Débris spatiaux: les dangers d'un espace-poubelle

S'abonner
Par Iouri Zaïtsev, expert à l'Institut d'études spatiales (Académie russe des sciences), pour RIA Novosti

Par Iouri Zaïtsev, expert à l'Institut d'études spatiales (Académie russe des sciences), pour RIA Novosti

En lançant le premier satellite artificiel, l'humanité n'a pas seulement ouvert les portes de l'Univers, elle s'est trouvé aussi un nouveau "vide-ordures" grâce auquel l'espace circumterrestre se transforme à toute vitesse en une gigantesque poubelle pour les déchets des activités spatiales de l'homme. Au-delà de 200 km d'altitude pullulent étages de lanceurs, boosters, coiffes et satellites en panne ou en fin de vie. Ajoutez-y les éclats provenant d'explosions d'appareils spatiaux et les déchets ménagers issus des vaisseaux habités ou des stations orbitales sans oublier toute cette ferraille constituée de boulons, d'écrous et même d'instruments perdus par des astronautes lors de sorties extravéhiculaires.

L'espace circumterrestre regorge de gros objets d'origine humaine, qui sont près de 26.000, et d'objets plus petits (éléments d'assemblage, couvercles de protection largables, etc.), trois à cinq fois plus nombreux, qui n'en finissent pas de se heurter, chacune des collisions augmentant la quantité générale des fragments en dérive.

A l'heure actuelle, il n'y a que deux pays, la Russie et les Etats-Unis, qui sont capables, grâce à leurs radars et dispositifs optiques, de contrôler la pollution industrielle de l'espace extra-atmosphérique. Environ 10.000 objets, dont les dimensions minimales sont de 10-30 cm pour les orbites basses et de 1 m pour l'orbite géostationnaire, sont officiellement recensés: cela veut dire qu'ils ont été inscrits dans des catalogues spéciaux, que leur origine a été identifiée et qu'ils font l'objet d'un suivi régulier.

La quantité totale des objets découverts et surveillés dont le diamètre dépasse 10 cm frôle les 14.000. 950 d'entre eux sont des appareils spatiaux actifs de différents pays. Le nombre des corps dont le diamètre est inférieur à 10 cm varie entre 200.000 et 250.000, ceux dont le diamètre est de 0,1 à 1 cm sont entre 70 et 80 millions, alors que les objets qui se mesurent en microns sont de l'ordre de 10 puissance 13 ou 14. Il s'agit cependant d'évaluations purement théoriques, car ces particules ne sont pas visibles au télescope ni au radar, et ne peuvent ainsi être cataloguées.

Un élément d'un demi-millimètre de diamètre qui évolue à une vitesse 10 à 20 fois plus grande que celle d'une balle peut facilement perforer le scaphandre d'un astronaute. La collision d'une particule aux dimensions supérieures à 1 cm avec un satellite actif est capable de le mettre hors de service. Les gros appareils spatiaux sont en général à l'abri des collisions, mais quelques exemples démontrent le contraire. Ainsi, en juillet 1996, un fragment du dernier étage d'un lanceur français Ariane a gravement endommagé le satellite Cerise, lui aussi français, en sectionnant sa poutre de stabilisation. En janvier 2005, il y a eu une collision entre les derniers étages de deux fusées porteuses lancées à des époques différentes par les Etats-Unis et la Chine. Au cours des quinze années d'exploitation de la station orbitale soviétique Mir, des corps spatiaux artificiels assez volumineux s'en sont approchés à plusieurs reprises à une distance de 1 à 3 kilomètres.

En juin 1999, la Station spatiale internationale (ISS), encore inhabitée, avait toutes les chances d'entrer en collision avec un fragment de booster. En 2001, l'ISS a dû réaliser une manoeuvre pour esquiver un support métallique de 7 kg perdu par des astronautes lors d'une sortie extravéhiculaire.

