Lénine, itinéraire d’un aventurier intrépide

© RIA Novosti / Accéder à la base multimédiaVladimir Lénine
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Vladimir Oulianov, dit Lénine, dont on disait qu’il était « plus vivant que tous les vivants », est tout à fait oublié 140 ans après sa naissance. Son spectre ne hante pas la Russie et n’excite plus personne hormis les fonctionnaires du KPRF (Parti communiste de la Fédération de Russie) et encore, seulement par obligations professionnelles.

Vladimir Oulianov, dit Lénine, dont on disait qu’il était « plus vivant que tous les vivants », est tout à fait oublié 140 ans après sa naissance. Son spectre ne hante pas la Russie et n’excite plus personne hormis les fonctionnaires du KPRF (Parti communiste de la Fédération de Russie) et encore, seulement par obligations professionnelles.

Personne ne jugera nécessaire de placarder ostensiblement des portraits de Lénine dans Moscou à l’occasion du 22 avril ou du 7 novembre et, si l’idée en venait à l’esprit d’un original, personne n’y ferait attention. Même les débats sur son corps qui repose au mausolée ne suscitent autant de passions que les discussions sur l’image morale et politique de son successeur Staline. C’est d’ailleurs ce dernier qui fut à l’origine de la légende du « guide du prolétariat mondial », créateur et serviteur principal de son culte posthume.

Cependant, le destin réel de Lénine est bien plus intéressant que la légende sur son sujet, mais sa personnalité dépasse tous les mythes. De nombreux révolutionnaires ont rêvé de changer le monde, mais rares sont ceux à avoir réussi. Lénine sut accomplir un miracle et faire l’impossible. Il réussit à trouver un point d’appui et à métamorphoser la planète, à faire tourner à rebours la roue de l’histoire. Pas comme il le voulait, certes, mais il donna une impulsion extraordinaire.

Il y a eu aussi, au XXème siècle, un autre fanatique idéologique qui rêvait de créer un monde nouveau et un homme nouveau, ce fut Adolf Hitler, mais, Dieu merci, son succès fut de courte durée. De plus, c’est dans des conditions très défavorables que Lénine réalisa son projet démentiel qui semblait utopique. Dépourvu de forces armées propres du type des détachements SS comptant plusieurs milliers de membres, son parti représentait un cercle restreint de marginaux très éloignés du peuple.

A vrai dire, Lénine accéda au pouvoir suprême contre toute logique. Toute sa biographie jusqu’au 25 octobre 1917 (d’après l’ancien calendrier) n’a été qu’une chaîne d’échecs ininterrompue.

Il fut exclu de l’Université, en fait, sans aucune raison, il n’avait fait qu’assister silencieusement à une manifestation d’étudiants, mais cela était insuffisant pour le frère d’Alexandre Oulianov, terroriste malchanceux, qui fut pendu. D’ailleurs, la police politique tsariste lui causa moins des difficultés que ses camarades de parti. Il ne fut pas élu chef unique du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie), malgré tout son désir et ses efforts déployés en ce sens. Son prestige était nul, il passa son temps à se quereller avec tous les sociaux-démocrates éminents.

Il détacha du parti un groupe au nom pompeux de « bolcheviks » (« majoritaires »), mais celui-ci fut minoritaire à presque tous les congrès. Même parmi les bolcheviks, il se trouva souvent isolé, ses idées et ses initiatives ne furent pas acceptées par ses plus proches compagnons. A l’automne 1917, il fut prêt à agir sans passer par le Comité central et à soulever une insurrection armée appuyée sur des détachements peu nombreux, mais fidèles.

Dix ans avant cela, après l’échec de la révolution de 1905 qui, comme la révolution de février 1917, l’avait prit au dépourvu, Lénine avait été en proie au désespoir, sans argent et sans le moindre espoir de triompher.

Dans cette situation, nombreux furent les révolutionnaires clandestins à s’adonner à l’alcool et à se suicider. Mais lui, jamais il ne capitula et ne se découragea. Sa persévérance, son énergie à revendre et sa volonté inébranlable lui permirent de surmonter tous les obstacles, les malheurs et les échecs, et le conduisirent à la victoire. Son autre trait distinctif était une souplesse tactique extraordinaire. Lénine était plein des « contradictions flagrantes » qu’il avait mentionnées dans son article sur Léon Tolstoï, « miroir de la révolution russe ».

En politique, il fut un aventurier sans précédent qui inventait sans cesse des plans d’opérations fantastiques, inimaginables.

