La Turquie s'essaie au rôle de leader caucasien

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Par Piotr Gontcharov, RIA Novosti
Par Piotr Gontcharov, RIA Novosti

La Turquie n'a pas peur de s'essayer au rôle de leader régional de tout le Caucase. La visite à Moscou de son premier ministre Recep Tayyip Erdogan, effectuée dans le contexte exceptionnel de la situation en Ossétie du Sud, est loin de s'être réduite à la recherche de moyens de régler le conflit.

Se rendant de Moscou à Tbilissi, Recep Tayyip Erdogan y a apporté l'initiative de créer un Pacte de paix en vue de maintenir la stabilité dans le Caucase. Ce "pacte" se présente comme un analogue de l'OSCE au niveau de la région. Selon le premier ministre turc, cette initiative a été soutenue par Moscou et Tbilissi. La semaine prochaine, il se rendra en Azerbaïdjan. Il ne fait pas de doute que son initiative trouvera une compréhension totale à Bakou.

Il convient d'ajouter que des tendances à l'amélioration des rapports entre Ankara et l'Arménie sont également observées. C'est probablement l'argument majeur en faveur de la paternité de la Turquie en ce qui concerne la création de ce Pacte de paix dans le Caucase. Il ne manque que l'Iran, qu'il est difficile de laisser, qu'on le veuille on non, en dehors de la région caucasienne.

En fait, la position occupée actuellement par Ankara sur le dossier iranien est loin d'être passive. D'ailleurs, elle diffère de celles des pays européens qui participent au règlement de cette question, ainsi que de celle des Etats-Unis. Elle ressemble à bien des égards à la position de la Russie, à cela près qu'elle tient compte de la Maison Blanche et de l'Occident. La visite effectuée les 14 et 15 août par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à Istanbul, juste avant le départ d'Erdogan pour Moscou et Tbilissi, en est probablement une nouvelle confirmation.

De toute l'histoire des rapports bilatéraux irano-turcs, la période 1925-1979 est sans doute la plus stable. Le début en avait été marqué par Reza Shah Pahlavi, arrivé au pouvoir en 1925, et qui fut vivement impressionné par les réformes de Kemal Atatürk, fondateur de la République turque. Mais, après la révolution islamique de 1979 en Iran, qui renversa la dynastie des Pahlavi, les rapports entre les deux pays se détériorèrent, en premier lieu en raison de la doctrine de l'ayatollah Khomeini, fondateur de la République islamique, qui prévoyait l'exportation de la révolution islamique dans les autres pays musulmans. Pour des raisons compréhensibles, le régime laïc turc avait considéré cette doctrine, et l'Iran lui-même, avec appréhension.

Des signes de stabilisation des rapports avaient commencé à se manifester sous le président-réformateur iranien Mohammad Khatami entre 1997 et 2005. Qui plus est, sa présidence avait coïncidé avec l'arrivée au pouvoir du parti islamique AKP (Parti de la justice et du développement) en Turquie.

D'une part, un président libéral et, de l'autre, le renforcement des traditions et de la culture islamiques dans la société turque avaient poussé Téhéran et Ankara à rapprocher leurs positions sur les problèmes régionaux. D'autant que les intérêts des deux parties sont presque semblables sur plusieurs d'entre eux. Par exemple, en ce qui concerne le problème kurde, l'Iran et la Turquie se trouvent sur une même longueur d'ondes, excluant toute forme d'Etat kurde.

Mais à présent, Téhéran et Ankara n'ont probablement pas l'intention de se contenter de la coïncidence de leurs approches politiques sur les problèmes du Proche-Orient. Les intérêts économiques des Etats s'avancent de plus en plus nettement au premier plan.

Le secteur du gaz est, semble-t-il, le plus prometteur pour les deux pays. L'Iran possède d'immenses réserves gazières (deuxième place après la Russie), la Turquie offre la possibilité exceptionnelle de transporter le combustible bleu en Europe. D'autant que l'intéressement mutuel des parties à la coopération dans le domaine du gaz s'accroît, car le projet Nabucco qui a fait tant de bruit piétine.

D'ailleurs, l'Europe voudrait également recevoir via la Turquie du gaz iranien, comme alternative au gaz russe, ce qui est, en fait, l'objectif poursuivi par le gazoduc de Nabucco. Un Mémorandum d'intentions sur le transport du gaz iranien et turkmène par le territoire de l'Iran et de la Turquie vers l'Europe a été signé il y a un peu plus d'un an. La Turquie et l'Iran se sont même entendus pour créer une coentreprise pour le transport de ce gaz. Mais il a suffi que les Etats-Unis voient d'un mauvais oeil les transactions de ce genre entre les deux pays pour qu'Ankara revienne à une vague position d'expectative.

Le problème de la construction du gazoduc ne figurait pas officiellement au nombre des points prioritaires du programme de la visite de Mahmoud Ahmadinejad en Turquie. Comme cela a été expliqué à l'opinion publique, les négociations devaient porter, pour l'essentiel, sur la situation autour du programme nucléaire iranien et les rapports bilatéraux. Mais cette explication était destinée à l'opinion publique.

Au terme des négociations intergouvernementales, les parties ont signé plusieurs documents d'ordre général. Mais, comme l'ont souligné les commentateurs, elles n'ont pas réussi à tomber d'accord sur l'essentiel: la construction d'un nouveau gazoduc. Par réflexe, Ankara a de nouveau consulté la Maison Blanche, qui n'a une fois encore pas donné le feu vert.

D'ailleurs, plusieurs experts turcs restent sceptiques quant aux démarches de leur pays concernant le secteur gazier iranien. D'après eux, tant que l'Iran se trouvera dans la zone du "régime des sanctions américaines", tous les investissements de la Turquie dans le secteur iranien du pétrole et du gaz seront réglementés discrètement par l'Europe, et bloqués par la Maison Blanche. On peut comprendre la Turquie, car elle est un membre incontestable de l'OTAN, sa réputation au Proche-Orient est irréprochable et elle est depuis longtemps candidat à l'admission à l'UE.

A propos, du point de vue des Européens ou des Américains, le rôle de leader de ce Pacte de paix dans le Caucase lui conviendrait parfaitement, compte tenu de ses états de service. Le seul point qui donne à réfléchir est son habitude de demander l'avis de la Maison Blanche. C'est pourquoi l'attitude du Caucase envers un potentiel leader turc sera probablement partagée.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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