Problèmes en Géorgie? La faute incombe à Staline

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Par Bessik Pipia, RIA Novosti (Tbilissi)
Par Bessik Pipia, RIA Novosti (Tbilissi)

Le cabinet des ministres géorgien a avancé vendredi dernier l'idée de démanteler le monument à Joseph Staline (Djougachvili de son vrai nom), le seul dans le pays, qui se dresse à Gori, la ville natale du dictateur.

Le premier vice-premier ministre Gueorgui Baramidze a déclaré lors de la réunion du gouvernement que ce fait était indigne du "peuple héroïque de Gori", qui avait combattu cet été "l'empire construit par Staline, Géorgien d'origine".

...Après la condamnation du culte de la personnalité du "petit père des peuples" en 1956, les statues de Staline furent supprimées dans l'ensemble de l'Etat soviétique, excepté à Tbilissi. Les habitants veillèrent sur le monument 24 heures sur 24, prêts à le défendre quoi qu'il arrive. Afin de s'acquitter de la tâche que leur avait assignée Moscou, les autorités tbilissiennes durent trouver une "ruse de guerre": une "alerte nucléaire aérienne" fut lancée dans la ville. A l'époque de la guerre froide, tout le monde était psychologiquement prêt à ce genre de situation. Une fois les rues désertes, et les citadins, qui s'étaient entraînés lors de cours de préparation militaire, cachés dans les abris antiaériens, les trois statues de Staline furent démantelées à l'aide d'hélicoptères.

Quand l'alerte aérienne prit fin, les Tbilissiens sortirent à nouveau dans la rue pour y trouver les monuments au "Grand Géorgien" renversés. Des manifestations spontanées furent organisées, plusieurs milliers de personnes se rassemblèrent sur l'avenue centrale de la ville pour défendre la mémoire de leur compatriote Joseph Staline. Une lettre à l'ONU fut rédigée pour demander aux Nations unies de reconnaître l'indépendance de la Géorgie qui souhaitait se retirer de l'URSS.

Les autorités exigèrent que les manifestants se dispersent. Ceux-ci refusèrent d'obtempérer, et les troupes de la région militaire de Transcaucasie ouvrirent alors le feu sur les rebelles. Environ 150 personnes furent tuées. Les cadavres gisaient par terre tandis que d'autres flottaient dans la rivière Koura. Les corps furent ensuite enterrés en cachette, en l'absence des proches. Le lendemain, les journaux publièrent de courts entrefilets évoquant quelques désordres à Tbilissi provoqués "par des complots nationalistes soutenus depuis l'étranger". L'incident de Tbilissi fut dans une grande mesure éclipsé par les événements de 1956 en Hongrie.

Le seul monument au "petit père des peuples" qui survécut à cette période existe toujours. Il se dresse dans la ville de Gori, où Staline passa son enfance et son adolescence. La statue fut fabriquée en 1953 dans une usine de Leningrad. Elle devait être érigée dans cette même ville, dans le parc de la Victoire, sur l'avenue qui portait à l'époque le nom de Staline. Mais comme le dictateur mourut cette même année, le monument fut finalement envoyé dans sa ville natale.

Le "petit père des peuples", vêtu d'un uniforme militaire, se dresse depuis plus d'un demi-siècle sur un immense piédestal. On vient de remarquer que ses yeux, qui ont vue sur tout, sont tournés vers... Tskhinvali. Ce monument fut à nouveau sauvé pendant la période de démantèlement massif des statues représentant le "tyran" à la fin des années 1950, mais aussi en 1989-1991, lorsqu'on détruisait les monuments érigés en l'honneur des organisateurs de la Révolution d'octobre 1917 et de leurs successeurs. Les combattants pour l'indépendance de la Géorgie firent alors refondre les statues de Vladimir Lénine, Sergueï Kirov, Félix Dzerjinski, Karl Marx, Sergo Ordjonikidze... Les habitants de Gori, armés de matraques, de barres de fer et même de fusils empêchèrent les autorités de toucher à la statue de Staline, qui avait "fait la gloire mondiale de la petite ville de Gori".

