Affaire des espions : changer les mentalités pas les agents secrets

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Le récent incident dans les relations russo-américaines est clos. Les journalistes et les bloggers de part et d’autre de l’Océan Atlantique ont pu se moquer tout leur soûl des aventures des « chevaliers de cape et d’épée malchanceux ».

Le récent incident dans les relations russo-américaines est clos. Les journalistes et les bloggers de part et d’autre de l’Océan Atlantique ont pu se moquer tout leur soûl des aventures des « chevaliers de cape et d’épée malchanceux ».  Au siècle d’Internet, ces derniers écrivent des lettres à l’encre sympathique ; à l’époque des virements bancaires, ils enterrent des valises remplies d’argent.

L’espion russe Mikhail Semenko se parle à lui-même au moment d’envoyer un message à Moscou, c’est à ce moment-là qu’il se fait surprendre par le service de renseignement américain qui l’avait mis sur écoute... Cela ne rappelle même plus les romans de John Le Carré, mais plutôt une pièce de Shakespeare où tous les méchants ont l’habitude de réfléchir à haute voix.

Mais réfléchissons à notre tour : la réaction des experts russes et occidentaux face à tous ces événements est-elle beaucoup plus moderne et adéquate ? Dès le premier jour du scandale, Edward Lucas, grand « admirateur » de la Russie travaillant au magazine The Economist, a vu en la personne des espions arrêtés une énorme menace pour le monde occidental. Edward Lucas s’alarmait surtout à l’idée que dix agents russes aient pu s’introduire dans les « think tanks » (groupes de réflexion) américains. Le fait que les « think tanks » soient sensés fonctionner ouvertement n’a point arrêté Lucas dans son raisonnement. Anne Applebaum, une journaliste du Washington Post, éprouvant le même amour éperdu pour la Russie, va un peu plus loin en se laissant guider par la logique. Elle se pose une question douloureuse : « Pourquoi diantre le gouvernement russe dépenserait-il des années et des millions de dollars pour assurer la formation, l’entretien et l’hébergement d’un espion qui serait un jour à même de collecter des ragots ? Des informations que vous trouvez sur le site Internet du Washington Post, de la Brookings Institution et de plusieurs dizaines d’autres établissements dont on peut très bien passer au crible tous les articles et tous les blogs en restant assis dans son fauteuil a Moscou ? »

La question est, en effet, impertinente. Et voilà la réponse que donne Anne Applebaum : « Le KGB ne croit pas non plus à la libre circulation de l’information ; la presse dite « libre » a toujours été considérée comme un instrument au profit des exploiteurs capitalistes ». C’est la méfiance vis-à-vis de la presse qui aurait poussé les espions russes, selon Anne Applebaum, à explorer des sources d’information moins ouvertes allant jusqu’à faire la connaissance des amis des Clinton etc.

C’est vrai que certains medias ne méritent aucune confiance. Comment voulez-vous croire, notamment, la presse des États-unis et de l’Union Européenne qui depuis une quinzaine d’années s’obstine à évoquer sans cesse la « renaissance des plans impérialistes de la Russie » dans l’espace post-soviétique, de l’invasion éventuelle de la Crimée par les Russes, de la « main de Moscou » comme ayant fomenté les événements récents au Kirghizstan ? Malheureusement, il existe des « experts » similaires du côté russe également. Toutes sortes d’académies géopolitiques (comptant un ou deux académiciens) et d’innombrables « centres de recherches stratégiques » (comprenant, en règle générale, un chercheur et sa secrétaire) pondent tous les jours des tas d’articles expliquant la nécessité pour la Russie de conclure une alliance anti-américaine avec la Chine, exposant les plans des États-Unis de détacher la Sibérie de la Russie et décrivant d’autres bêtises dangereuses. Et toutes ces « recherches » absorbent également de l’argent, on laisse tous ces gens s’exprimer en leur offrant des salles pour des conférences de presse, des pages dans des journaux etc., alors que leur mentalité est tout aussi manifestement anachronique que le sont les valises enterrées pleines d’argent.

Ce n’est donc pas seulement l’espionnage russo-américain qui constitue un anachronisme, mais la politique sur laquelle il s’appuie. Heureusement, cette politique est en passe de devenir un phénomène du passé. Le « redémarrage » des relations entre la Russie et les États-unis a montré son efficacité en éliminant la maladresse avant que le scandale n’ait réellement endommagé les relations entre les deux pays. L’enchaînement entier des événements a été enfin dévoilé : Barack Obama était au courant de l’existence d’un « groupe d’espions » russes quelques semaines au moins avant l’arrestation de ces derniers. Mais il n’a ordonné leur arrestation qu’après que le président russe Dmitri Medvedev eut quitté les États-unis. Juste après l’arrestation des espions, leurs dossiers d’accusation ont été remis par les Américains au Service des renseignements extérieurs de Russie. En fin de compte, le ministère russe des Affaires étrangères a décidé de ne pas envenimer la situation et a reconnu bientôt que les inculpés avaient la nationalité russe. Plus tard un plan d’échange a été mis au point. Voila un style de travail correct, transparent et digne de gentlemen.

Il semblerait que l’administration Obama ait compris que la Russie ne menaçait ni les États-unis, ni ses voisins. Seul Monsieur Saakachvili devrait redouter Moscou et même pour lui cela ne serait vrai qu’en cas d’une nouvelle aventure militaire de sa part. En suivant cette maxime, les aides du président Obama ont éliminé tout en douceur le groupe d’espions russes qu’ils devaient apparemment considérer comme un élément résiduel de la présidence de George W. Bush. Car le début de l’« américanisation » des espions russes remonte à l’époque de l’ancien président qui, lui, avait réellement besoin d’être surveillé de très près.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

 

 

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