En mars 1917, il pensait sérieusement rentrer en Russie sous une fausse identité et en perruque (lire sa lettre à Viatcheslav Karpinsky).

Certes, il trouva ensuite un moyen moins glorieux de rentrer chez lui dans un wagon allemand plombé, ce qui lui causa aussi beaucoup d’ennuis allant jusqu’à sa réputation d’ « espion allemand ».

Plus tôt, en juin 1905, à la nouvelle de l’émeute survenue à bord du cuirassé Potemkine, Lénine, qui se trouvait en Suisse, avait ordonné à son compagnon de lutte Mikhaïl Vassiliev d’aller d’urgence sur la mer Noire et de pénétrer sur le navire rebelle. Il donna ensuite d’autres instructions: « Il faut tout faire pour s’emparer du reste de la flotte. Je suis certain que la majorité des navires rejoindront le Potemkine. Pour cela, la seule chose à faire, c’est d’agir de façon énergique, avec courage et rapidement. Envoyez-moi d’urgence un torpilleur. Je partirai pour la Roumanie ».

Ce projet invraisemblable décrit par Vassiliev dans ses mémoires parues déjà à l’époque soviétique ressemble à un accès de fanfaronnade. Pourtant, c’est à peu près ainsi que fut pris Petrograd en octobre 1917. Bien entendu, notre héros et son parti minuscule n’étaient pour rien dans la création de cette situation révolutionnaire en Russie. Tant que le « guide » se cacha dans un lieu clandestin, Léon Trotski dirigea toutes les actions: la prise des ponts, du téléphone, du télégraphe, et même le début de l’assaut du Palais d’hiver.

Mais, auparavant, Lénine avait su littéralement imposer la décision de soulever une insurrection armée, et il fut le seul à ne pas manquer de témérité pour lancer une telle action audacieuse; sans sa volonté de fer, les bolcheviks n’auraient jamais pris le pouvoir et n’auraient certainement pas pu le conserver. L’événement qui fut étudié ensuite dans les écoles et les instituts comme la Grande Révolution Socialiste d’Octobre fut une aventure classique. Mais elle fut conçue par un aventurier particulier, au caractère inébranlable, contrairement à d’autres qui ne purent supporter l’épreuve de la lutte clandestine contre le régime tsariste.

Lorsque les bolcheviks devinrent, de la façon la plus incroyable, un parti de pouvoir, ils ne surent pas quoi faire ensuite. Bien que Lénine se considérât comme le disciple de Marx et d’Engels, il prit le pouvoir à l’encontre de tous leurs préceptes. En fait, du marxisme il n’employa que les instruments et les termes comme, par exemple, la notion de « lutte des classes ». Avant le 25 octobre, il avait écrit de nombreux articles sur la future structure politique de la Russie après la victoire du POSDR(b) et elles se réduisaient à trois thèses: l’ancien État doit être détruit de fond en comble; à sa place, il faut créer un mythique « État des ouvriers et des paysans »; ensuite, tout cela doit se répéter à l’échelle mondiale. Athée convaincu, il croyait religieusement au triomphe inévitable de la révolution mondiale.

Lénine annonça que le pouvoir devait passer entre les mains de la classe ouvrière sous la direction du parti révolutionnaire, ce qui conduirait à la « dictature du prolétariat ». Cette dictature fut assurée par des gens n’ayant rien à voir avec le prolétariat. Le prolétariat s’en rendit compte très vite, mais c’était déjà trop tard.

En revanche, les prolétaires de tous les pays, sauf celui de Lénine, peuvent lui être reconnaissants. Ils ont obtenu la satisfaction de leurs revendications sociales et économiques, ils ont amélioré considérablement leur bien-être et ils ont maintenant quelque chose à perdre, sauf leurs chaînes. Cependant, la vie des ouvriers et des paysans soviétiques fut difficile dans l’État où ils avaient  « pris le pouvoir ».

En réalité, le pouvoir fut pris par le président du Conseil des commissaires du peuple Vladimir Oulianov, dit Lénine. Après 1917, il fut contraint de manifester souvent une souplesse politique inouïe et faire preuve d’inflexibilité pour ne pas perdre le pouvoir. Mais, en fin de compte, il dut le céder à celui de ses successeurs qui n’était pas le plus souhaitable.

Ayant éternisé et, en fait, déifié son prédécesseur, Joseph Djougachvili-Staline renonça ensuite à tous ses postulats fondamentaux et décima presque toute la « vieille garde léniniste ». Au regard de l’Histoire, Staline aura éclipsé le fondateur de l’État par sa figure puissante et jeta Lénine dans l’oubli.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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