Bilan et conséquences du sommet Russie-UE

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Par Dmitri Danilov, chercheur à l'Institut de l'Europe, en exclusivité pour RIA Novosti
Par Dmitri Danilov, chercheur à l'Institut de l'Europe, en exclusivité pour RIA Novosti

Pour le président russe Vladimir Poutine, les rencontres au sommet organisées entre la Russie et l'Union européenne jouent un rôle de premier plan dans l'adoption des "décisions stratégiques à long terme". Les participants à la rencontre de Samara ne cachaient pas que beaucoup de problèmes s'étaient accumulés dans leurs relations et que leurs avis étaient partagés sur nombre de questions aiguës.

Si les parties sont parvenues cette fois à calmer les tensions, l'avenir n'en demeure pas moins incertain. Car l'image de la Russie contemporaine en Europe est très négative, et elle ne peut pas changer en peu de temps. L'administration russe est également fatiguée de rejeter les critiques occidentales qui l'exaspèrent. D'où les tentatives du Kremlin de trouver un terrain d'entente dans le débat axiologique, mais aussi d'avancer des reproches réciproques pour faire comprendre aux Occidentaux que la démocratie pure n'existe pas. Peut-être faut-il en effet séparer le bon grain de l'ivraie et privilégier les intérêts d'une coopération pragmatique? Peut-être Vladimir Poutine a-t-il raison d'affirmer que les valeurs "morales" de l'Union européenne n'entravaient pas le partenariat stratégique de celle-ci avec certains autres pays aux valeurs nettement différentes, les Etats-Unis par exemple? Mais, premièrement, les préoccupations européennes face à la Russie ne sont pas liées à des problèmes de démocratisation, elles s'expliquent par la conviction croissante que la Russie évolue dans une mauvaise direction, voire à reculons. Deuxièmement, la coopération pragmatique est dans tous les cas limitée par des divergences de principe, et elle revêtira donc un caractère de partenariat forcé, jamais stratégique. Admettons que la Pologne lève son veto sur le lancement des négociations autour d'un nouvel accord de coopération Russie-UE. Seulement qui croirait que Varsovie et Moscou se considéreront un jour comme des partenaires stratégiques? Car la chancelière allemande Angela Merkel, qui assume la présidence tournante de l'UE, et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso ont nettement fait valoir la thèse de la solidarité européenne. Lors du sommet de Samara, ils ont souligné que l'UE était composée de 27 membres égaux en droits et que tout problème de la Pologne, de l'Estonie ou de la Lituanie était aussi le problème des Vingt-Sept. Si cela est le cas, la Russie devrait avoir une perception similaire de l'Union européenne. Par conséquent, l'agenda négatif des contacts entre la Russie et plusieurs novices européens appuyés par la solidarité européenne devient un élément incontournable des relations russo-européennes.

Moscou a toujours intérêt à négocier le nouvel accord de partenariat Russie-UE. Il préférerait sans doute débloquer l'ouverture des pourparlers sous la présidence allemande pour intensifier le partenariat Russie-UE tout en soutenant l'Allemagne en qualité de partenaire prioritaire. Mais cette initiative a très peu de chances d'aboutir, car Berlin n'a toujours pas trouvé de terrain d'entente avec Varsovie qui continue d'insister sur la levée de l'embargo russe frappant les fournitures de viande polonaises. Le sommet de Samara a clairement démontré que l'Union européenne soutenait la Pologne et que celle-ci était prête à continuer de porter haut la bannière du veto. L'Estonie et la Lituanie avaient de même appelé à adopter des sanctions communes à l'encontre de la Russie, voire à annuler le sommet. Ainsi, l'Union européenne compte assez de candidats disposés à suivre l'exemple polonais pour faire front commun contre un réel partenariat stratégique avec la Russie. Les partisans du partenariat, tels que l'Allemagne, ont beaucoup de mal à faire pression sur leurs alliés irréconciliables de l'UE. Quand l'unité sur le Traité constitutionnel européen et l'avenir même de l'UE sont en jeu, la "solidarité" avec les nouveaux pays membres devient incontournable.

Le fait que la chancelière Angela Merkel ait déposé "certaines propositions" pour régler le dossier de la viande polonaise ne suscite guère l'optimisme. Si la Russie les a acceptées et se dit prête à les étudier, on ne sait pas si ce travail sera long et s'il satisfera Varsovie et Bruxelles. Même en cas d'issue favorable, l'ouverture des pourparlers ne signifie pas qu'ils seront rapidement couronnés de succès, alors que l'enthousiasme de Moscou a toutes les chances de diminuer après le passage de la présidence tournante de l'UE au Portugal, puis à la Slovénie.

Enfin, faut-il se dépêcher du moment que la Russie entre prochainement à l'Organisation mondiale du commerce, ce qui modifie nettement le cadre juridique de son partenariat avec l'UE? Pour le représentant permanent de la Russie auprès des Communautés européennes, Vladimir Tchijov, un tiers de l'accord de partenariat et de coopération en vigueur pourrait alors être "jeté à la poubelle". Le renouvellement automatique du texte, qui ne correspond plus aux intérêts du partenariat Russie-UE, perd tout son sens pratique, une fois le texte tronqué. Et si la Russie continuait à rechercher du sens ailleurs? Si elle maintenait le cadre juridique de ses relations avec l'Union européenne qui reposeront sur une base pragmatique, au lieu d'avoir pour assise un cadre législatif plus solide? Ce scénario n'est pas à l'étude pour l'instant. Derrière le décor politico-diplomatique du sommet de Samara, on peut toutefois bien imaginer un tel développement de la situation.

La Russie a déjà renoncé à ratifier la Charte de l'énergie. A la veille du sommet, le conseiller du Kremlin, Sergueï Iastrjembski, a souligné que cette question était "réglée une fois pour toutes". "La Charte de l'énergie va à l'encontre de nos intérêts", a-t-il souligné. Et d'ajouter que la Russie est prête à "élargir la coopération en matière d'exploitation des gisements du pétrole et du gaz, si celle-ci se déroule avec Gazprom et aux conditions russes". En ouvrant les négociations avec l'UE, Moscou pourrait adopter une tactique similaire en défendant fermement ses positions face aux négociateurs bruxellois. Seul un vaste accord politique peut être signé relativement vite, mais le débat autour des ententes sectorielles concrètes risque de s'éterniser. Même en comptant sur l'issue heureuse des négociations, Moscou devrait être suffisamment convaincu que le processus de ratification du nouvel accord dans les pays de l'UE sera couronné de succès. Or, le sommet de Samara a prouvé le contraire. La signature de l'accord de partenariat et de coopération en vigueur avait également été précédée de multiples difficultés, alors que sa ratification avait pris trois ans et demi. Le sort qu'a connu la version adoptée du Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), que les partenaires de la Russie n'ont toujours pas ratifié et dont la Russie pourrait suspendre l'application, pousse Moscou à remettre en cause l'utilité des documents de ce type. Il ne faut pas oublier que l'Europe et la Russie assistent à une rotation du pouvoir. Il est logique de supposer que Nicolas Sarkozy, par exemple, n'ait pas besoin de rechercher de liens solides avec Vladimir Poutine, surtout dans le contexte des critiques auxquelles ce dernier est exposé au sein de la communauté occidentale. Ainsi, une nouvelle page du partenariat Russie-UE pourrait être tournée sous le prochain président russe.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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