Sommet Russie-UE: pas de percée en prévision

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Par Sergueï Kortounov, président du Comité pour les prévisions en politique extérieure, en exclusivité pour RIA Novosti

Le 24 novembre prochain, Helsinki va accueillir le nouveau Sommet Russie-Union européenne. Le problème clé sera sans doute le refus de Moscou de ratifier la Charte européenne de l'Energie et le Protocole de transit qui lui est annexé.

La Charte de l'Energie prévoit des règles communes pour la production, la vente et le transit d'hydrocarbures. Ce document impose aussi des tarifs de transit uniques. Or, le principal est que le Protocole de transit prévoit le libre accès de tous les producteurs de pétrole et de gaz au système de pipelines de tout pays ayant adhéré à la Charte. C'est justement ce qui n'arrange pas du tout Moscou. Moscou demande essentiellement à l'Union européenne de lui fournir des garanties sûres d'achats d'hydrocarbures russes dans le contexte de la libéralisation complète du marché énergétique sur le continent.

Il est parfaitement évident que ce sujet sera dominant en Finlande. Autre sujet d'intrigue au futur Sommet, le fait qu'en 2007 expire l'accord de partenariat et de coopération (APC) entre la Fédération de Russie et l'Union européenne.

Quoi qu'il en soit, il est de loin plus important d'essayer de voir les perspectives du partenariat stratégique avec l'UE dans son ensemble. Tout porte à croire qu'il n'y aura pas de percée sérieuse en la matière lors du futur Sommet d'Helsinki. Il est aussi très peu probable qu'en 2007, un nouvel APC, riche en contenu, soit conclu entre la Fédération de Russie et l'Union européenne. A ce jour, ni la Russie ni l'UE n'entendent prendre plus d'engagements que ceux déjà consacrés par l'APC en vigueur. Qui plus est, depuis ces derniers temps, on constate même un ralentissement notable de la dynamique même du partenariat et de la coopération Russie-UE, comme conséquence d'une aggravation du dialogue politique sur les questions clés.

Or, cela ne s'explique pas par les mauvaises intentions de qui que ce soit, mais par des circonstances parfaitement objectives. Somme toute, le processus de négociations entre la Russie et l'UE sur leur intégration économique ne pourra bouger du point mort qu'après l'adhésion de la Fédération de Russie à l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). Pour ce qui est de l'objectif pragmatique pour l'avenir immédiat, c'est sans doute la création d'une zone de libre-échange entre la Fédération de Russie et l'Union européenne qui correspond le mieux tant aux objectifs de l'APC qu'à ceux de l'OMC.

L'Union européenne et la Russie sont aujourd'hui des sujets internationaux sensiblement différents de ce qu'ils étaient il y a une quinzaine d'années. Au début des années 1990 effectivement, l'Union européenne était en plein essor, alors que la Russie traversait une crise économique profonde et se trouvait sous l'impact d'un puissant choc civilisationnel à l'issue de l'effondrement de l'Union Soviétique. Les Européens percevaient alors la Russie comme une sorte de "grande Pologne" à laquelle on pouvait bien appliquer les mêmes critères et standards que ceux appliqués aux pays de l'Europe Centrale et Orientale. De son côté, la Russie considérait l'UE comme une structure d'intégration réussie à laquelle Moscou était prêt à adhérer, même en tant qu'"élève docile".

A présent, la situation est parfaitement différente. Comme le supposent beaucoup en Russie, l'Union européenne traverse à l'heure actuelle une crise profonde, liée, entre autres, à son élargissement et à son incapacité évidente de "digérer" rapidement les nouveaux pays membres. De surcroît, l'échec de la Constitution européenne a fait toute la lumière sur sa crise identitaire. Par contre, la Russie est sortie (soit est sur le point de sortir) de la crise et a le sentiment, qui se renforce d'année en année, de devenir un centre de force indépendant et autosuffisant. Dans les conditions où la crédibilité de l'UE, en tant que modèle d'intégration réussi, se trouve en chute libre, alors que la situation économique de la Russie se raffermit de jour en jour, Moscou se rend de plus en plus compte qu'aujourd'hui il ne lui est plus utile de précipiter son intégration à l'UE à des conditions de cette dernière. Somme toute, pour la classe politique russe, la voie de développement européenne n'est plus sans alternative. Qui plus est, les Russes comprennent de plus en plus nettement que l'Union européenne n'est plus un exemple à imiter déjà parce que la Russie manifeste de nos jours des rythmes de croissance économique beaucoup plus élevés. Aussi, les hommes politiques russes tournent-ils de plus en plus leurs regards vers l'Asie émergeante. Toujours est-il que Moscou a l'impression justifiée d'être aujourd'hui un sujet suffisamment indépendant de l'Europe, sujet qui n'a plutôt besoin de personne. Par contre, tout le monde a besoin de la Russie. Dans ces conditions, l'élite russe est même arrivée à un ferme consensus, estimant que la Russie ne doit en aucun cas adhérer à l'Union européenne et encore moins s'adapter au système du droit européen (beaucoup sont même persuadés que c'est une voie menant à la désagrégation du pays).

