Le génocide des Arméniens: un cas de mémoire sélective

© RIA Novosti . Pavel Balabanov / Accéder à la base multimédiaFlamme eternelle du Mémorial du Génocide à Erevan
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La résolution adoptée non pas même par la totalité du congrès américain, mais seulement par le comité des affaires internationales de sa chambre basse, et portant sur le génocide des Arméniens perpétré dans l’empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, a soulevé une véritable tempête diplomatique internationale

 

La résolution adoptée non pas même par la totalité du congrès américain, mais seulement par le comité des affaires internationales de sa chambre basse, et portant sur le génocide des Arméniens perpétré dans l’empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, a soulevé une véritable tempête diplomatique internationale.

L’activité fébrile des diplomates et les hésitations criantes de l’administration américaine mettent en évidence un fait incontestable: celui de l’influence accrue de la Turquie dans le monde.

Rappelons que la résolution du comité revêt un caractère non contraignant, que personne ne sait très bien si elle va être soumise à une réunion plénière de la chambre des représentants, mais la Turquie a déjà rappelé son ambassadeur pour consultations à Ankara et, comme le fait savoir le New York Times, la Secrétaire d’État Hillary Clinton a demandé aux membres du congrès de ne pas aborder actuellement ce sujet délicat.

Après l’extermination de 1,5 million d’Arméniens en 1915 à la suite des actions du gouvernement des « Jeunes Turcs », la Turquie et l’Arménie avaient rompu toutes relations diplomatiques. La fin de ce refroidissement ne s’est dessinée que l’année dernière lorsqu’à l’automne 2009, les deux parties se sont entendues pour rétablir des contacts bilatéraux. Cela a été considéré comme un succès des dirigeants turcs, plus précisément du président et du premier ministre. Le « dégel » serait-il maintenant reporté?

C’est peu probable. En revanche, les hommes politiques turcs tenteront manifestement de profiter de la situation pour rehausser leur propre prestige. En effet, quel pays pourrait se targuer de faire hésiter le chef de la diplomatie de la plus forte puissance du monde?

Il est fort possible que le scandale actuel ne fasse qu’accroître le prestige de l’actuel premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Il avait récemment jeté un défi aux militaires, pour la première fois dans l’histoire du pays, en révélant les plans d’un coup d’État militaire prévu initialement en 2003. Avant cela, Erdogan avait assumé le rôle de défenseur des Palestiniens, ses frères musulmans, en critiquant sévèrement Israël pour son opération dans la bande de Gaza. Pendant la campagne irakienne des États-Unis, la Turquie n’avait pas laissé passer les troupes américaines par son territoire, obligeant ainsi Washington à emprunter l’itinéraire méridional pour son intervention en Irak.

Et voilà que la position des États-Unis sur le génocide des Arméniens, ambiguë depuis plusieurs années et qui avait aidé Washington, à un moment donné, à entraîner la Turquie dans l’OTAN et à lui conférer une position forte, commence à se retourner contre les intérêts américains. C’est une histoire pleine d’enseignements. En effet, il ne s’agit pas seulement des événements de 1915, il y a aussi d’autres exemples. Les médias occidentaux oublient toujours le massacre des Arméniens en 1989-1990 à Bakou, en ne mentionnant que l’introduction des troupes soviétiques dans cette ville. Cette mémoire sélective des médias américains et ouest-européens s’explique facilement: il est très facile d’accuser de tous les maux la « main de Moscou » et d’oublier les événements précédents, bien que les troupes envoyées alors sur ordre de Moscou aient sauvé des milliers d’Arméniens et d’autres « russophones » de Bakou. D’ailleurs, dans plusieurs médias russes, le sujet des pogroms de Bakou est impopulaire, presque interdit. On prétend qu’on pourrait perdre là des contrats de publicité et se quereller avec des personnes influentes.

«Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour que les médias du monde entier se souviennent de ces événements, a déclaré le politologue Andronik Migranian, membre de la Chambre civile de Russie. Faut-il que la République d’Arménie lance elle-même des campagnes d’informations pour que l’affaire bouge du point mort?!»

En fait, tant les événements de 1915 que ceux des années 1980 en Arménie et en Azerbaïdjan concernent le monde entier, et non pas seulement les Arméniens. Les pogroms anti-arméniens de Bakou avaient été précédés de l’expulsion violente des Azerbaïdjanais du Haut-Karabakh, puis la tragédie de Khodjaly avait bouleversé le monde entier. Garder à l’esprit, ne pas oublier les massacres, s’interdire toute mémoire sélective. Sinon, les scandales diplomatiques du type de la brouille américano-turque actuelle se reproduiront sans arrêt.

 

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur

 

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