L'Inde face au terrorisme: se doter d'une stratégie efficace

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

Le schéma de ce qui s'est passé dans la ville-clef indienne de Mumbai (anciennement Bombay) est à peu près clair : un méga acte de terrorisme perpétré par un groupe de kamikazes plus nombreux qu'à l'habitude et bien entraînés. Il avait pour sens et pour but immédiats de réaliser une démonstration de force, de semer la terreur, de démoraliser les autorités et la société indiennes. Cet attentat a été conçu concrètement selon le schéma de la guérilla urbaine, plusieurs cibles ayant été attaquées simultanément. Il est donc clair qu'il était fait pour réussir dans un premier temps, même si la plupart des assaillants étaient d'avance condamnés à périr ou à être fait prisonniers dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures suivantes. Les organisateurs comprenaient, naturellement, que leur organisation des Moudjahiddines du Deccan (les Moudjahiddines indiens), encore inconnue hors de l'Inde, allait rapidement devenir plus visible, que le nom d'un nouveau Ben Laden serait révélé au monde. C'était également dans leurs intentions.

Le choix des cibles est clair : il s'agit des sites les plus connus de cette ville célèbre dans le monde entier, comme si on feuilletait un dépliant touristique. La gare, l'ancien Terminus Victoria, est un chef d'oeuvre de l'architecture coloniale, qui fait penser tout à la fois à une imposante cathédrale catholique, au Palais des Doges de Venise et à tout ce que l'on veut. Des palaces des plus luxueux, le Taj Mahal étant l'un des plus cotés au monde. Plus généralement, une ville de quinze millions d'habitants qui brasse tous les peuples et religions, y compris des adeptes du zoroastrisme, le principal centre financier de l'Inde, en un certain sens plus important pour le pays que la capitale New Delhi. Le choix de cette ville est donc clair.

D'autant plus que ce méga attentat ne peut paraître inattendu et exceptionnel qu'à ceux qui ne suivent guère les événements en Inde. Depuis le mois de mai, une vague d'explosions secoue des lieux fréquentés. La riposte policière est assez efficace. L'organisation qui a revendiqué les attaques contre Mumbai avait prévenu, dès le mois de septembre, qu'elle se vengerait des raids menés avec succès dans cette ville par les unités antiterroristes.

Le nombre de victimes (plus de cent à l'heure où ces lignes sont écrites) ne constitue pas un record. En mars 1993, une série de treize explosions avait déjà fait 257 morts et 1 100 blessés dans cette même ville de Mumbai. En juillet 2006, plusieurs attentats commis dans des trains et des gares de la ville avaient entraîné la mort de 200 personnes. Là encore, la police avait identifié les poseurs de bombes. Ceux qui ont échappé aux poursuites lancent une nouvelle riposte. Les terroristes ont d'ailleurs exigé la libération de tous les leurs, emprisonnés à la suite des précédents attentats et attaques. A la guerre comme à la guerre.

Cette nouvelle action comporte il est vrai un élément inhabituel. Selon certaines informations, une partie du commando serait arrivée à bord d'embarcations (la plupart des hôtels sont situés au bord de la mer) et certains assaillants auraient les cheveux crépus. Un lien avec la Somalie où des bâtiments de la Marine de guerre indienne participent aux opérations contre les pirates ? Compte tenu du fait que Mumbai est une base navale indienne ? Possible. Même s'il est encore trop tôt pour affirmer quoi que ce soit.

Il faudra au moins quelques jours avant que l'Inde et le reste du monde puissent juger de ce qui s'est passé. Mais on peut d'ores et déjà dire que les unités spéciales indiennes font montre d'un grand professionnalisme et qu'il est pratiquement impossible de contrer le terrorisme avec d'autres méthodes que celles employées. Un travail de police routinier, apparemment peu efficace, voué à de multiples échecs, c'est tout ce qui existe.

On ne peut échapper à la comparaison avec le 11 septembre 2001 et avec la manière dont l'Amérique a réagi à ce défi. Elle a pris des mesures tout à fait efficaces à l'intérieur du pays, qui ont exigé des dépenses colossales. L'Afghanistan, pays d'où émanait la menace, a été attaqué et son régime renversé. Mais, par la suite, le pays possédant l'armée la plus puissante au monde a manqué de ressources pour maintenir sous son contrôle absolu l'Afghanistan ainsi que les territoires du Pakistan y attenant. Cela n'aurait d'ailleurs rien d'étonnant si nous apprenions que l'attentat de Mumbai a été en partie préparé dans ce pays.

Ce qu'ont fait ensuite les Etats-Unis avec leurs alliés et leurs partenaires n'a qu'un rapport ténu avec la lutte antiterroriste. Surfant sur la vague de sympathie mondiale à leur égard, les Etats-Unis ont tenté de se servir de la lutte antiterroriste pour parvenir à des buts d'un tout autre ordre : affirmer leur domination globale. Après l'invasion de l'Irak, qui n'avait rien à voir avec le terrorisme, ils ont lancé l'élaboration d'un programme d'américanisation de fait de l'ensemble du monde musulman. Pour rien. En fin de compte, nous avons le déclin de l'Amérique (avec ou sans crise), un changement de leadership mondial. Quant au terrorisme, au terrorisme islamique en premier lieu, il est toujours là.

Il est clair que personne ne répétera plus - et ne pourrait d'ailleurs plus le faire - les erreurs des Etats-Unis. Par exemple, l'Inde peut-elle planifier l'invasion du Pakistan, détenteur de l'arme nucléaire ? L'occupation de ce pays, de l'Afghanistan, de la Somalie ? Et n'oublions pas que, comme la Russie, l'Inde est aussi en partie un pays musulman, que ces derniers y sont plus nombreux qu'au Pakistan. Il va donc falloir qu'elle trouve une stratégie de lutte contre cette menace, ce que n'a pas réussi à faire l'Amérique.

Et pas uniquement une stratégie interne, loin s'en faut. Finalement, les événements de ces derniers mois ont montré que l'Inde, comme la Chine et certains autres pays, se retrouve, comme prévu, au nombre des pays clefs qui reforment le monde. C'est pourquoi le méga attentat de Mumbai ne peut pas passer aussi inaperçu que les actions précédentes du même genre.

La coalition antiterroriste mondiale, ce capital que les Etats-Unis ont gaspillé avec une telle incompétence, peut tout à fait renaître maintenant sur de nouvelles bases. En 2001 d'ailleurs, les Indiens avaient tenté de rappeler au monde que New York n'était pas la seule cible visée par les menaces et que les racines du Mal mondial se situaient justement aux confins de leur pays, mais ils n'avaient pas été entendus. Il est possible qu'il en soit autrement aujourd'hui. Notons, à ce propos, que le programme de la visite en Inde que le président russe Dmitri Medvedev devrait effectuer dans les premiers jours de décembre sera quelque peu modifié, à moins que celle-ci ne soit annulée.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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