Le naufrage du Koursk: causes, théories, conséquences

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Il y a exactement 10 ans, le 12 août 2000, le croiseur sous-marin nucléaire (SNLE) K-141 Koursk, l'un des plus modernes à l'époque des sous-marins de la marine russe, a coulé dans la mer de Barents.

Par Ilia Kramnik, RIA Novosti

Il y a exactement 10 ans, le 12 août 2000, le croiseur sous-marin nucléaire (SNLE) K-141 Koursk, l'un des plus modernes à l'époque des sous-marins de la marine russe, dans la mer de Barents a coulé. Mis en chantier en mars 1990, lancé en mai 1994 et intégré dans la marine "sous le sapin de Noël" le 30 décembre 1994, le Koursk faisait partie du projet 949A, dont la mission principale était la lutte contre les grands navires de surface de l'ennemi, plus particulièrement contre les porte-avions.

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Naufrage du Koursk

Le naufrage du sous-marin qui transportait à son bord 118 personnes est devenu la plus importante catastrophe dans l'histoire de la flotte sous-marine nationale. C'est arrivé lors des exercices de la Flotte du Nord. Le sous-marin a coulé à une profondeur de 100 et quelques mètres à 108 nautiques du golfe de Kola. L'histoire de l'échec de l'opération de sauvetage a été décrite dans un grand nombre d'articles et d'autres supports et cela n'aurait aucun sens de la répéter. Mais il est clairque les résultats officiels de l'enquête sur le naufrage de l’un des sous-marins les plus modernes de Russie soulèveront de nombreuses questions pendant encore plusieurs années, voire des décennies.

Que s'est-il passé?

Selon la version officielle, la tragédie s'est produite le 12 août 2000 à 11 heures 28 minutes et 26 secondes à l'heure de Moscou dans la mer de Barents suite à l'explosion de la torpille 65-76A dans le tube de lancement numéro 4 qui a provoqué l'explosion des autres torpilles se trouvant dans le premier compartiment du SNLE. Selon les enquêteurs, la première explosion a résulté d'une fuite du mélange d'hydrogène par des microfissures présentes sur le corps de la torpille, survenues suite aux "procédures inadéquates". Le mélange écoulé, en explosant, a détruit le tube de lancement numéro 4 et le tube numéro 2 qui se trouvait à proximité.

La seconde explosion s'est produite deux minutes plus tard, à 11 heures 30 minutes 44,5 secondes. Il a intégralement détruit le pont avant du Koursk. Le personnel se trouvant dans les compartiments 2, 3, 4, 5 et 5 bis est décédé "dans un court intervalle de temps, entre plusieurs dizaines de secondes et quelques minutes".

La cause directe du naufrage du sous-marin, l'explosion de la torpille qui a précédé la détonation de munitions, ne soulève pas de question, contrairement aux causes qui ont conduit à l'explosion de la torpille en question et à ce qui est arrivé ensuite.

Selon la version officielle, les sous-mariniers sont décédés dans 7-8 premières heures qui ont suivi l'explosion, malgré les déclarations des représentants de la marine parlant des "coups continuels" perceptibles venant de l'intérieur du vaisseau. Dans la publication du tableau enregistré dans le journal de bord du croiseur Piotr Velikiï (Pierre le Grand) qui se trouvait dans la région du naufrage, il est dit que les coups de l'intérieur du vaisseau continuaient jusqu'à 11 heures 08 le 14 août 2000, autrement dit près de 48 heures après l'explosion.

Ces informations ont conduit à de graves accusations adressées à l'enquête officielle: si les sous-mariniers étaient effectivement décédés dans les premières heures et qu’il était impossible d'établir le contact avec eux, pourquoi affirmer les premiers jours, en particulier à la télévision que: 1) "Lors des exercices, le croiseur a été victime d'une panne et a coulé", 2) "une liaison bilatérale a été établie avec l'équipage du SNLE", 3) "les réacteur du SNLE sont arrêtés à l’aide de tous les absorbeurs prévus à cet effet", 4) "le sous-marin est approvisionné en énergie et en oxygène".

