Russie-UE: il y a du gaz dans l'air à Nice

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Le plus grand succès du 22e sommet UE-Russie dans la Riviera française n'est autre que son grand symbolisme. C'est très important pour la diplomatie. La rencontre de Nice a été surtout symbolique, car on connaissait déjà plus ou moins tout ce qui allait s'y passer. Au cours du sommet précédent à Khanty-Mansiïsk, fin juin, la Russie et l'Union européenne avaient commencé à progresser, petit à petit, vers l'édification d'un nouveau partenariat et d'une nouvelle coopération, mais fin septembre, l'Europe a gelé ce processus à la suite de la "guerre caucasienne". Ceci n'a cependant pas trop influé sur la Russie. Le résultat a plutôt été contraire. La réunion de Nice a marqué le renouvellement du dialogue de partenariat sur le nouvel accord de coopération (le précédent ayant expiré en décembre 2007).

Mais à présent, il semblerait que l'on mise de plus en plus dans les négociations, notamment en matière de gaz. Car, d'où que vienne le vent à Nice, il sent le gaz, mais aussi le pétrole, le charbon, avec quelques effluves d'électricité (qui d'habitude n'a pas d'odeur). Bref, si la composante énergétique de la coopération russo-européenne avait une odeur, la Nice du 14 novembre 2008 aurait eu cette odeur.

Il y planait en outre un parfum amer de crise financière mondiale, car pour de nombreux participants au sommet, Nice était une escale avant le sommet du G20 à Washington, le 15 novembre. Les parties se sont mises d'accord sur leurs positions, qui en somme sont assez proches, bien que Moscou souhaite aller beaucoup plus loin que Bruxelles dans la réforme du système financier mondial et des institutions financières comme la Banque mondiale et le FMI.

L'idée d'une nouvelle architecture de la sécurité européenne présentée à Nice par le président russe, Dmitri Medvedev, n'a pas constitué le thème principal du sommet, pour cette simple raison qu'elle n'a pas encore été détaillée, mais présentée en tant que sujet de réflexion pour l'Europe. Qui plus est, l'examen du système de sécurité en Europe ou dans la région euro-atlantique est impossible sans la participation des Etats-Unis. Le président français, Nicolas Sarkozy, a approuvé l'idée de Dmitri Medvedev d'organiser en février prochain un sommet analogue à celui de Washington, mais cette fois-ci avec la participation du président Obama. Il a également soutenu la proposition de M. Medvedev d'organiser en 2009 une conférence sur la sécurité européenne.

L'examen de la Géorgie, de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie a permis de répéter des positions déjà connues: l'Europe défend la souveraineté de la Géorgie et préconise la sécurité de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie; la Russie, quant à elle, partage cette position mais prône en outre l'indépendance de ces deux dernières républiques.

Toutefois, les choses les plus intéressantes se sont déroulées "sur les champs gaziers et énergétiques" de Nice. Les discussions qui y ont eu lieu montrent clairement quels seront les principaux problèmes dans les négociations entre la Russie et l'Europe sur le nouvel accord de partenariat. Le premier ministre russe Vladimir Poutine avait absolument raison en prononçant, deux jours avant le sommet de Nice (lors de sa rencontre avec le chef du gouvernement finlandais à Moscou), une phrase qui a d'abord rendu les experts perplexes. "L'Europe doit décider si elle a besoin ou non de ce gazoduc (le Nord Stream passant sous la mer Baltique). Si elle n'en a pas besoin, nous construirons des usines de liquéfaction visant le marché mondial, y compris européen. Mais cela vous reviendra plus cher", a-t-il dit, non sans irritation. La construction du Nord Stream, qui devrait être achevée d'ici 2011, est évaluée à 7,4 milliards d'euros mais sera encore plus coûteuse, compte tenu de la crise financière.

Ces propos étaient particulièrement opportuns à la veille de la rencontre de Nice, où la Commission européenne a rendu public un plan stratégique pour la sécurité énergétique de l'UE jusqu'en 2030.