La majorité des Géorgiens ont toujours été fiers de leur grand compatriote, qui fait partie de la liste des cent plus grandes personnalités de tous les temps et de tous les peuples. Ils n'ont jamais apprécié d'entendre des critiques à l'égard de Staline mais aimaient, en revanche, à citer les propos de Winston Churchill qui disait que Staline avait hérité d'une Russie avec une charrue et l'avait laissée avec l'arme atomique.

Mais soudain, Staline a été proclamé ennemi du peuple géorgien, et de surcroît responsable et organisateur de "l'opération de contrainte à la paix" de l'été 2008 en Géorgie. Voici comment on raconte cette histoire: en 1918-1920, durant les trois années d'existence de la première République démocratique indépendante de Géorgie, les Ossètes de Géorgie, incités par Staline, s'insurgèrent à trois reprises contre le gouvernement social-démocrate, envahirent la ville de Tskhinvali et proclamèrent le pouvoir des Soviets. (A propos, Tskhinvali signifie en géorgien "la terre des charmes [carpinus, un genre d'arbres]", et quant à la signification du toponyme "Tskhinval" [appellation préconisée par l'Ossétie du Sud indépendante - ndlr.], celle-ci n'a pas encore été expliquée par les scientifiques, mais on dit que le père de l'indépendance sud-ossète, Edouard Kokoïty, possèderait la clé de ce mystère). Après la conquête de la République démocratique de Géorgie par l'Armée rouge, en signe de reconnaissance envers les Ossètes, le camarade Staline instaura en Géorgie, en 1922, une Région autonome sud-ossète. Les Ossètes, pour leur part, remercièrent Staline en rebaptisant en son honneur la capitale de cette région Staliniri. La ville porta ce nom jusqu'à la condamnation du culte de la personnalité.

Nombreux sont les Géorgiens qui continuent d'estimer que le problème sud-ossète ne serait jamais apparu sans Staline. Et rien que pour cela, il n'aurait jamais dû être mis au monde. Cela revient à dire que c'est la mère du dictateur, Ekaterina (Keke) Gueladze, qui porte la responsabilité de la perte par la Géorgie d'une partie de son territoire. Cette femme mourut en 1937 et, pour avoir "mis au monde un grand fils", elle eut l'honneur d'être enterrée au panthéon Mtatsminda [des écrivains et personnalités géorgiennes], non loin de la tombe du grand dramaturge et diplomate russe Alexandre Griboïedov. Aujourd'hui, elle est accusée d'avoir donné naissance à un "fils de chien", et sa dépouille est menacée d'évacuation. Guigui Bokeria, considéré comme la "main droite" de Mikhaïl Saakachvili, et qui occupe actuellement le poste de vice-ministre géorgien des Affaires étrangères, a déclaré que la mère de Staline n'avait aucun mérite aux yeux de la Géorgie et qu'elle devait, par conséquent, être enterrée dans un cimetière ordinaire.

La statue de Staline que l'on envisage de démanteler devrait être envoyée au Musée de l'occupation russe au XXIe siècle qui est en train d'être créé. Un Musée de l'occupation soviétique a ouvert ses portes à Tbilissi il y a quelques années. Il est devenu un lieu de visite obligatoire pour les délégations étrangères officielles qui arrivent dans la capitale géorgienne. Vladimir Poutine avait proposé de le rebaptiser "Musée de l'occupation géorgienne", car durant l'époque soviétique, l'URSS fut dirigée pendant plusieurs décennies par des ressortissants géorgiens: Joseph Staline, Lavrenti Beria, Sergo Ordjonikidze, Avel Enoukidze, Edouard Chevardnadze...

Les autorités géorgiennes envisagent de réaliser une sculpture en pierre et en bronze afin d'immortaliser "la guerre entre la Russie et la Géorgie". Les hôtes qui se rendent à Tbilissi devraient bientôt être accueillis sur l'avenue George W. Bush par un grandiose "Mémorial aux victimes du génocide et du nettoyage ethnique perpétrés par la Russie contre les Géorgiens". Un manuel scolaire consacré à ce thème est en cours de conception, la discipline sera enseignée dès la première année à l'école.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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