De vifs débats au sujet de l'Holodomor en Ukraine

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti
Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Selon Vitali Tchourkine, représentant permanent de la Russie à l'ONU, la Russie a réussi à neutraliser les tentatives de l'Ukraine d'obtenir l'examen et l'adoption par l'Assemblée générale de l'ONU d'une résolution qualifiant l'Holodomor ou "l'extermination par la faim" (grande famine de 1932 à 1933 en Ukraine) de génocide du peuple ukrainien.

L'Ukraine de M. Iouchtchenko (comme on le sait, du point de vue politique, il y en a plusieurs) avait déployé depuis longtemps pas mal d'efforts en vue de faire adopter cette résolution. La Russie avait bloqué les efforts de la diplomatie ukrainienne visant à inscrire ce point à l'ordre du jour de la 62e session de l'Assemblée générale de l'ONU, et la même tentative a échoué à la 63e session. Déçus, les représentants ukrainiens se sont mis à collecter des signatures au-bas d'une déclaration à ce sujet, mais, là aussi, ils ont perdu le match contre Moscou avec le score de 160:30.

Cependant, j'estime que ce thème ne s'épuise pas là, surtout pour l'Ukraine elle-même où existe déjà la Loi sur l'Holodomor qui le qualifie de génocide du peuple ukrainien. Enfin, sur ordre de Viktor Iouchtchenko, les organes locaux chargés de l'enquête sur l'Holodomor en Ukraine en 1932-1933 ont déjà effectué un travail approprié et des documents de l'enquête seront bientôt soumis à la Cour suprême. Après l'examen de ce dossier par la Cour suprême, l'Ukraine ou ses citoyens pourront porter des plaintes devant les instances européennes. Théoriquement, si les arguments russes ne persuadent pas les instances judiciaires européennes, bien qu'ils aient maintes fois persuadé l'ONU, la Russie devra répondre en tant que successeur en droit de l'ex-URSS.

Certes, personne ne conteste le fait que ce qui se produisit en Ukraine en 1933 est une terrible tragédie et que les victimes de l'Holodomor méritent qu'on s'en souvienne avec respect. J'ai lu le discours du président ukrainien et la Loi sur l'Holodomor et je partage de nombreux points de vue exposés dans ces documents. Mais lorsque la politicaillerie et le nationalisme ukrainien radical, incompétent et belliciste, interviennent dans la discussion sur l'Holodomor, je ne peux pas l'approuver. Ce qui est le plus regrettable, c'est que la douleur des gens se mêle à la politicaillerie non dissimulée et à l'ignorance agressive lors des débats sur l'Holodomor.

La faute de l'idéologie marxiste-léniniste, en plus des conditions climatiques funestes, est incontestable, tout comme le fait que le pouvoir soviétique avait lutté contre les paysans en employant des moyens différents, y compris la famine. Mais le génocide du peuple ukrainien n'a rien à voir avec cela.

L'Holodomor en Ukraine est arraché à l'histoire, on fait des erreurs géographiques et idéologiques en examinant ce sujet. En réalité, cette tragédie de 1933 ne fut qu'un épisode d'une grandiose guerre paysanne, ou du "bruit vert", comme la désignent parfois les historiens, y compris étrangers. Lisez le livre magnifique du chercheur italien Andrea Graziosi sur les Famines soviétiques de 1931-33 et l'Holodomor ukrainien. A mon avis, il a raison de voir dans ces événements la plus grande guerre paysanne de toute l'histoire européenne.

Cependant, pour être plus précis, cette guerre fut déclenchée bien avant la révolution de 1917. De nombreux leaders des révoltes paysannes de 1918-1921, souligne Andrea Graziosi, de Makhno à Antonov, firent parler d'eux pour la première fois dès 1905-1907. En 1930, la GPU (police secrète) ukrainienne constata que la résistance à la collectivisation fut orchestrée par les mêmes villages où des révoltes eurent lieu bien avant la révolution.