Si l'équipage était toujours en vie, pourquoi le gouvernement et les dirigeants militaires ont si longtemps refusé l'aide internationale, alors que l'insuffisance de leurs propres moyens de sauvetage était claire dès le début?

Quelles sont les causes de l'explosion?

Mais revenons aux causes premières de l'explosion à bord du SNLE Koursk. Parmi les versions officieuses les plus populaires on retrouve celle d'une collision et même la théorie du torpillage du Koursk par un sous-marin américain.

Les partisans de la première version supposent que la torpille qui a fait couler le Koursk pouvait être endommagée suite à une collision avec un sous-marin étranger. Un des auteurs de cette hypothèse, le capitaine de vaisseau Voljensky qui avait participé aux essais du SNLE Koursk, estime que "un choc de frottement avec les palmes de direction (gouvernail de direction horizontale) pouvait conduire à une forte déformation des tubes de lancement du Koursk". Suite au choc dans la partie la plus vulnérable du vaisseau s'est produite la première explosion, le SNLE a commencé à couler et plus tard la seconde explosion s'est produite.

La théorie d'une collision est soutenue par plusieurs déclarations diffusées par les médias se référant au service de presse de la flotte parlant de: la présence dans la zone d'exercices d'au moins trois SNLE étrangers, la détection des bouées d'urgence d'origine étrangère à moitié submergées ou d'un sous-marin non-identifié près de l'endroit du naufrage du Koursk. On parlait également de l'entrée dans le port norvégien d'un SNLE américain endommagé, et plusieurs journaux publiaient des photos satellites dont l’autenticité ne peut pas être établie. L'absence d'autres preuves matérielles met en doute cette hypothèse.

Toutefois, il n'y a aucun doute quant à la présence des sous-marins étrangers dans la zone d'exercices de la Flotte du Nord à cette période. C'est une tactique habituelle de confrontation sous-marine née avec la guerre froide et qui est restée d’actualité après l’effondrement de l’URSS.

Les partisans de la version de torpillage du SNLE russe par un sous-marin américain admettent également la présence du "facteur étranger" lors du naufrage du Koursk. Selon cette version, partagée par plusieurs spécialistes russes, le Koursk a été torpillé par le sous-marin américain Memphis, dont le commandant a considéré l'ouverture des tubes de lancement du Koursk qui se préparait à un tir d'exercice pour une préparation de tir sur Memphis se trouvant à proximité dangereuse avec le vaisseau russe. Cette version est également exprimée par le réalisateur français Jean-Michel Carré dans son film Koursk: un sous-marin en eaux troubles.

Les principaux arguments en faveur de "la version étrangère" s'appuient sur l'intensité accrue après la catastrophe des contacts russo-américains entre les hauts responsables politiques et militaires, y compris la conversation téléphonique inattendue entre les présidents russe et américain, Vladimir Poutine et Bill Clinton, ainsi que la visite d'urgence à Moscou le 17 août 2000 du directeur de la CIA George Tenet. Peu de temps après, les versions présentées auparavant par les hauts responsables militaires, concernant le naufrage du Koursk suite à une collision avec un SNLE américain, ont cessé d'être médiatisées et la Russie a obtenu des États-Unis l’annulation de la dette de 10 milliards de dollars. L'absence des preuves matérielles s’inscrit très bien dans cette logique des événements: elles n'ont pas été récoltées pour garder secret un événement qui aurait pu conduire à un scandale international sans précédent de par son envergure.

Le principal argument "contre" est le cercle très large des personnes au courant des détails de l'événement. Rien que ce simple exemple: les commandements de la marine américaine, anglaise, norvégienne, russe, les hommes politiques russes des trois pays, le personnel du chantier de réparation navale de la base logistique marine de Bergen, l'équipage d'au moins un sous-marin américain et l'équipage du croiseur russe Pierre le Grand qui se trouvait à proximité immédiate du lieu du naufrage et dont les sondeurs ont entendu tout ce qui s'était passé.

Dans les conditions actuelles, il serait impossible de croire en la protection complète d'information connue par un cercle aussi large de personnes, les scandales de ce genre subissent inévitablement des fuites de la part des personnes qui ont été directement concernées par les événements. Or, durant ces dernières années, aucune fuite de ce genre n'a été détectée. On ne peut expliquer un tel phénomène que par la conspiration du silence, dans laquelle des milliers de personnes dans le monde entier seraient impliquées, alors laissons ce type de versions aux adeptes du complot.

