Un chauffeur russe sur deux est au volant d'une marque étrangère

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Par Mikhaïl Khmelev, commentateur économique de RIA Novosti
Par Mikhaïl Khmelev, commentateur économique de RIA Novosti

L'industrie automobile russe connaît un véritable boum des investissements étrangers qui, presque tous, concernent des projets plus ou moins liés à la fabrication de modèles étrangers. Ce qui ne manque pas de mettre en relief les difficultés auxquelles se heurte le secteur automobile et dont le pays ne parvient pas à se débarrasser.

Au début du mois d'avril le groupe américain General Motors a annoncé qu'il augmentait de près de trois fois ses investissements dans la construction d'usines automobiles en Russie. Au lieu des 115 millions annoncés, ce sont 300 millions de dollars que la compagnie investira dans l'unité de production en chantier près de Saint-Pétersbourg. Ce qui va accroître la capacité de l'usine: à partir de 2008 elle sortira annuellement de 70 à 100.000 véhicules au lieu des 25.000 prévus initialement. Pour les managers de la société, même cette productivité n'est pas à même de satisfaire la demande grandissante du marché russe. Effectivement, une conjoncture exceptionnellement favorable s'est créée en Russie pour le business automobile. Et premier lieu avec participation de capitaux étrangers.

Il y a plusieurs raisons à cela. Malheureusement, en matière de qualité les automobiles russes le cèdent aux marques étrangères. Le temps n'est pas loin où sur le plan des prix aussi elles ne pourront plus les concurrencer. L'école technique assez forte qui existait récemment encore dans le pays est à bout de souffle après quinze ans de pénurie d'argent. Aussi l'industrie russe des voitures n'a pratiquement pas d'autre alternative que de se développer en prenant appui sur les développements de l'industrie automobile mondiale.

Dans le même temps des perspectives vraiment fantastiques s'ouvrent en Russie pour les sociétés automobiles. Tel une éponge, le marché absorbe des quantités sans cesse nouvelles de voitures. En 2006, les achats de voitures en Russie se sont chiffrés à un peu plus de deux millions d'unités, soit une progression de 23% par rapport à l'année précédente. Dans le segment des modèles étrangers la progression a été de 65% (un million de véhicules étrangers vendus dans l'année). A titre de comparaison disons que la hausse sur le marché automobile européen n'a été que de 0,7%. Les raisons de cette explosion du marché automobile sont évidentes. Le taux de croissance de l'économie nationale n'est pas inférieur à 5% depuis plusieurs années, ce qui entraîne une hausse des revenus de la population. Ces cinq dernières années les revenus par habitant en Russie augmentent de 8 à 10% l'an. Le développement du crédit à la consommation a amélioré le climat de marché: en trois ans les crédits alloués aux particuliers ont augmenté de plusieurs dizaines de fois. En l'espace de deux ans l'apparition de crédits bon marché a fortement incité les Russes à faire des achats conséquents.

Cette hausse phénoménale de la consommation a fait de la Russie le cinquième plus grand marché automobile d'Europe pour General Motors et le deuxième pour Mitsubishi et Mazda. Tous ces groupes étrangers sans exception revoient à la hausse leurs livraisons de véhicules. Et nombre d'entre eux implantent aussi leurs propres unités de production en Russie. Le ministre russe du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref, a déclaré que d'ici à 2010 de 0,8 à 1 million de véhicules étrangers seraient assemblés chaque année dans le pays et que les investissements étrangers dans le secteur se monteraient à plus de 2 milliards de dollars.

General Motors n'est pas le seul investisseur étranger à développer son activité automobile en Russie. Actuellement huit projets d'assemblage de voitures particulières étrangères avec participation plus ou moins importante de capitaux étrangers sont en cours de réalisation en Russie.

L'usine Ij-Avto, appartenant au holding de constructions mécaniques SOK, sort des petites cylindrées sud-coréennes KIA. L'entreprise TagAZ assemble plusieurs modèles Hyundai. Le projet Avtotor à Kaliningrad coopère avec trois groupes étrangers - General Motors, BMW, Chery - et KIA. La société Severstal-Avto, ancienne filiale de l'aciériste Severstal, a lancé la fabrication de toute une série de modèles Fiat et de 4x4 sud-coréens Ssang Yong. En outre, deux entreprises mixtes tournent en Russie: General Motors-AvtoVaz (Chevrolet) et la société Aftoframos, un projet réalisé par un groupe français et la mairie de Moscou concernant l'assemblage de la voiture à petit budget Renault Logan. Enfin, Ford lui aussi possède une unité de production à proximité de Saint-Pétersbourg. Ce groupe est le premier à avoir décidé de construire une usine en Russie. General Motors construit son usine dans le voisinage de ce vétéran du marché automobile russe.

C'est en 2002 que Ford a commencé à construire des automobiles en Russie. Aujourd'hui Ford est la marque la plus populaire sur le marché russe (en 2006, près de 116.000 voitures de cette marque ont été vendues en Russie). Un succès enviable pour les concurrents. General Motors n'a pas été le seul à suivre l'exemple de Ford. Sept autres usines d'assemblage étrangères ont été mises en chantier par Toyota, Nissan, Volkswagen et la société chinoise Great Wall. Des usines conjointes du russe Avtotor et du chinois Chery, ainsi que le projet Groupe GAZ sortant des véhicules Chrysler entreront très bientôt en service. Deux autres constructeurs automobiles étrangers - Mitsubishi et Peugeot-Citroën - sont en passe de décider de lancer une production en Russie. AvtoVaz, le plus grand producteur russe de véhicules d'origine, négocie avec Renault et Magna la construction à Togliatti de nouveaux ateliers d'assemblage de voitures de marques étrangères.