D'ailleurs, la réquisition forcée de produits agricoles (appelée prodrazverstka) ne fut pas inventée par les bolcheviks, elle commença sous le régime tsariste, après le début de la Première Guerre mondiale et se poursuivit sous le Gouvernement provisoire. C'est ensuite seulement que cette "expérience précieuse" fut durcie par les bolcheviks. En principe, les détachements chargés des réquisitions furent mal accueillis par les habitants des villages russes et ukrainiens aussi bien à l'époque des tsars qu'à celle de Kerenski et des commissaires rouges.

Il en fut de même pendant les famines régulièrement survenues sur le territoire de l'ancien Empire de Russie. En Ukraine, on ne sait pourquoi, on ne se souvient que de la famine de 1933. Cependant, la famine qui sévit dans la région de la Volga fut non moins terrible. En général, il convient de préciser que des famines eurent lieu à peu près dans la même période dans le Sud de la Biélorussie, sur la Volga, dans la région des terres noires du Centre de la Russie. Les régions des cosaques du Don et du Kouban ont en souffert aussi, ainsi que le Caucase du Nord où la famine débuta en 1931, le Kazakhstan du Nord, l'Oural du Sud et la Sibérie occidentale. L'Ukraine occidentale qui faisait alors partie de la Pologne fut également touchée par cette tragédie. Il est difficile de qualifier de simple négligence ce "trou" dans la mémoire ukrainienne, il est bien plus logique d'y voir un oubli sélectif prémédité.

Cela concerne également les méthodes de la lutte du pouvoir soviétique contre les paysans. Comme si le camarade Toukhatchevski n'avait pas étouffé l'"insurrection d'Antonov" par des gaz toxiques interdits! Autrement dit, tout ce qui s'est passé en Ukraine concerne également la terre russe, à la seule différence près que les paysans ukrainiens ne furent pas intoxiqués par des gaz.

La famine fut un des moyens d'entraîner les paysans dans les kolkhozes, en vue de les affaiblir définitivement et de les mettre à genoux, c'est la vérité. Mais la nationalité des paysans était le moindre souci des bolcheviks qui oppressèrent, étouffèrent et affamèrent tout le monde, pas seulement les Ukrainiens.

Ce fut une carence idéologique. Les bolcheviks et les nazis commirent beaucoup de crimes, mais pour des raisons différentes. Les nazis créèrent une théorie raciste et tuèrent des "sous-hommes" ayant une autre forme du crâne, ce qui s'appelle le génocide. Les bolcheviks furent des internationalistes, ils exterminaient pour d'autres critères, avant tout sociaux. Si l'Ukraine veut juger le marxisme-léninisme et particulièrement le stalinisme, il faut le dire. Pourquoi juger les Russes?

Les documents officiels, entre autres, la Loi sur l'Holodomor, ne font pas état de l'intention de l'Ukraine d'exiger que la Russie lui verse une compensation. En tout cas, je n'ai trouvé rien de pareil dans les documents officiels ukrainiens. Par contre, les nationalistes radicaux ukrainiens espèrent qu'il en sera précisément ainsi. Ils sont persuadés que l'Holodomor ukrainien sera identifié à l'Holocauste.

Autrement dit, de l'avis des nationalistes ukrainiens, les descendants de ceux qui évitèrent l'intoxication sous Tambov doivent verser une compensation aux descendants de ceux qui ne succombèrent pas à la famine. A mon avis, c'est du cynisme.

Une curieuse citation fut transmise le 19 octobre 2008 sur Internet par l'hebdomadaire ukrainien Zerkalo nedeli. Je cite mot à mot : "L'Ukraine a maintes fois déclaré qu'elle ne dressait pas le lien entre la reconnaissance de l'Holodomor comme un génocide et la responsabilité de la Fédération de Russie selon le droit international, et qu'elle n'avancera pas de griefs. Cependant, cela n'exclut pas le droit des personnes physiques, descendants des victimes de l'Holodomor, de présenter leurs griefs à la Fédération de Russie en tant qu'Etat qui se considère comme successeur de l'URSS".

Il s'agit là de la plus astucieuse politicaillerie, dont il a été question ci-dessus. Les autorités ukrainiennes n'y sont pour rien, semble-t-il, alors que l'argent russe sera reçu coûte que coûte.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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