entre la Chine et la Russie, un danger pour de très nombreux projets énergétiques liés à la Turkménie et aux autres pays centrasiatiques voisins... Et puis la crise coréenne elle aussi crée une menace aussi bien pour Pékin que pour Moscou.

Mais le problème se trouve peut-être ailleurs qu'en Iran ou en Corée du Nord, surtout qu'aucun fait jusqu'ici n'est à même de démontrer que ces pays sont capables de se doter de l'arme nucléaire? Ce qui se passe est peut-être dû à des tentatives des Etats-Unis pour freiner la Chine qui avance à grands pas vers le statut de principale puissance mondiale? Et par la même occasion pour priver la Russie de sa politique orientale, celle-là même où elle y enregistre ses plus grands succès?

Pékin a sa propre vision de ce qu'il convient de faire pour bâtir des rapports dans le cadre de l'actionnariat global. L'itinéraire du déplacement de Hu Jintao aux Etats-Unis a commencé par une visite de l'entreprise Boeing à Seattle sur le littoral du Pacifique, et cela pourrait très bien être interprété comme une contre-proposition discrète de la Chine à la politique américaine actuelle. Boeing réalise en Chine un chiffre d'affaires de 4 milliards de dollars l'an, et le géant aéronautique n'est pas la seule société américaine à dépendre autant de Pékin. La Chine, troisième plus grande puissance commerciale dans le monde après les Etats-Unis et l'Allemagne, s'est hissée à ce niveau dans une grande mesure grâce aux investissements américains dans son économie. Ils l'ont fait de manière à fabriquer en Chine des produits qui seraient ensuite écoulés sur le marché américain. Seulement pour pouvoir prolonger ce processus Pékin a besoin notamment d'être approvisionné régulièrement en produits énergétiques.

C'est la raison pour laquelle la symbolique de la visite du dirigeant chinois aux Etats-Unis pourrait être interprétée comme ceci: "nos économies sont par trop imbriquées l'une dans l'autre, des aventures militaires en Iran ou ailleurs seraient trop dangereuses tant pour la Chine que pour les Etats-Unis. Par conséquent Pékin y est opposé et invite l'Amérique à se rallier à cette position".

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