Pour la même raison il conviendrait de considérer comme étant insolvables les versions qui affirment que la raison du naufrage du Koursk est la collision avec le porte-avion Amiral Kouznetsov ou avec le croiseur nucléaire Pierre le Grand. Une telle collision aurait été remarquée par tout l'équipage à bord et ses conséquences auraient été détectées par les mécaniciens. Garder en secret un tel événement dans les conditions actuelles reste également impossible.

Par ailleurs, suffisamment fondée reste la version partagée par plusieurs spécialistes mariniers proposant en tant que cause de la catastrophe le mauvais état de la torpille d'exercice 65-76, aggravé par les défauts fondamentaux de sa conception, ainsi que par l'irrespect des conditions de stockage et d'entretien de la munition suite à la décadence générale de la marine après l'effondrement de l'URSS. Il faut prendre en compte que c’est l'irrespect des normes d'entretien de munitions qui avait été reconnu comme principale raison du naufrage du SNLE stratégique K-219 en automne 1986. Le missile balistique R-27 qui se trouvait dans un silo défectueux a explosé à bord du sous-marin. Suite à la catastrophe près des îles des Bermudes, quatre personnes de l'équipage du K-219 ont perdu la vie.

De même que dans le cas du Koursk, il existe une version de collision du K-219 avec un SNLE américain mais la plupart des spécialistes mariniers, y compris la majeure partie de l'équipage du K-219 ne soutiennent pas cette version.

Les conséquences

La conséquence la plus grave et la plus manifeste de la décadence de la Marine s’est traduite par son incapacité de mener de façon autonome une opération de sauvetage et de remonter ensuite le vaisseau accidenté à la surface. Aussi bien pour la pénétration à l'intérieur du SNLE que pour sa remontée il a fallu l'aide de spécialistes et d’équipements étrangers. Le manque de moyens et d’équipements de sauvetage à été qualifié par tous les experts de catastrophiques.

De plus, le financement modique de la marine, les rémunérations de misère des marins, des conditions extrêmement difficiles de logement, d'hébergement, de maintenance, tout cela peut être considéré comme des prémisses à la catastrophe. Les militaires, préoccupés par leur propre survie, sont moins vigilants sur leurs obligations professionnelles.

L'année 2000 pourrait être considérée comme une année charnière concernant l'attention du gouvernement accordée à la marine. Depuis cette période, les dépenses pour la marine de cessent de s'accroître mais quelle est leur efficacité? L'attention renforcée accordée à la prévention des accidents n'a ni empêché le naufrage en 2003 du SNLE K-159 et la mort des 9 sur 10 des personnes à son bord lors du remorquage du vaisseau vers le site de démantèlement, ni la mort de deux marins suite à l'incendie à bord du SNLE B-414 en 2006, ni le décès de 20 personnes à bord du K-152 Nerpa lors des essais en 2008.

Par ailleurs, à l'avenir la probabilité des incidents au sein de la flotte sous-marine, ainsi qu'au sein de la flotte en général, va s'accroître: le vieillissement des vaisseaux associé à une exploitation plus ou moins intense fournissent des conditions propices pour toute sorte d'incidents. Il ne reste qu'à espérer que le renouvellement promis de la flotte, y compris de ses forces sous-marines, ne restent pas sur le papier.

Les affrontements sous l'eau, sans aucune restriction, représentent une menace toute aussi grande. Si les manœuvres mutuellement dangereuses des bâtiments de surface et des avions sont strictement restreintes par l'accord soviéto-américain, les actions des sous-marins n'ont aucune restriction concrète et la surveillance sous l'eau est souvent menée à proximité immédiate, littéralement à quelques dizaines de mètres, et représente une menace importante de collision. La nécessité de la signature d'un accord qui fixerait "les règles du jeu" sous l'eau est reconnue par pratiquement tous les experts mais presqu’aucun progrès n'est à noter pour l’instant.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur

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