Les armes russes sur le marché algérien

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Par Viktor Litovkine (Revue militaire indépendante) pour RIA Novosti
Par Viktor Litovkine (Revue militaire indépendante) pour RIA Novosti

La visite que M. Poutine a effectuée en 2006 en Algérie a permis à Moscou de faire une percée sensationnelle sur le marché de ce pays. A en croire les agences d'information, le volume des contrats signés dans son cadre a dépassé la barre des 7,5 milliards de dollars. L'Algérie, selon la presse, est devenue le troisième client des industries de défense russes, après la Chine et l'Inde. Et elle pourrait même, dans les années à venir, se hisser à la première place.

En effet, la liste des armements et des matériels de défense que l'Algérie entend acheter à la Russie est impressionnante. Ce sont des chasseurs polyvalents - 36 MiG-29SMT légers, 28 Su-30MKA lourds et 16 avions d'entraînement et de combat Yak-130, 8 systèmes de missiles sol-air S-300PMU2 Favorit, 30 systèmes de missiles sol-air Toungouska-M1 et plusieurs dizaines de chars T-90S. On prévoit en outre que des entreprises russes moderniseront 36 chasseurs MiG-29 qui équipent déjà l'armée de l'air algérienne, lui livreront différents missiles de stationnement aérien et des équipements d'aérodrome et formeront des pilotes de chasse et des spécialistes de l'entretien des systèmes d'aviation et au sol.

Il est également prévu que les experts russes modernisent et perfectionnent près de 500 chars T-72 vendus à l'Algérie dans les années 1980, deux sous-marins diesel de type 877EKM et deux corvettes. En plus de tout cela, Moscou vendra à Alger des systèmes de missiles antichars Metis et Korvet, des armes d'infanterie et des armes spéciales destinées à la lutte antiterroriste.

Evidemment, ces armes ne feront pas l'objet d'une vente exceptionnelle, les contrats signés devant être échelonnés sur plusieurs années (la presse parle d'une période de quatre ans). D'ailleurs, la Russie n'a pas, dans ses entrepôts, autant de matériels en stock. Par exemple, le Yak-130, avion d'entraînement et de combat conçu récemment, n'en est qu'au stade final des essais et il commencera à équiper l'armée russe fin 2007 seulement. Ce qui veut dire qu'il ne pourra se retrouver en Algérie qu'en 2008 au plus tôt. Et aussi à la condition que l'Algérie commence à amortir sa dette envers la Russie qui s'élève à 4,7 milliards de dollars.

Mais "amortir" n'est pas le mot. Officiellement, dans le cadre du Club de Paris, la Russie a "épongé" la dette algérienne. Il est vrai, avec une petite condition: l'Algérie, pour s'en débarrasser définitivement, devra acheter à la Russie des marchandises de haute technicité. A elle de choisir. Eh bien, Alger a choisi le matériel militaire. Les livraisons de chasseurs, de batteries antiaériennes et de chars commenceront dès que Moscou recevra de l'argent liquide.

Et l'Algérie en a, et en grande quantité. le pays achète des armes et des équipements de sécurité à de nombreux pays. A leur nombre, la Grande-Bretagne, l'Inde, l'Egypte, la Turquie, l'Afrique du Sud, le Japon et la Chine. Cette dernière a, par exemple, construit en Algérie deux usines produisant la version chinoise des Kalachnikov.

L'Algérie est bien un client solvable car elle arrive en septième position mondiale pour les réserves de gaz - près de 5.000 milliards de mètres cubes - et occupe la quatrième place dans le monde - après la Russie, le Canada et la Norvège - pour ses exportations gazières de 60 milliards de mètres cubes par an. Les réserves de pétrole algériennes dépassent 13 milliards de barils (14e place mondiale). Fin 2003, les positions pétrolières du pays se sont encore renforcées, après la découverte de nouveaux gisements riches. Les revenus pétroliers représentent 60% des recettes de l'Etat, 30% du PIB et 95% des revenus des exportations algériennes. En 2003, British Petroleum a réussi à constituer une joint-venture avec la société publique algérienne Sonatrach. Tous les jours, l'Algérie vend à la Grande-Bretagne 14 millions de mètres cubes de gaz. Londres a signé un contrat portant sur la livraison de 3,3 millions de tonnes de gaz liquéfié algérien pour les vingt ans à venir.

Mais l'Algérie ne livre pas son gaz qu'à la Grande-Bretagne. Des conduites transportent du gaz algérien vers l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Tunisie et la Slovénie. Liquéfié, il est vendu à la France, aux Etats-Unis, à la Turquie, à la Belgique et même à la Corée du Sud (cette dernière importe exclusivement du gaz liquéfié).

Le russe Gazprom étudie depuis longtemps la possibilité de construire un nouveau gazoduc Algérie-Italie-Balkans qui permettrait de "boucler" le circuit gazier avec la Turquie, d'équilibrer la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Norvège et d'alléger la surcharge des réseaux de distribution russes. A présent, après la signature des contrats d'armements entre Moscou et Alger, cette perspective se dessine encore plus nettement. Tout comme celle de la participation d'entreprises russes à l'exploitation des gisements de pétrole et de gaz algériens.

Mais, à en croire Sergueï Tchemezov, président de Rosoboronexport, le monopole russe des exportations d'armes, la part de la société qu'il dirige dans les échanges russes avec l'Algérie s'élève à 90%, le reste, ou peu s'en faut, étant assuré par les exploitants de gisements et producteurs d'hydrocarbures. Mais tout cela n'est qu'un début. On voudrait croire qu'au fur et à mesure de la mise en service de nouveaux gisements, le rapport entre les armements et l'énergie changera en faveur de cette dernière. Mais à une seule condition.

Condition qui n'est malheureusement que trop connue de tous.

L'Algérie est le théâtre d'une lutte acharnée contre les terroristes et les extrémistes religieux. Il n'y a pas longtemps, le 11 avril, un groupe islamiste local qui se positionne comme une "cellule d'Al-Qaïda du Maghreb islamique", a porté un coup monstrueux dans un quartier central d'Alger, devant un édifice gouvernemental et la résidence du premier ministre, à la périphérie est de la ville. Ces explosions ont fait 33 morts et 222 blessés. Avant cette vague de violence, les islamistes avaient déjà attaqué des écoles, des exploitations gazières et des usines de transformation de gaz employant des ingénieurs et des techniciens étrangers, en faisant sauter des autocars et en tirant sur des voitures. Des Russes ont été parmi les victimes de ces attaques.

Travailler dans une telle situation, aider le pays à mettre en valeur ses ressources énergétiques et à les vendre à d'autres pays, notamment pour payer les importations d'armes, n'est pas une tâche aisée, notamment sur le plan de la sécurité. Mais, tout compte fait, le marché algérien des armes et des matériels de défense devient, dans ce cas-là, non seulement une "entreprise" au développement de laquelle sont sans doute intéressés tous les pays producteurs d'armes modernes, mais aussi un "front uni" de la lutte contre le terrorisme international.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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