Le plan comporte six points principaux. On peut négliger les dispositions portant sur la création d'un super-réseau énergétique reliant les éoliennes de la mer du Nord et rassemblant les différents réseaux électriques, censé "saturer" en électricité l'ensemble de l'Europe, de Lisbonne à Vilnius. Même les experts de l'UE concèdent que la puissance des vents de l'Atlantique peut suffire pour un tel système, mais que l'Europe n'a pas la possibilité de les exploiter. 2.000 milliards d'euros devront être accordés à la mise en oeuvre de ce plan d'ici 2030, ce qui est certes difficile à faire dans les conditions actuelles, mais potentiellement réalisable.

Les trois points principaux du plan visent uniquement à réduire la dépendance envers la Russie. L'Europe s'est déclarée prête à:

a) développer le couloir sud des livraisons de gaz en provenance de la mer Caspienne et du Proche-Orient vers l'UE;

b) établir des rapports étroits entre l'UE et les pays méditerranéens en vue d'en importer du gaz et de l'électricité;

c) ouvrir des directions supplémentaires nord-sud pour le transport de gaz vers l'Europe centrale et orientale.

Par le "couloir sud", on sous-entend les livraisons de gaz provenant directement du Turkménistan et du Kazakhstan, mais aussi d'Azerbaïdjan. Bruxelles envisage de construire à ces fins un nouveau gazoduc passant par la Caspienne, la Turquie et les Balkans et allant vers l'Autriche. Ce pipeline devrait être achevé d'ici 2013. L'Union européenne a déjà entamé le processus "d'ouverture du Turkménistan", avec lequel les relations avaient été complètement gelées jusqu'à la mort de Saparmourat Niazov, dont le régime était qualifié de "dictature gazière" par Bruxelles. Le 2 décembre, la Commission européenne lancera la procédure d'approbation de l'accord commercial transitoire avec le Turkménistan, qui permettra de lui acheter du gaz sans intermédiaires. Bruxelles a prévu de former l'année prochaine un puissant consortium réunissant cinq ou six compagnies européennes pour acheter du gaz du "bassin caspien". La Caspian Development Corporation (CDC) devra se charger de l'achat, du transport et de la vente de gaz ainsi que de la création d'infrastructures pour les livraisons. Son objectif sera de porter les volumes annuels d'achats de gaz via le CDC à 60-120 milliards de mètres cubes, ce qui représente entre 12 et 25% du gaz consommé en Europe à l'heure actuelle.

La partie méditerranéenne du plan prévoit en premier lieu d'élargir la coopération gazière et pétrolière avec la Libye, mais n'exclut pas une coopération avec l'Irak, dans un avenir lointain. Par les "directions supplémentaires nord-sud" on sous-entend la connexion des pays baltes aux gazoducs norvégiens et méditerranéens.

Aujourd'hui, selon la Commission européenne, 42% du gaz, un tiers du pétrole et un quart du charbon consommés dans les pays de l'UE sont importés de Russie. D'après les estimations de Bruxelles, l'Europe dépendra presque totalement des importations de gaz d'ici 2030. Elle devra acheter à l'étranger 84% du gaz qu'elle consomme, contre 61% à l'heure actuelle.

A en croire le document, l'UE est même prête à inviter la Russie à "utiliser le futur gazoduc caspien", sans pour autant préciser les conditions de cette coopération. Selon la Russie, la construction de ce pipeline n'est pas rentable car elle se fonde sur des motifs purement politiques et non sur des besoins économiques. Et c'est la vérité.

Le dernier argument de l'UE est très révélateur. C'est avant tout l'Europe qui a besoin d'un nouvel accord de partenariat et de coopération, pour pouvoir réglementer strictement le volet énergétique des relations Russie-UE, en précisant qui, à qui, combien, à quelles conditions et sur quel marché on peut acheter, vendre et transporter du gaz, du pétrole, de l'énergie. L'accord qui a expiré en 2007 ne comportait aucune disposition réglementant ces questions. Il est évident que transporter vers l'Europe du gaz de Libye sera beaucoup plus onéreux que d'en importer de Russie. Le Turkménistan, lui, est encore lié par des accords avec Moscou conformément auxquels son gaz doit être transporté par les conduites de Gazprom. C'est pourquoi l'UE peine à convaincre en donnant à entendre qu'elle pourra, "au cas où", se passer de la Russie. Or, il y aura désormais sans doute encore plus de discussions dans le volet énergétique du partenariat entre Moscou et Bruxelles.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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