Hillary Clinton en Chine: se relever ou tomber ensemble

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

La dernière étape, la plus importante, de la tournée asiatique de la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton - sa visite à Pékin - a confirmé toutes les prévisions : l'Amérique propose à la Chine un nouvel agenda, très fort.

Le voyage d'une semaine de Mme Clinton en Asie (Tokyo-Jakarta-Séoul-Pékin) s'est avéré étonnamment stérile, dans sa totalité, sur le plan de la signature de documents. La secrétaire d'Etat a effectué son premier voyage à l'étranger dans l'unique but d'esquisser un nouvel agenda des rapports avec chaque pays. Elle a donné le ton général de ces nouveaux rapports dans les nombreux discours qu'elle a prononcés dans chacune des capitales. En fin de compte, cette diplomatie ouverte s'est avérée l'élément principal de sa tournée.

Parmi tous les propos que Hillary Clinton a tenus à Pékin, ce sont ses déclarations à la télévision chinoise Dragon TV qui ont été particulièrement remarquées. La réalité, a-t-elle dit, rend nécessaire pour la Chine l'achat de bons du Trésor américains (qui constituent, précisons-le, l'essentiel des réserves chinoises de devises). Elle a appelé la Chine à continuer de financer ainsi le budget des Etats-Unis, car, pour que les Chinois puissent accélérer de nouveau leurs exportations vers le marché américain, l'Amérique doit stimuler son économie. Les bons du Trésor sont ce stimulant, notamment ceux achetés par les Chinois. "La Chine reconnaît notre interdépendance, a déclaré la secrétaire d'Etat. Clairement, nous allons nous en sortir ou tomber ensemble".

Ce n'est pas un secret que le plan de Barack Obama de relance de l'économie américaine part du principe que les Chinois vont continuer de donner de l'argent. Ce n'est pas un secret, non plus, que les Chinois considèrent l'acquisition de bons du Trésor américains comme un bon investissement, parce qu'ils ne savent plus très bien quoi acheter encore : de l'or, des dollars, des euros ?

Nous avons affaire, ici, au système d'interdépendance qui a vu le jour sous le président Bill Clinton et s'est nettement dessiné sous George W. Bush. Ce système a un coût : 700 milliards de dollars, autrement dit le montant de la dette des Etats-Unis à la Chine. D'autres estimations existent, également, selon lesquelles 75% des 2.000 milliards de réserves de change de la Chine sont en bons du Trésor américain et en dollars. Leur vente entraînerait l'effondrement de l'Amérique et la chute du cours du dollar, mais la Chine serait également ébranlée, car le cours du yuan connaîtrait une hausse.

L'économie mondiale a été profondément marquée, ces dernières années, par ce "pacte sino-américain", aux termes duquel la Chine pouvait se permettre d'inonder les Etats-Unis (et le monde entier) de ses produits bon marché grâce aux investissements effectués par des compagnies américaines dans les entreprises chinoises. C'est pourquoi les Américains ont vécu au-dessus de leurs moyens en achetant des produits américano-chinois bon marché et de bonne qualité. Dans le même temps, Pékin achetait des bons du Trésor américains. C'est ce système qui s'est écroulé. A présent, les Etats-Unis et la Chine doivent élaborer en commun de nouvelles règles du jeu financier, que les autres seront contraints d'accepter. C'est ainsi qu'il faut interpréter l'idée de "direction américano-chinoise du monde" mise en avant actuellement aux Etats-Unis.

C'est, du reste, la raison pour laquelle les experts chinois ne sont guère enthousiasmés par les propos tenus par Mme Clinton, lorsqu'ils les commentent sobrement, à la lumière des dernières données du Fonds monétaire international. En 2003, le produit national brut des Etats-Unis représentait 32% du PNB mondial, alors que celui des "économies émergentes" - Chine, Inde, Russie, Brésil - et de deux ou trois autres pays n'en constituait que 25%. En 2008, les chiffres se sont inversés : 25% pour les Etats-Unis, 32% pour les Etats émergents. Le monde multipolaire est arrivé, mais la politique de George W. Bush n'a été qu'une tentative désespérée et effrénée de prévenir l'inévitable, souligne le journal chinois Jenmin Jibao.

Les déclarations les plus intéressantes n'ont pas été faites sur le territoire des pays visités par Hillary Clinton. A la veille de son voyage, elle avait déclaré que les rapports américano-chinois avaient été accaparés par le Trésor américain, autrement dit qu'ils étaient trop économiques et qu'il fallait établir de nouveaux rapports au plus haut point ambitieux dans tous les domaines.

En d'autres termes, mieux vaut coopérer qu'avoir une nouvelle confrontation entre les deux superpuissances, où la place de l'URSS serait occupée par la Chine. Mais, dans ce cas, les Etats-Unis devront renoncer aux réflexes et aux illusions de l'ère précédente. C'est ce que Hillary Clinton a commencé à faire au cours de sa tournée asiatique, en laissant entendre aux journalistes qu'elle aborderait certainement la question des droits de l'homme lors de ses entretiens à Pékin, "mais nous connaissons bien leur réponse".

Ces déclarations de la secrétaire d'Etat ont déclenché un tollé dans son pays. Hillary Clinton est du reste plutôt accusée d'avoir été trop sincère. "D'ordinaire, les fonctionnaires américains ne disent pas que les sanctions ont échoué,.. que le dialogue sur les droits de l'homme n'était, pour l'essentiel, qu'une farce", notait le Washington Post.

Mais il est évident depuis longtemps que les tentatives des Etats-Unis et de leurs alliés européens de monopoliser le droit de dicter leurs critères de la démocratie ou des droits de l'homme ont eu, comme toute chose, un début et une fin. Sur le plan moral, cette idéologie ne diffère en rien des idées de propagation de la "civilisation" ou du christianisme, au nom desquelles l'Europe a exterminé de par le monde des milliers et des milliers de personnes (voire des civilisations entières). Cela ressemble aussi à l'idéologie des conquêtes de Gengis Khan qui envoya aussi ses armées à l'ouest pour y faire régner la justice et les lois célestes (!).

Outre cet aspect moral de la chose, il en est un autre. Une véritable industrie, qui coûte des milliards de dollars, lutte aux Etats-Unis pour les droits de l'homme à l'étranger, mêlant l'argent et l'enthousiasme, l'idéologie et le travail subversif ordinaire. Ses méthodes sont connues : miser sur l'opposition pro-américaine dans de nombreux pays, ou tout simplement la créer, la proclamer seule et unique combattante pour les droits et les libertés et l'aider ouvertement. Autrement dit, il s'agit d'entretenir le mécanisme de sape le plus puissant au monde, à l'instar du Komintern (l'Internationale communiste, ndlr.), qui créa des organisations communistes dans le monde entier entre les deux guerres mondiales. Mais en plus de l'hostilité générale envers les Etats-Unis que suscite cette machine, elle s'avère trop onéreuse et, bien entendu, inefficace, dans les conditions présentes. Si les Etats-Unis veulent rester assez forts pour "gouverner le monde en commun avec la Chine" ou, tout bonnement, survivre dans ce monde, quelqu'un devait dire tôt ou tard ce que dit aujourd'hui Hillary Clinton.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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