L'accumulation sur les orbites d'objets d'origine humaine suscite par ailleurs de sérieuses inquiétudes sur le plan de la situation radioactive dans l'espace circumterrestre. L'URSS a lancé par le passé 33 appareils spatiaux à propulsion nucléaire. Après avoir achevé leurs missions, les propulseurs ont quitté les satellites pour passer à une orbite "cimetière" (700-1000 km d'altitude). Là, les propulseurs se sont séparés de leurs noyaux qui n'étaient rien d'autre que des cartouches de combustible nucléaire.

Aujourd'hui, l'orbite "cimetière" dénombre 44 objets radioactifs d'origine russe. On y trouve deux satellites qui ne se sont pas séparés de leurs propulseurs nucléaires (Kosmos-1818 et Kosmos-1867), plusieurs cartouches de combustible et 12 réacteurs à combustible liquide métallique hors service, 15 cartouches de combustible nucléaire et 15 propulseurs nucléaires sans combustible mais contenant du réfrigérant secondaire. Leur vie passive sur l'orbite "cimetière" durera au moins 300-400 ans, une période nécessaire pour que les produits de fission de l'uranium-235 se désintègrent jusqu'au niveau de sécurité.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste en matière d'aggravation de la situation radioactive. En avril 1964, le satellite de navigation Transit-SB doté d'un générateur radio-isotopique s'est désintégré sans pouvoir se mettre en orbite. Pendant sa combustion dans l'atmosphère, il a disséminé au-dessus de la partie ouest de l'océan Indien, au nord de Madagascar, près de 1 kg de plutonium-238. Cet accident a multiplié par 15 la radioactivité naturelle sur toute la planète. Quelques années plus tard, le satellite météorologique Nimbus-B doté d'une pile à uranium-235 est tombé dans l'océan Indien. Aujourd'hui, l'espace circumterrestre compte sept objets radioactifs américains sur des orbites allant de 800 à 1.100 km et deux autres proches de l'orbite géostationnaire.

Le danger potentiel émanant des satellites "nucléaires" russes et américains consiste en ce que leur collision avec des débris spatiaux pourrait conduire à une pollution radioactive de vastes zones de l'espace circumterrestre. En outre, certains éclats dont la vitesse après collision serait inférieure à la première vitesse cosmique pourraient quitter leur orbite et polluer une partie de la surface terrestre. Une forte pollution radioactive de l'atmosphère n'est donc pas à exclure.

S'il existe un danger, il faut réfléchir préalablement aux mesures à prendre pour l'éviter, sinon pour en éliminer les conséquences. Pour commencer, il importe de réduire le nombre d'appareils lancés en augmentant leur durée de vie active et en utilisant des satellites polyvalents. Les satellites en fin de vie devraient avoir une réserve de combustible pour pouvoir descendre vers les couches denses de l'atmosphère, où ils seront brûlés, ou vers des orbites moins "peuplées", cette deuxième option étant préférable. Le "cimetière" des satellites devrait se situer 200 à 300 km au-dessus de l'orbite géostationnaire.

Le nettoyage de l'espace circumterrestre apparaît très problématique dans un avenir prévisible. On propose notamment d'utiliser à cette fin des lasers. Mais l'évaporation complète même d'un petit fragment demandera beaucoup d'énergie. En outre, certains matériaux vont, au contraire, s'atomiser sous l'action du laser et augmenter la quantité générale des débris. Enfin, cette méthode de nettoyage est assez dangereuse vu les puissantes émissions d'énergie dans l'environnement qui risquent non seulement de briser son équilibre thermique, mais aussi de modifier sa composition chimique.

Hélas, il n'existe pas de mesures pratiques efficaces pour éviter une pollution de l'espace à plus de 600 km d'altitude où l'impact purificateur de l'atmosphère, qui freine la rotation des satellites, ne se fait plus sentir. Dans le même temps, l'accumulation continue d'objets industriels sur les orbites circumterrestres recèle un danger: une fois le seuil critique atteint, la quantité des débris augmentera de manière exponentielle en raison des collisions de plus en plus fréquentes, ce qui rendra l'exploration spatiale impossible.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала