Le fiasco du grand Conducateur

© RIA Novosti . Alexander Makarov / Accéder à la base multimédiaNicolae Ceauşescu
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Le 25 décembre 1989, il y a exactement vingt ans, le président de la République Socialiste de Roumanie, Nicolae Ceausescu, et son épouse Elena étaient fusillés par une unité d'élite des troupes roumaines. Aujourd'hui, cette exécution est loin d’être un sujet de fierté en Roumanie, mais, à l’époque ceux qui voulaient participer à l'exécution étaient nombreux.

Par Dmitri Babitch, RIA Novosti

Le 25 décembre 1989, il y a exactement vingt ans, le président de la République Socialiste de Roumanie, Nicolae Ceausescu, et son épouse Elena étaient fusillés par une unité d'élite des troupes roumaines. Aujourd'hui, cette exécution est loin d’être un sujet de fierté en Roumanie, mais, à l’époque ceux qui voulaient participer à l'exécution étaient nombreux.

Les historiens comparent souvent l'insurrection contre le régime de Ceausescu à une vague de tsunami. Le 18 novembre, une semaine avant son exécution, Nicolae Ceausescu s'est rendu en visite en Iran certain que les manifestations qui avaient commencé la veille à Timisoara seraient facilement dispersées par les organes de la police secrète (la Securitate, Département de la Sécurité de l'Etat). Le 20 décembre, à son retour, les manifestations se poursuivaient.

Estimant toujours que c'était une provocation des services secrets étrangers, le 22 décembre, Nicolae Ceausescu a essayé de s'adresser au peuple du haut du toit de son célèbre palais. Devant les caméras des chaînes de télévision étrangères, Elena et Nicolae Ceausescu ont été sauvés de la foule par un hélicoptère qui les a pris à son bord directement du toit du palais, comme dans un roman policier de mauvais aloi. Ensuite, il y eut deux jours de passages d'une résidence à l’autre, un rapide procès et l'exécution à Targoviste.

Il y a deux interprétations courantes sur ces événements: communiste et antisoviétique. L'une et l'autre sont fausses. L'interprétation communiste a des partisans aussi bien en Roumanie qu'en Russie. Elle se réduit à ceci: Ceausescu a été victime d'un complot des "forces extérieures" et des monopoles occidentaux avares qui ne lui avaient pas pardonné la création d'un "paradis socialiste" au centre de l'Europe. Cependant, les souvenirs de Valentin Ceausescu, fils aîné du Conducateur, témoignent que, dans son message du 21 décembre, Nicolae Ceausescu entendait par "forces extérieures" plutôt … les services secrets soviétiques. Valentin a déclaré dans une récente interview accordée à l'agence Associated press: mon père était certain que Mikhaïl Gorbatchev et d'autres dirigeants soviétiques se vengeaient de sa condamnation de l'introduction des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie en 1968.  Nicolae Ceausescu dès le départ n’apprécia pas la perestroïka gorbatchévienne, y voyant un complot contre le socialisme et lui-même.

Il est superflu de prouver aux communistes le caractère chimérique de la version "soviétique" du renversement de Ceausescu et autres versions du "complot des forces extérieures". On peut accuser Mikhaïl Gorbatchev de n'importe quoi, sauf d'avoir organisé des coups d'Etat armés efficaces. Le fait que Nicolae Ceausescu ait pu le supposer témoigne de son manque d’adéquation. Mais son comportement et sa fin terrible montrent bien ce qui serait arrivé, si Mikhaïl Gorbatchev avait conservé le système et continué de montrer à la télévision des trayeuses heureuses, comme beaucoup le lui avaient recommandé.

La deuxième version susmentionnée, antisoviétique, répandue en Europe occidentale et aux Etats-Unis ne tient non plus debout. Selon cette version, Nicolae Ceausescu n'était qu'un petit pion de l'URSS nourri d'ambitions qui a perdu le pouvoir au moment de l'affaiblissement de son patron.

Voilà un bon pion qui a pris le risque de jeter un défi à son "roi" dès 1968, qui n'avait pas de troupes soviétiques sur son territoire depuis 1958, qui a accueilli, sans consulter Moscou, Richard Nixon et de Charles de Gaulle et qui s'est prononcé contre la politique du "roi" dès le début de la perestroïka.

En ce moment, ce n'est pas la mode d'en parler, mais si certaines forces extérieures ont vraiment contribué à la chute du régime de Ceausescu, c'étaient non pas ses ennemis, mais ses malhabiles amis occidentaux. Stimulés par le ton indépendant employé par Nicolae Ceausescu à la fin des années 1960 avec Leonid Brejnev, les dirigeants occidentaux se sont mis à attribuer à Ceausescu non seulement des ordres (il était cavalier de l'Ordre français de la Légion d'Honneur et chevalier de l'empire de Grande-Bretagne) mais lui ont également accordé des crédits. La Roumanie à été admise au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Passionné par sa politique de "systématisation" (le déplacement des habitants des villages dans les villes), Nicolae Ceausescu a reçu, au début des années 1970, 13 milliards de dollars de crédits occidentaux.

Mais ces crédits devaient être remboursés, ils n'étaient pas un cadeau, comme on le pensait auparavant. Nicolae Ceausescu a organisé un référendum sur le non-recours aux crédits étrangers (comme c'était habituellement le cas chez nous, 99% se sont prononcés "pour") et a commencé à drainer l'argent du pays pour rembourser les dettes. La situation rappelait celle de l'URSS des années 1930: la population n'avait rien à manger, mais on exportait des produits alimentaires. Toutes les dettes ont été remboursées à l’été 1989, juste avant la révolution. A ce moment-là, on achevait la construction du palais de Ceausescu pour 10 milliards de dollars.

Quoi qu'il en soit, Ceausescu a joué lui-même le rôle principal dans sa chute. Son erreur principale était de croire en sa propre télévision. Le pays n'avait pas de chauffage et était affamé, mais la télévision montrait le "grand Conducateur" entrant dans des magasins de luxe approvisionnés spécialement avant son arrivée. Des millions d'habitants indignés le voyaient et grinçaient des dents. Le vase a débordé et la vague qui a déferlé n'a pu être endiguée même par les balles.

Nicolae Ceausescu n'était ni un imbécile politique, ni un homme indécis. Il a exigé des militaires et de la Securitate qu'ils tirent sur la foule à Timisoara. Le 22 décembre, il a assumé sans hésiter le commandement de toutes les structures de force qui ont fait au moins mille morts en deux-trois jours. Mais, puisqu'il vivait dans un monde imaginaire, toutes ces mesures ne l'ont pas sauvé. Au contraire, elles sont devenues un instrument entre les mains de ses adversaires qui ont publié des chiffres très exagérés sur les pertes causées par les actions de la Securitate (64000 tués). Le procès-verbal de son procès montre comment Nicolae Ceausescu était loin de la réalité:

"Procureur: "Qui vous êtes? Ceausescu: "Je suis président de la Roumanie et commandant en chef de l'armée roumaine. Je refuse de vous parler, car vous êtes provocateurs"… Procureur: "Pourquoi avez-vous affamé le peuple?" Ceaucescu: "En tant  que président, je ne répondrai pas à cette question. Mais en tant que citoyen, je vais vous dire ce qui suit. J'ai garanti à chaque paysan 200 kg de blé par membre de sa famille. Vous mentez en affirmant que j'ai affamé les gens. C'est un mensonge éhonté. Cela prouve que vous manquez de patriotisme"… Procureur: "Vos programmes sont excellents sur le papier. Mais pourquoi ne sont-ils pas appliqués?"

La fin du procès est connue. Après une salve tirée par les soldats, Nicolae Ceausescu gisait sur terre et son visage exprimait l'étonnement. Avant de mourir, son épouse Elena a exigé qu'on enlève les cordes qui l'entortillaient, en assurant qu'elle avait nourri et élevé les soldats qui l'entravaient.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

 

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