Les baleines grises restent les otages du brut

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Par Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti

Tout récemment à Genève des chercheurs de renom représentant le Conseil consultatif près l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) se sont penchés sur le problème des baleines grises peuplant la mer d'Okhotsk. Ces scientifiques ont une nouvelle fois exprimé leur préoccupation face au sort de ces animaux marins en voie d'extinction et dont la population ne dépasse pas les cent unités. Ces habitants qui peuplent l'Océan depuis quelque 50 millions d'années pourraient disparaître sous l'effet de l'action anthropogène à laquelle leur habitat est soumis suite à la réalisation du projet pétrolier "Sakhaline-2". Ce point de vue est partagé par de nombreux protecteurs de la nature.

Le Conseil consultatif réuni à Genève avait tenté de donner une réponse scientifique à la question de savoir si le troupeau de baleines grises a été soumis ou non à un impact négatif. A partir de documents présentés aux écologistes par la compagnie "Sakhalin Energy", les experts ont constaté que présentement il était impossible de tirer des conclusions scientifiques précises à ce sujet, que pour ce faire de nouvelles études et des données complémentaires étaient nécessaires.

"En effet, la compagnie ne s'est pas pleinement conformée aux recommandations données par le Conseil consultatif, a indiqué Alexandre Védéniov, chef du laboratoire des bruits de l'océan de l'Institut d'océanologie relevant de l'Académie des sciences de Russie, qui a pris part à la rencontre de Genève. D'un côté, les entreprises de construction ont entamé le cycle le plus intensif des travaux à la date désignée par nous, au début du mois de juin, alors que les cétacés en migration n'étaient pas encore arrivés. Cependant, nous avions aussi recommandé d'envoyer sur place une équipe d'observateurs écologistes, qui auraient suivi le comportement des baleines, mesuré les niveaux acoustiques. Cela n'a pas été fait, si bien que nous ne disposons d'aucune donnée concernant la période du plus grand effet sonore sur les animaux et les changements intervenant dans leur comportement. Selon Alexandre Védéniov, pour se justifier "Sakhalin Energy" a invoqué de mauvaises "conditions météorologiques" et aussi le fait que si elle s'en était tenue strictement aux recommandations des chercheurs et avait interrompu les travaux après que les instruments aient indiqué un dépassement de la barre des 130 décibels, alors les travaux n'auraient pas pu être achevés dans les délais".

L'été passé a été très difficile pour les baleines. D'importants travaux ont été réalisés sur le plateau continental en vue de moderniser la plate-forme "Molikpaq", une conduite a été posée sur la terre ferme. Les nombreux navires rassemblés dans le secteur ont mis en oeuvre des matériels lourds, des quantités considérables de terre ont été draguées. Il est incontestable que ce "boucan" a eu un effet négatif sur les baleines qui ont pu être assourdies et chassées de la zone de nourriture qu'elles ont l'habitude de fréquenter depuis des temps immémoriaux. Alexandre Védéniov a souligné que dans la législation russe il est mentionné qu'aucune action négative n'est tolérée sur les animaux inscrits sur la Liste rouge étant donné que cela entraînerait la disparition de ces espèces. Par conséquent, "Sakhalin Energy" a bien enfreint la législation écologique russe et en ce qui concerne les recommandations des chercheurs du Conseil consultatif, la compagnie n'a appliqué que celles qu'elle jugeait "raisonnables".

"Il était aussi exigé de l'opérateur un plan de travail visant à mettre un terme aux déversements de pétrole dans la zone des plates-formes, mais les documents présentés se sont avérés insuffisants pour pouvoir dire si "Sakhaline-2" était en mesure de faire face à des situations d'urgence, alors que ce plan aurait dû être élaboré bien avant que le pétrole ne coule dans la conduite", a déclaré Grigori Tsidoulko, du Fonds international pour la protection des animaux (FIPA), lui aussi membre du Conseil consultatif. Pourtant, le risque est grand: en hiver dans cette région la couche de glace sur la mer est assez épaisse, d'autre part nous sommes dans une zone d'activité sismologique. Il y a donc possibilité de rupture de la partie immergée du pipeline. D'après les calculs établis sur une année, la probabilité d'accident est faible, mais sur la durée d'existence du projet (40-50 ans) un accident grave est très probable et ici l'état de préparation de la compagnie à y faire face présente des lacunes sérieuses", estime Grigori Tsidoulko.

Le sort des baleines grises préoccupe par son aspect dramatique. Cette espèce d'animal marin avait été longtemps considérée comme disparue. Cependant, au début des années 80 du siècle dernier des pêcheurs de la mer d'Okhotsk avaient annoncé aux scientifiques qu'ils avaient aperçu un troupeau de baleines sur les côtes septentrionales de Sakhaline. Une expédition scientifique aérienne avait aussitôt été mise sur pied et effectivement le cétacé disparu était réapparu.

Mais de l'or noir a été prospecté sur le plateau continental de Sakhaline. Dès la première étape des travaux les écologistes ont tiré la sonnette d'alarme, déclarant que l'activité de la compagnie pouvait nuire à la population de baleines grises. Dans un premier temps "Sakhalin Energy" avait prétendu que le projet ne causerait aucun préjudice aux cétacés. Seulement, sous la pression des écologistes elle a été amenée à revoir sa position. En 2004, la compagnie a stoppé les travaux concernant la pose de la conduite immergée sur le gisement "Piltoun-Astokhskoie" jusqu'à la fin des études supplémentaires réalisées par un groupe d'experts indépendants. Finalement les chercheurs ont porté leur choix sur une solution consistant à éloigner le plus possible la conduite (de 20 kilomètres) de la zone d'habitation des baleines. Les écologistes avaient également recommandé aux pétroliers de déplacer la deuxième plate-forme qui se trouvait dans la zone de nourriture des baleines. Mais "Sakhalin Energy" a jugé cette suggestion inacceptable, invoquant que si la plate-forme était déplacée le brut ne pourrait plus être extrait.

Evidemment, la compagnie va devoir chercher une solution consensuelle. Elle n'entend pas faire son deuil de ce richissime gisement de pétrole ni renoncer à un grandiose projet dans lequel des milliards de dollars ont déjà été investis et qui touche aux intérêts de nombreux pays. "Sakhalin Energy" continue de financer l'étude des baleines grises avec lesquelles elle compte bien "cohabiter pacifiquement". Les cétacés eux non plus ne veulent pas abandonner leur "domaine" naturel et ils espèrent s'adapter aux nouvelles circonstances.

Cependant, si les choses évoluaient selon un mauvais scénario, les baleines grises n'auraient pas d'autre choix que d'aller s'échouer sur le rivage.

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