Dans l'ensemble, les investisseurs sont satisfaits des conditions offertes par le gouvernement aux sociétés envisageant de lancer en Russie la fabrication à grande échelle de véhicules. Un programme d'avantages douaniers pour les sociétés disposées à assembler 25.000 automobiles par an et d'investir pas moins de 100 millions de dollars est en cours de réalisation en Russie depuis 2005. Une seule condition est émise: les cinq années qui suivront le lancement de la chaîne la part des composants russes pour l'assemblage des automobiles devra être supérieure à 30%. Par la suite les mêmes conditions seront appliquées pour les producteurs de composants automobiles. Le processus de concertation du projet à tous les niveaux administratifs ne réclame pas plus d'un an, le parcours ayant été balisé depuis longtemps par les pionniers. De l'avis des entrepreneurs, les tracasseries bureaucratiques et les exactions administratives n'existent pas pour les grands investisseurs opérant en Russie et passant directement par les départements gouvernementaux ou les autorités régionales. Quant aux projets d'envergure, porteurs pour l'image locale, ils peuvent même miser sur une assistance des autorités qui peuvent utiliser des fonds publics pour financer la mise en place de l'infrastructure communale, la voirie et les réseaux divers qui seront connectés au futur ouvrage.

Les investisseurs sont toujours attirés en Russie par le coût peu élevé des ressources et aussi de la main-d'oeuvre. Bien que sur les marchés des matières premières et du travail les prix et les salaires se rapprochent régulièrement de ceux en vigueur en Europe, ils sont toujours compétitifs. En Allemagne, un ouvrier d'une chaîne d'assemblage gagne de 41 à 43 euros de l'heure et de 15 à 35 euros en Belgique, en France et en Italie. Même dans les pays d'Europe orientale le salaire horaire n'est pas inférieur à 7-8 euros. En Russie, même sur les chaînes des marchés du travail les plus concurrentiels - ceux de Moscou et de Saint-Pétersbourg - le salaire horaire se situe au niveau de 3-4 euros. De quoi faire réfléchir les chefs du personnel.

Compte tenu de tous ces avantages, la Russie aurait dû depuis longtemps succéder à l'Europe orientale et devenir la principale chaîne d'assemblage de voitures d'Europe. Mais cela ne s'est pas encore produit. Car si la situation en Russie a pas mal d'aspects positifs, il existe aussi beaucoup d'obstacles au développement de la production automobile. Ainsi, la plupart des projets d'investissement dans le secteur automobile concernent des usines d'assemblage de véhicules. A ce jour les investisseurs étrangers ne vont généralement pas au-delà des investissements dans des chaînes d'assemblage ou des unités de peinture ou de soudage. Aucun groupe automobile étranger n'a lancé ou n'envisage de lancer la fabrication en Russie de boîtes de transmission ou de moteurs dignes des hautes technologies automobiles. Ils sont vraiment peu nombreux des groupes étrangers à considérer la Russie comme une aire de production porteuse en matière d'exportation. Pourquoi?

Ce qui est en cause ici c'est le manque de perspicacité et dans une grande mesure l'incohérence de la politique des autorités dans le secteur automobile. Par exemple, la Russie ne possède pratiquement pas d'unités modernes de production de composants automobiles. La plupart des fabricants russes de pièces détachées travaillent sur la base des standards russes. Ils sont très peu nombreux ceux qui ont rapidement pu obtenir des homologations de qualité et s'adapter aux nouveaux clients étrangers. Depuis quelque temps seulement le régime douanier favorable s'étend aussi aux personnes investissant dans les unités de production de composants, et cela a dopé l'arrivée de groupes étrangers dans le secteur russe des composants pour automobiles.

La politique douanière de l'Etat était tout récemment encore des plus confuses en ce qui concerne les importations de voitures neuves et d'occasion. Pendant longtemps le gouvernement avait hésité sur la marche à suivre concernant les taxes d'importation des modèles étrangers d'occasion: suivre l'exemple de la Chine et les porter à 100-200% du coût du véhicule ou bien répondre au voeu des consommateurs et les laisser à leur niveau. Pour ne pas avoir été stoppée à temps, l'arrivée massive de voitures volant à droite a saturé toute la partie orientale du pays. On avait "joué" sur les taxes tant que les conditions d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ne les avaient pas fixées au niveau "moyen" actuel (25% du coût du véhicule neuf).

La Russie a mis trop de temps à former un climat d'investissement attractif et bienveillant dans le secteur automobile. Certes, celui-ci draine des investissements, mais la Russie ne figure quand même pas parmi les pays de prédilection des investisseurs comme la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Chine où les groupes automobiles internationaux sont disposés à investir des milliards de dollars dans chacun d'eux. Pour l'instant la Russie doit se contenter de quelques centaines de millions.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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