On ne doit pas, non plus, négliger le fait que le dialogue Russie-UE a toujours son ordre du jour négatif, qu'il s'agisse de l'incompatibilité des législations des parties et de leur refus manifeste de les harmoniser, d'un conflit évident d'intérêts sur l'espace postsoviétique, de la politique de "deux poids, deux mesures" adoptée par l'Union européenne sur la question de la situation et des droits des populations russophones dans les Etats baltes ou du problème en suspens de la région de Kaliningrad. Les critiques obsédantes de l'Union européenne à l'endroit de la Russie ne contribuent en rien, elles non plus, à résorber cet ordre du jour négatif. En effet, l'UE ne cesse de critiquer la Russie au sujet de la "démocratie dirigée", des "tendances autoritaires du régime de Poutine", des élections parlementaires et présidentielles "qui ne sont ni honnêtes ni équitables", de la "justice sélective", des méthodes policières de pression sur le gros capital, de l'anéantissement des chaînes de télévision et des éditions auxquelles le Kremlin est allergique et ainsi de suite�

Comme résultat, la seule forme de partenariat et de coopération dans les relations entre la Russie et l'UE reste aujourd'hui le dialogue politique, reposant sur des concessions réciproques sur les problèmes les plus aigus pour les parties. Ce mécanisme ne correspond évidemment pas aux tâches du partenariat stratégique et n'est nullement adéquat aux défis contemporains de la mondialisation en cours.

Et enfin, on ne doit pas non plus ignorer une autre circonstance de taille. L'influence des lobbies opérant en sous-main en Russie est encore très puissante. Ces groupes ne sont guère intéressés au passage à de hautes normes techniques et juridiques de l'Union européenne ni à d'authentiques mécanismes de marché dans la régulation de l'économie.

Dans ces conditions qui excluent en principe l'éventualité même de toute percée dans les relations entre la Russie et l'Union européenne dans un avenir prévisible, il serait logique d'envisager une forme alternative d'euro-intégration qu'est la Communauté économique européenne. Il faut à cette étape mettre en place un mécanisme de travail pour partenariat du moins dans le cadre du Conseil Russie-OTAN. Côté russe, il est nécessaire d'engager dans les négociations avec l'Union européenne des représentants des structures d'affaires et de la société civile.

L'actualité de la coopération avec l'UE est dictée avant tout par deux circonstances: la nécessité pour la Russie d'élever la compétitivité de son économie nationale et du pays dans son ensemble et son corollaire - le besoin impérieux d'une modernisation nationale dans le sens le plus large du terme.

La question de la compétitivité globale de la Russie a été définie par le président de la Fédération de Russie en tant qu'idée nationale. Il est évident, d'autre part, que la compétitivité se trouve en quelque sorte en contradiction avec l'idée même de partenariat stratégique. Pire, elle est même souvent remplacée par une concurrence franchement déloyale. Pourtant, en réalité, la compétitivité des sujets en concurrence ne doit pas avoir pour objectif de perturber l'équilibre par l'éviction du concurrent, loin de là!

Ensuite, dans le contexte de la mondialisation générale, il importe de comprendre l'inéluctabilité de l'intégration de la Russie dans l'économie mondiale et notamment dans l'espace européen commun, espace économique, juridique, humanitaire et politique. Ces deux tâches sont étroitement liées et exigent de la Russie qu'elle passe au type de développement innovant, lié à la mise au point et à l'implantation de know-how d'avant-garde à haute scientificité permettant à la société russe de faire une percée dans l'époque postindustrielle.

Le potentiel de la Russie en la matière est évalué comme suffisamment élevé dans le monde, mais la mise en �uvre de ce potentiel est entravée par le retard pris sur les formes actuelles de business et de gestion économique par l'Etat, ainsi que par la tendance prononcée à la spécialisation de l'économie russe dans la production de matières premières. Il est tout aussi évident qu'en absence de partenariat solide avec les pays industrialisés de l'Europe, le passage réussi de la Russie au type de développement innovant est tout bonnement impossible.

C'est pourquoi la perspective de coopération stratégique avec l'Union européenne doit être recherchée dans la sphère des hautes technologies et des projets innovants. Or, tout va plutôt bien en Russie dans le domaine des technologies révolutionnaires du XXIe siècle, de la recherche fondamentale et interdisciplinaire. Néanmoins, elle n'est guère parvenue à les commercialiser. Par contre, l'Europe sait bien transformer les hautes technologies en produits commerciaux. On pourrait, par conséquent, conjuguer les possibilités et les capacités de la Russie et de l'UE dans cette sphère précise, en créant, par exemple, des coentreprises à capital risque. C'est sans doute là un des moyens essentiels de résoudre un problème vital tant pour la Russie que pour l'Union européenne.

Si une telle perspective devient réalité, on n'aura tout simplement plus besoin d'une nouvelle déclaration politique du type d'un nouvel APC ou même de la Charte de l'Energie, car il s'agira alors d'un partenariat effectif dans le domaine économique au lieu de l'actuel partenariat déclaratif. Et un tel partenariat doit justement constituer la base d'un Grand projet européen, réalisé avec la participation active de la Russie. Mais pour cela, la Russie doit faire preuve de volonté politique dans le sens du mouvement vers les normes techniques et juridiques civilisées, et l'Union européenne doit, de son côté, abandonner son ton de mentor et cesser de se positionner en partenaire principal par rapport à la Russie.

Le point de vue de l'auteur ne coïncide forcément pas avec celui de la rédaction.

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